Jeanne Licht

Retranscription

Mots-clés: Tlemcen, Paris, Midi, télévision, Alsace-Lorraine, communautarisme, sentiments anti-pied-noir

Enquête orale
"Jeanne Licht'
Exposition Pieds noirs ici, la tête ailleurs
Date : 1 Juin 2011
Enquêteur : Juliette Spire
N° d’inventaire : 2011.2
Retranscription fait par Elsa

Jeanne Licht: Profession retraitée, hein.
Juliette Spire : Donc vous travailliez dans la télévision ?
JL : Si vous voulez, j’étais instit en Algérie, et quand on est venus ici, alors nous à Tlemcen, Tlemcen c'était une ville où y avait une population arabe beaucoup plus importante que la population européenne, genre Oran avec les espagnols, bon. Et une population juive très grande aussi. Donc quand on est partis, pendant la guerre d’Algérie, on avait le couvre-feu à cinq heures de l’après midi. Je ne sais pas si vous voyez avec ce temps pareil, on rentrait chez nous à cinq heures de l’après midi, bon et puis on entendait les balles siffler, enfin voyez, on a vraiment profité de tout ça. Et qu’est ce que je voulais dire quand on est rentrés, bon je n’ai pas fait d’études supérieures, j’ai pas pu, c'était… en pleine guerre d’Algérie, aller à Alger, c'était… et puis mes parents n’étaient pas riches, non plus, hein ! Et donc quand je suis rentrée, j’ai donc été institutrice pendant deux ans, à peu près, ou trois ans, je ne sais plus combien de temps là bas, je suis rentrée ici et j’ai été nommée dans le département du Nord ! Donc là vous voyez, avec la jeunesse qu’on avait eu, pas pouvoir sortir ou… Enfin, quand on sortait avec l’autorisation de nos parents, il fallait qu’on dorme tous chez les gens chez qui on était invités parce que, je vous dis, il y avait le couvre-feu, nous on a subi le couvre-feu pendant des années. Et donc quand je suis arrivée ici, Paris c'était une plaque tournante ! Il suffisait qu’on aille place de la République, ou des trucs comme ça, y avait des pieds noirs partout ! Les uns et les autres comme nous, qui n’avions pas de famille en France, en métropole, arrivaient, et les uns et les autres on ne savait pas où on allait, où on allait débarquer. Et donc là le hasard fait que j’ai rencontré une fille, c'était même pas une amie, qui était de Tlemcen, mais vous savez, quand vous êtes là et que vous connaissez personne, c'était devenue une amie, et elle était là, elle avait commencé, elle était arrivée plus tôt que moi puisque moi j’ai débarqué en juin 1962, juste avant la déclaration de l’indépendance, mes parents souhaitaient que je m’en aille avant, et donc je suis arrivée et je l’ai rencontrée, elle m’a dit, je travaille à la télévision et on recrute. On a besoin d’occasionnels pour travailler dans le service des émoluments, le fric et tout ça, l’horreur mais bon. C'était un pis aller dans la mesure où j’avais ces deux mois juillet-août et je ne savais plus où j’allais aller. Et finalement là j’ai rencontré ma meilleure amie, qui est Corse, à qui j’ai téléphoné, là, tout à l’heure, et elle m’a pris un peu sous son aile, voyez. Et finalement, de bric et de broc j’ai passé des concours, des examens, des machins, j’ai travaillé à la cinémathèque de la télévision, j’ai fait plein de choses à la télé parce que j’aime bien me mettre en danger à chaque fois, et donc j’ai fait plein de choses intéressantes et c’est comme ça que j’ai travaillé. Et j’ai travaillé, j’ai quitté la télé dans les années 1990 parce que je ne supportais plus de travailler dans une boîte comme TF1 avec les Bouygues, genre, et je continue à ne plus regarder cette chaîne parce que ça me dégoûte. Voilà.
JS : D’accord. On va peut-être essayer de commencer par le début…
JL : Alors attendez. Je mets mon adresse ?
JS : Oui, allez-y.
JL : Ou je mettrai après ?
JS : Oui, oui… Bon, si on pouvait commencer en fait par le début, si vous pouviez déjà me parler de votre famille en Algérie, raconter, voilà, les origines familiales ?
JL : Tout à fait. Alors là voyez j’ai téléphoné à mon cousin qui a quatre-vingt-cinq ans, qui est dans le Midi, en lui disant, est ce que tu pourrais me donner la date de naissance de notre grand-mère paternelle. Donc moi, mon nom de Licht, ça veut dire lumière en allemand, mon grand-père, qui était pharmacien, sa mère donc qui était femme de médecin, qui habitait la Lorraine, en 1870 elle en a eu ras-le-bol d’être allemande, française, allemande, française, son mari est mort en la laissant veuve avec trois garçons, dont mon grand-père, et elle s’est dit, certainement qu’à ce moment là on devait proposer aux métropolitains de partir coloniser l’Algérie, et elle s’est dit, oui, quand elle est arrivée elle est arrivée à Nancy, et à Nancy j’ai l’impression que les Nancéens ont eu la même attitude vis à vis des Alsaciens-Lorrains que les Marseillais et les métropolitains de la France ont eu vis à vis de nous. C'est-à-dire qu’ils ont été un peu… on leur a dit, retournez dans votre pays, quoi, en gros, hein. Donc elle a pris ses trois gamins par la main, ils étaient petits, et elle est partie en Algérie et elle s’est installée à Tlemcen. Et donc voilà. Mais donc, ce monsieur qui s’appelait Adolf Licht a épousé ma grand-mère qui s’appelait Jeanne Bedoin. Et Jeanne Bedoin, son grand-père est né dans un patelin qui s’appelait Sidi-Chami en 1845. Donc voyez, je remonte à très, très loin ! Donc du côté des mères, aussi bien ma grand-mère maternelle que ma grand-mère paternelle, on a tous des origines assez lointaines en Algérie. Alors ma grand-mère maternelle, malheureusement, je ne lui ai pas posé les bonnes questions, mais ma grand-mère est née aussi là bas, elle s’appelait Lucie Collon, non, Lucie Corbière, et elle avait épousé un monsieur qui s’appelait Jules Collon. Donc Jules Collon il était militaire, il a fait la guerre là bas, enfin bon, et caetera, et elle l’a épousé là bas, donc je vous dis, mes origines pieds noirs c’est surtout mes deux grands-mères. Voilà. Qu’est ce que je peux vous dire d’autre ? Euh… Au niveau des origines, bon, je vous dis, au niveau paternel, maternel, tout ça remonte assez loin. Voilà. Donc après…
JS : Et comment ça se passait en fait avant les évènements ? La vie quotidienne, euh…
JL : Ecoutez, euh… un des reproches qu’on nous a faits, ici, quand on est arrivés, on nous a dit, vous ne vous êtes jamais mélangés, mais là moi je peux constater, je ne vais pas faire allusion aux odeurs de Chirac, mais je vais constater une chose, c’est que dans le 9-3 y a pas tellement de cohabitation avec les Maghrébins, les Noirs et tout ça, que vous retrouvez toujours dans les mêmes cités, les Noirs et les Maghrébins qui cohabitent pas forcément avec les bourgeois du coin, ou, bon ! Alors on était, oui, moi je pense qu’on était, si vous voulez, mon grand-père lui il avait été pharmacien, il avait bourlingué un peu, il avait épousé donc ma grand-mère qui avait vingt ou trente ans de moins que lui, je ne me souviens plus. Et mon père, bon, il a eu son bac, donc moi si vous voulez, les relations que mon père a entretenues avec les Arabes du coin, il allait en classe, je ne sais pas combien ils étaient, une quinzaine à peu près, dont mon père et un autre, voyez, y avait deux Européens ! Puisqu’on nous appelait les Européens, hein, on pouvait être Espagnol, juif, ou… Même avant le décret Crémieux, hein ! Bon. Donc mon père, ses copains c'était des Arabes, et les Arabes du petit village où on habitait, c'est-à-dire Mansourah. Et mon père il a eu son bac avec l’arabe littéraire qui n’était pas une langue facile, et nous avec ma sœur, mes parents ont exigé, ma mère parlait couramment l’arabe, mon père, on lui mettait le burnous, on pouvait pas savoir s’il était Arabe ou Français, et nous avec ma sœur on a eu anglais première langue et deuxième langue c'était l’arabe dialectal, donc que j’écris, que je parlais mais j’ai tout oublié, mais je veux dire, je peux encore lire des choses, à la télé par exemple, en vitesse, hein ! Y a des mots que je ne comprends pas ! Parce que c’est en égyptien, iranien ou je sais pas quoi, mais je veux dire, l’alphabet est pratiquement le même à part certaines lettres qui ne sont plus pareilles ou qui ont été, comment, initiées par les arabisants, parce que y avait des lettres qui n’existaient pas en arabe et qui maintenant, bon. Mais voilà. Et mon père, je vous dis, en plus mon père il a fait une école d’agriculture, il était paysan, lui aussi, et il était, vous savez que l’eau, là bas, maintenant on en parle de la sécheresse ! Vous savez que l’eau là bas c'était primordial, et mon père s’occupait de répartir l’eau, bon. Et je sais que toujours mon père a pris, pour arroser son jardin, en disant, c’est pas parce que je suis le président qu’il faut que je me serve avant les autres !
JS : Le président de ?
JL : Le président du syndicat des eaux. L’eau, les jardins sont irrigués, donc y avait un tour ! Donc vous vous étiez madame Machin, vous étiez de une heure à deux heures, l’autre de quinze heures à seize ans, enfin bon. Et mon père c'était toujours en pleine nuit, où il arrosait son champ, pour pas justement qu’on dise qu’il se sert avant les autres, bon. Et le nombre de gens, là bas, Tlemcen je vous dis c'était une ville typiquement arabe et juive. Donc on était, on était mélangés aux Arabes, mais ils étaient beaucoup plus nombreux qu’on ne l’était. Et mon père, en tant que président du Syndicat des Eaux, il organisait cette distribution d’eau, et le nombre de gens qui venaient, d’Arabes, comment… riches, parce que souvent quand on parle des pieds noirs on a l’impression que les Arabes ils étaient tous pauvres. Tous ! Bon. Je peux vous en citer un certain nombre, les Bel Khalfa, les Ben Yelès, bon, que j’ai revu, hein, parce que j’y suis retournée à deux reprises en Algérie. Tous ces gens ils étaient riches ! Et ils étaient plus riches que mon père ! Mais ils avaient une confiance… C'était le sage du village mon père. Et donc ils avaient une confiance terrible en mon père, et quand au début ils ont essayé de donner des bakchichs à mon père pour avoir davantage d’eau ou davantage de ci, de ça, mon père avait mis le holà, bon. Alors comment, mon père par exemple, vous savez, même dans le Midi maintenant on dit, on prend le frais ! C'est-à-dire que quand il fait beau, le soir, on s’assoit sur la pierre qui était devant la maison et puis on discute et tout ça ! D’ailleurs à ce propos là, moi je vais vous raconter des histoires dans la maison qu’on habite dans le Midi, à propos des gens qui prenaient le frais et qui ont dit des horreurs sur les pieds noirs, et j’étais à la fenêtre en train de fermer la fenêtre ! Si j’oublie, vous me le rappellerez ! Et donc mon père était là, il rentrait des champs, il buvait son anisette ou son verre d’eau, enfin bon, et tous les gens qui revenaient des champs, systématiquement, et je veux dire les arabes nantis, passaient et ils parlaient avec mon père, et mon père, qui adorait l’arabe, qui était comme un chercheur, voyez, il avait fait, même au niveau des plantes il avait cherché à faire un vaccin contre le mildiou, des choses comme ça, bon. Il a pas réussi, c'était trop tard quand il est rentré ici. Et puis comme il avait pas de diplôme en dehors du fait qu’il était ingénieur, donc voilà, bon. Il avait essayé d’envoyer toutes les recherches qu’il avait faites ici en France, en métropole, de vaccins qu’il avait fait, il avait fait des essais sur une rangée d’arbres non traités et tout ça, et on voyait le résultat, mais bon. Je vous dis, tout ça, vous savez maintenant on parle beaucoup des femmes à cause de l’affaire DSK et caetera, donc je veux dire, on a une façon de voir les choses et on arrive pas à essayer de penser qu’on peut aller vers la gauche, tourner son visage vers la gauche ou vers la droite et voir que y a des choses qui sont différentes. Donc on est arrivés, allez, pieds noirs, nationalistes, capitalistes, racistes, et je sais plus le nom en iste, bon, et on en est restés là ! Parce que je vais dire qu’on pouvait ne pas se mélanger ! Parce que là en ce moment, qu’est ce qu’on voit ? Avec l’Islam qui monte, qu’est ce qu’on voit ? La fille qui a le voile, je parle du voile, je parle même pas du tchador et tout ça, hein ; moi en Algérie, les femmes elles étaient avec le haïk. Le haïk c’est un voile blanc, je peux pas mieux vous dire, un drap blanc, là, voyez, on ne voyait pas le sourcil, et y avait un petit œil comme ça. Donc voilà. Moi j’ai vécu, est ce que vous pensez que, et ma copine, quand j’étais en classe au lycée à Tlemcen, c'était Amaria Bagdali, eh ben Amaria Bagdali elle était avec le haïk comme ça ! Mais elle portait le pantalon comme moi, voyez, bon. C'était le début et tout ça. Et j’allais dans le parloir et je lui tirais le haïk, parce que dehors, si on l’avait vue avec un bout de pantalon, ça aurait été, bon. Et vous croyez que ses frères m’auraient épousée, moi, la pied noire française ? Je ne pense pas. Donc là aussi, il faut voir aussi qu’on nous dit qu’on s’est pas mélangés, c'est vrai qu’on ne s’est pas mélangés, mais eux non plus ne se sont pas mélangés ! On ne s’est pas mélangés. Même les juifs d’Algérie, moi je vous parle des juifs de Tlemcen, on voyait pas beaucoup de juifs épouser ou une arabe ou une catholique ! Donc je veux dire, c'était des communautés. Mais là, j’aime pas employer ce terme de communauté parce que voyez, on parle maintenant de communautarisme. Et ça n’a rien à voir, le communautarisme et la communauté. Mais on se voyait, moi je me souviens encore là, y avait l’hiver à Tlemcen un grand bal de la Croix Rouge. Et c'était le seul truc où ma mère pouvait porter une robe de soirée, enfin bon, et caetera, et nous on était toutes contentes avec ma sœur de la voir aussi jolie ce jour là. Bon. Elle allait au bal de la Croix-Rouge, et un jour y a eu le docteur Tébal, je vous dis son nom, voyez, le docteur Tébal qui était … (incompréhensible) de mon papa. Et qui était, et justement c’est grâce au docteur Tébal que mes parents sont partis comme des voleurs en 1964, je ne me souviens plus de la date exacte, grâce à lui parce qu’il leur a dit, il est venu les voir et a dit à mon père, on va venir te voir, il va falloir que tu choisisses entre rester ici et prendre la nationalité algérienne ou, il dit, t’as pas d’autre solution que partir. Donc voilà. Et le docteur Tébal, je ne sais pas pourquoi mais enfin il était au bal de la Croix Rouge et il dit à mon père, est ce que je pourrais faire danser Gladys, ma mère, et le docteur Tébal lui a dit, oui, viens avec ta femme et on pourra… Voyez ? Tout ça, je ne l’ai pas inventé ! Bon, tout ça, toutes ces choses qu’on a dites, toutes ces… j’ose pas dire rumeurs ! Mais c’est… y a des choses qu’ont existé ! C’est toujours pareil ! Là encore, avec l’histoire en ce moment de… l’affaire DSK, je ne sais pas, vous avez entendu, là, l’histoire de Luc Ferry, qu’est ce qu’il a été dire, bon, je veux dire que c’est toujours pareil ! Y a des rumeurs, y a des choses ! Alors y a des choses vraies, y a des choses fausses ! Les politiques, je dis pas que tous les politiques sont à foutre à la poubelle ! Bon ! Je veux dire, dans ma famille justement, y a des gens qui se sont bien comportés alors qu’ils avaient des… comment, des… des professions qui pouvaient les autoriser à avoir des petites amourettes de temps en temps ou harcèlement, ou des trucs comme ça ! Mais cette généralisation toujours qu’on a faite, les gens ils sont comme ça, tous ! Là je suis incapable, je voulais la noter, de Coline Serreau, Coline Serreau ! Mais qui a dit des horreurs sur les pieds noirs, et ça, je vous parle de ça y a cinq ans, y a six ans ! Bien au delà de la parution de son film Trois hommes et un couffin ! Voyez récemment ! Mais je veux dire, des choses, comment, d’où peut elle avoir sorti ça ? Là aussi moi je suis révoltée quand je vois Laming, ça y est j’ai retrouvé son nom voyez, Laming, un documentariste anglais, je ne peux plus vous dire son prénom, qui a fait un sujet sur l’Algérie. Et qui a dit qu’en Algérie les plages étaient interdites aux Arabes et aux chiens. Ecoutez ! Moi je sais pas où il a vu ça, mais moi j’ai jamais vu ça ! Jamais y a eu d’apartheid en Algérie ! Les cars qu’on prenait pour aller à Oran quand on avait pas d’auto pour se déplacer, ou les trains, ou je ne sais quoi, je vais dire qu’on était tous mélangés ! Nous à Mansourah, parce que Tlemcen c'était la ville et Mansourah c'était le patelin où j’habitais, qui était un très, très joli petit village, c'était à trois kilomètres, on avait un car qui faisait la navette, dans ce car il n’y a jamais eu les Arabes au fond et les Européens devant ! on était tous mélangés ! Moi, mais je veux dire, si je voyais la femme de ménage, notre Aïcha, qui montait avec son capagnia sur la tête, qui habitait je ne sais où, elle était chargée comme un baudet, si je la rencontrais sur la route, laissez moi vous dire que je la prenais et que je la montais à son village ! Je veux dire, là on a l’impression que… Alors, y a une voisine à côté, là, qui a traité ma sœur de paternaliste, un jour. Parce que, voyez là aussi, c'était du paternalisme que je faisais certainement, dans le clos, y avait deux arabes, un qui était de Mostaganem donc pas loin, et l’autre qui était plutôt marocain ou un truc comme ça. Et celui de Mostaganem il s’appelait Mohammed, quand il travaillait dans l’allée, quand il avait quelque chose à demander, si je le voyais par ma fenêtre, si c'était en hiver je lui disais (phrase en arabe), tu veux du café ? Ou (phrase arabe) si c'était l’ été, ben… il tapait pas à la porte mais s’il voulait de l’eau ou n’importe quoi, il allait pas chez la communiste de pas loin ! Il venait chez moi ! Bon. Moi la pied-noir ! Et il s’avait que j’étais pied-noir. Les éboueurs de Fresnes, je vais vous dire, quand ils arrivent ici, eh ben je taille la bavette avec lui, un petit peu en arabe, un petit peu en français, tous les mots dont je me souviens, parce qu’il sait que je suis pied-noir, et le nombre de fois où mon mari me dit, oh la la, tu aurais dû, comment, mettre les cartons, les couper, ou… je lui dis, tais-toi, c’est mon copain qui est là, il les prend. Bon, il sait ce que je lui donne comme étrennes. Je lui donne, euh… pas mal d’argent ! Hein ! Mais c’est pas pour le… c’est parce que je sais en plus qu’il a un fils qui est handicapé, et donc dès que je peux… mais ça, c’est du paternalisme ! Alors allez savoir, maintenant… Voyez ! Et je vais dire, je n’ai jamais entendu, est ce qu’un jour vous avez entendu parler des pieds-noirs et d’une qualité primordiale chez les pieds-noirs, peut-être on en parle un peu plus, de la convivialité qu’on a héritée des Arabes, qu’on a héritée de tout notre melting-pot là bas, des Espagnols, des Juifs, des… notre melting-pot.
JS : Justement ça se passait comment en fin de compte, vous disiez qu’il y avait une communauté juive et arabe, y avait pas d’Espagnols dans le village où vous étiez ?
JL : Non. Que, dans le village où on était on n’était que des Français de souche (elle rit), des catholiques, quoi, je veux dire, des catholiques et des protestants puisque toute la famille de mon père était protestante, et y avait des Arabes. Mais y avait pas de Juifs à Mansourah. Mais en revanche à Tlemcen y avait une grosse communauté juive, et d’ailleurs je vais vous dire…
JS : La distance entre Mansourah et Tlemcen ?
JL : Trois kilomètres ! Quand je voulais bien de temps en temps accompagner ma grand-mère qui n’était pas bigote, pas du tout, elle était croyante, elle était croyante, et je l’accompagnait le matin, à six heures du matin (rires), il fallait descendre de Mansourah pour aller à Tlemcen, d’ailleurs l’église à Tlemcen, c’est devenu, pas le fondouk, non, mais le souk, voyez, c’est pas devenu une mosquée, c’est devenu, bon. Nous ça nous a fait mal quand on y a été, même si on n’est pas croyantes, on n’est plus croyantes avec ma sœur, hein. Mais bon ça nous a fait mal de voir que l’église de Tlemcen c’est devenu le souk, quoi. Mais… et puis que le cimetière de Mansourah, c’est devenu un camping ! Donc euh… bon, je veux dire… Voilà. Mais qu’est ce que je voulais dire… Oui, avec le nom que je porte, Licht, euh… je pense que si j’étais juive je le saurais, mais encore que, parce que mon grand-père, donc qui était Alsacien Lorrain, qui parlait le patois allemand, euh.. l’alsacien, qui parlait très bien l’allemand, qui parlait très bien l’anglais, il avait un de ses amis qui était le rabbin de… voyez, qui était venu en même temps que lui, bon, comme nous, quoi, comme ma famille, et donc il était très ami avec le rabbin de Tlemcen, et quand le rabbin de Tlemcen est mort, mon grand-père, bon, adulte, hein, ils étaient adultes tous les deux, il a donné un grand cortège, y avait un grand drap noir, que ce soit juif ou catholique ou je sais pas quoi, et on tenait le cordon, on était nombreux et tout ça, et mon grand-père avait tenu le cordon quand le rabbin est mort, quoi ! Donc voyez, voilà, on était…
JS : Et donc vous y avez vécu de quel âge à quel âge, pour resituer ?
JL : Ah, moi, écoutez, je suis née en 1938, donc j’ai soixante-treize ans, je suis rentrée en 1962, donc j’en avais vingt-quatre, quoi. De ma naissance à vingt-quatre ans. Et mes amis, moi c'était Michel Amar, que j’ai perdu de vue, c'était Amaria, là encore j’ai un de mes amis d’enfance, qui s’appelle Louis Cochet, qui est à Figeac qui est kinési, et il a été, vous savez avec internet maintenant, voilà, il a retrouvé des copains qui étaient en classe avec lui au lycée de Slan, à Tlemcen, et qui lui ont demandé de venir donner des cours là bas, gratuitement. Donc il est, on lui paye son voyage, on lui paye son hébergement, mais, il va donner des cours, et là il doit y retourner là maintenant, voyez, il y a été y a deux ou trois mois, et il va y retourner ! Et pourquoi je vous disais ça ? Je sais plus !
JS : Donc on en était là : vous y étiez de zéro à vingt quatre.
JL : Ah, de zéro à vingt quatre ans. J’ai… et là, bon, et là, si vous voulez, je vous dis : ce terme communautarisme, j’aime pas beaucoup parce que moi j’abonde pas dans les idées pieds noires, parce que y a des pieds noirs qui sont racistes ! Moi je vous raconte ma vie à moi ! Bon. Et mes parents étaient des gens de droite ! Ils étaient pas de gauche, hein ! Et moi jamais j’ai vu ma mère… Voyez, dans les choses qui m’ont choquées quand je suis arrivée ici : on nous traitait de racistes par rapport aux Arabes, on nous disait qu’on les avait fait… (incompréhensible). Eh ben je vais vous dire : moi, mon père avait deux ou trois ouvriers Arabes, ma mère avait une femme de ménage, Aïcha, qu’elle a gardée tout le temps ?
JS : Elle travaillait pas, elle ?
JL : Non, elle était femme au foyer. Et y a d’abord Mina, et y a Mina aussi, je pourrais vous raconter son histoire, qui était noire, et elle s’est fait attraper par les fellagas parce qu’on lui avait interdit de continuer à travailler chez nous, donc elle est partie, et un jour mon père, je sais pas comment il l’avait rencontrée, tout ça, il l’avait cachée, et elle nous a raconté qu’elle avait été prise par les fellagas, qu’ils avaient voulu la tuer et elle a dit, pour une fois, j’étais contente d’être noire parce que je m’étais cachée dans un endroit que je pourrais vous décrire parce que je sais où c’est, et elle dit, c’est parce que j’étais noire qu’ils m’ont pas trouvée, et c’est parce que vous m’avez après cachée que… On n’est pas venus, on faisait confiance à mon père, je vous dis, c'était le sage mon père, bon. Mais Aïcha après qu’on a eue… bon, je veux dire, on a eu toujours les mêmes personnes ! Moi je connais là aussi des voisines, là, pas loin, qui n’ont pas cessé, Françaises, métropolitaines, vivant à Fresnes, qui n’ont pas cessé de changer de femme de ménage ! Et quand les femmes de ménage on leur disait, tiens, y a madame Machin qui recherche deux heures de ménage, ben je pourrais même vous dire le nom de la femme de ménage, qui est morte maintenant mais qui était Espagnole et qui a travaillé tout le temps chez ma sœur, eh ben Mamita comme on l’appelait, quand ma sœur un jour, rentrant de l’école parce que ma sœur était institutrice là, aussi, rentrant de l’école lui dit, vous savez, Mamita, y a madame Machin qui cherche une dame pour faire deux heures de ménage. Et cette dame était chez ma sœur, et Mamita a dit, oh non, non, non ma chérie, elle tutoyait mon beau-frère qui mesure un mètre quatre vingt quatre, et qui était militaire de carrière, et qui est à la retraite maintenant, et elle tutoyait ma sœur, elle dit, non, non, ma chérie, ça y est j’ai trouvé ! Et après le lendemain quand elle est arrivée, ma sœur lui dit, attendez Mamita, pourquoi… elle dit, travailler chez elle ? Jamais ! Eh ben là ça n’existe pas en France des gens comme ça, voyez, qui… (incompréhensible) ! Moi quand je suis arrivée et que j’ai commencé à travailler à la télévision, moi j’ai vu monsieur Dupont ou monsieur Durand traiter une madame Durand qui était sa secrétaire comme moins que rien ! Alors après on nous dit, le racisme, ça, je veux dire, mais ça m’insupporte !
JS : Alors justement, on va peut-être commencer à avancer un peu dans le temps, si vous pouvez me raconter justement à quel moment vous avez commencé à songer à partir, ou si c'était brusque, enfin, au moment du début des évènements, parce qu’après c’est une période un peu longue, est ce que vous pouvez me raconter le trajet de votre famille ?
JL : Ben je vais vous dire : ça a été… moi mon père était donc agriculteur, euh… il avait eu d’excellentes relations avec les Arabes, jamais y avait eu des heurts, jamais il était… Je vous dis, mon père on l’appelait le chibani parce qu’il était vieux, enfin il avait des cheveux blancs, donc ça veut dire vieux en arabe, et il a su pratiquement, mes parents sont rentrés fin 1964. Donc vous voyez, mes parents ils n’ont jamais voulu quitter l’Algérie. Parce que mon père n’était pas riche et le seul bien qu’on avait c'était la petite propriété qu’on avait, et c’est tout ! En plus à ce moment là, moi toute mon enfance j’ai entendu parler de points de retraite à acheter, de points de retraite à acheter, parce que y avait pas les histoires de retraite, la retraite, bref ! Bon. Donc je vous dis, ils ont été… On avait une maison, qui avait été construite par mon arrière-grand-père, d’ailleurs maintenant je sais que ça n’existe plus parce que la maison a été refaite et mon ami dont je vous parlais tout à l’heure, qui va donner des cours de kiné en Algérie, m’a dit, ta maison on la reconnaît plus, y avait une glycine, y avait des trucs, enfin bon y avait un gros arbre, y avait… tout a été coupé, et maintenant y a un mur qui monte jusqu’à deux mètres et plus. Et donc je vous dis, cette maison, y avait une cuisine, y avait une salle à manger et y avait deux chambres ! La salle de bain a été construite, je sais pas, je devais avoir dix, douze ans ! Donc voyez, c'était en 1948-1950 ! Nous, on prenait les bains, on avait une grande bassine d’eau qui était dans la buanderie, on avait un petit jardin, la grande bassine d’eau était dans la buanderie, on faisait chauffer l’eau sur la, c'était ma grand-mère qui faisait ça, elle faisait chauffer l’eau et puis au fur et à mesure on jetait l’eau, on ramenait l’eau, et on faisait, tous les samedis on se faisait, mais alors on était comme… Là aussi, je veux dire, la réputation qu’on fait des Arabes qui étaient sales ! Mais moi je n’ai que vu des Arabes qui étaient, mais propres comme c’est pas permis ! D’ailleurs regardez maintenant, pourquoi y a un engouement terrible pour les hammams, bon ! Le rassoul, vous aviez des cheveux magnifiques avec ce rassoul et tout ça ! je… On découvre, on découvre cette culture ! Et voyez, je vais vous dire : moi mon ex-mari travaillait à la télévision, il était réalisateur de télé, il devait faire des émissions en Algérie, écoutez, ça devait être, je sais pas, moi, dans les années 1968-1969. Et y a eu un dédit de la part de la télévision algérienne, et si vous voulez, et ces gens avaient dit à mon mari, écoutez si vous voulez on vous offre un voyage, alors il avait dit, ben oui mais ma femme est pied-noir, eh ben voilà, on vous offre un voyage, bon. Et donc on a été, je vous dis, dans ces années, en Algérie, et si vous aviez vu l’accueil que j’ai eu ! Mais je vous assure, je sais pas, on parle des footballeurs arrivant de je sais pas où, bon. Mais ça a été, mais, fabuleux ! Eh quand en 1982, vingt ans après, j’avais un de mes copains qui était rédacteur en chef au journal de la 3, qui m’avait dit, écoute, tu es blonde, tu parles arabe, ce serait bien que tu viennes, parce que là aussi, les pieds noirs elles sont la peau mate, j’ai la peau mate d’accord, la peau mate, les cheveux bruns, y avait pas de blonde aux yeux bleus ! Moi toute la famille Ben Yelès, qui étaient mes amis, avec qui je jouais, eh ben Haldidja, toutes, toutes, toutes ! Elles étaient blondes avec des yeux verts. Elles étaient magnifiques ces filles. Ben non ! Les Arabes ils sont comme ça. Et voilà. Et là, en 1982 donc, j’ai dit, en plus mes filles étaient petites, j’ai dit à mon copain non, écoute si tu veux j’en parle à ma sœur. Et bon. Et ma sœur avait été instit pendant un certain nombre d’années là bas ! Si vous aviez vu l’accueil qu’elle a eu aussi, elle ! Et en plus la façon, si vous voulez, j’en pleurerais, presque (Elle pleure). Y a des gens qui avaient connu mes parents, et en particulier mon père ! C'était… fabuleux ! Ce qu’ils disaient de lui ! Et donc ma sœur ayant été institutrice à Mansourah, elle avait… (Elle pleure).
JS : Vous voulez qu’on fasse une pause ?
JL : Non, ça va aller. Elle avait eu des enfants, des garçons et des filles avec qui elle était en classe ! Donc quand… elle les avait en classe, là aussi ! Là on dit aussi, je vous le dit, je sais pas si beaucoup l’ont dit ! Mais en tout cas, le père arabe ou la mère arabe, quand ils venaient et disaient à ma sœur, qu’est ce que tu en penses, qu’est ce que tu penses de mon gamin, et en arabe ils disaient (phrase en arabe), c'est-à-dire si jamais il travaille pas, donne lui des coups. Vous voyez, vous imaginez maintenant si on disait ça ? Bon. Eh ben quand elle est arrivée en 1982, elle avait une mémoire formidable et puis quand on est instit et qu’on aime son métier, on se souvient des enfants ! Bon. Et donc là, elle aussi elle a eu un accueil, mais un accueil ! Incroyable ! Et voyez, toujours mon copain kiné, là, je vous dis, je l’ai vu y a quinze jours, il repart, donc, il me disait, écoute, quand tu parles avec des gens de notre âge en tête à tête, pas une seule fois on ne m’a pas dit, quel dommage, mais quel dommage, pourquoi vous êtes partis, vous nous avez laissés et maintenant on vous regrette… Bon. Mais dès qu’il y a quelqu'un d’extérieur à ce petit groupe, là, on n’en parle plus. Et nous, moi quand j’y suis retournée, je vous dis, en… mais c'était récent, c'était en 1968, donc on pouvait dire, bon, c’est récent, et caetera. Mais ma sœur en 1982 ! Et après je l’ai raccompagnée, on avait fait un avion plein de pieds noirs de Sidi-Bel-Abbès, d’un peu partout, qu’on avait rempli pour pouvoir justement y retourner là bas. Et tout le monde justement nous disait, mais pourquoi vous n’êtes pas restés ? Pourquoi vous êtes partis ? Je veux dire, y avait vraiment aussi bien un chagrin de notre part que de la leur ! Donc là aussi, quand j’entends par exemple madame Assia Djebar, pour ne pas la nommer, qui est académicienne maintenant ; est ce que vous pensez que s’il n’y avait pas eu les Français là bas en Algérie, certains Français en Algérie, s’il n’y avait pas eu, parce que là on va parler aussi d’éducation, bon. Bon, ben si elle avait pas parlé la langue française et tout ça, est ce que vous pensez qu’elle serait maintenant académicienne ? Elle n’arrête pas, moi une fois j’étais dans ma voiture, j’écoutais France Inter ou France Culture, je sais plus laquelle, et elle disait, oui, moi j’ai pas appris la langue arabe, on m’a imposé la langue française, mais je me suis dit, c’est pas possible, où elle était ? Elle était dans le bled ! Moi à Tlemcen, qui était une grande ville, enfin… qui est moins grande qu’Alger, Constantine, et caetera, j’ai pu apprendre l’arabe, je pouvais apprendre l’arabe ! Mon père qui était né en 1901, mon père a eu son bac avec l’arabe littéraire, et elle nous parle de ne pas parler ? Alors bon, c'est vrai, parce que y avait les Français qui étaient là bas donc elle n’a pas pu apprendre… mais qu’elle regarde, je veux dire ! Moi, ce que j’ai appris des Arabes… moi je me sens différente de vous parce que j’ai vécu là bas ! Parce que je trouve que j’ai un plus ! Ce que moi je trouve en plus, c’est le fait d’avoir vécu là bas avec eux ! Pourquoi elle, ici, elle ne le dit pas ? Que si elle a un plus, si elle est académicienne, si elle a fait des études, si elle a fait… c’est aussi grâce au fait qu’il y a eu la colonisation ! Alors je vous rassure, hein, je suis pas, quel est le…
JS : Les bienfaits de…
JL : Les bienfaits de la colonisation ! Bon. Excusez moi de dire, mais quelles conneries ! Bon. Alors, on a fait énormément de choses mais on n’a pas fait suffisamment ! Bon. Mais moi quand j’étais instit, j’avais quand même cinquante deux élèves dans ma classe ! Vous voyez ?
JS : Et vous étiez jeune instit !
JL : Oui ! Donc voyez ? Et ma sœur c’est pareil ! Bon, je parle de moi, mais ma sœur c’est pareil ! Bon, dans ma classe, on était quoi, tiens j’aurais pu vous sortir des photos de classe, mais on était, je sais pas, sur une classe de quarante deux élèves, on était peut-être, je ne sais pas, une quinzaine d’Européens toujours ! Vous voyez ? Et le reste, c’est pour ça moi j’avais un garçon qui était Arabe et que j’aimais beaucoup, qui s’appelait Loujdi, qu’est ce que j’aimerais pouvoir le voir ! Mon copain, là, quand il est allé, toujours mon copain, le même, le kiné, quand il est allé là bas je lui ai dit, il faut absolument que tu ailles rue Eugène Etienne, y avait un magasin de cycles, qui était tenu par les frères de cette Amaria qui était mon amie. Je lui ai dit, si tu pouvais me dire où elle est partie, tout ça, mais je veux dire, où le racisme ? Je veux dire, ses frères m’auraient pas épousée et moi je les aurais pas épousés ! Bon, comme ici, quand vous viviez ensemble…
JS : Côte à côte.
JL : Côte à côte ! Complètement ! Mansourah c'était un tout petit village, alors on était mélangés, euh…
JS : Et alors à l’école ? Vous étiez tous mélangés ?
JL : Ah complètement ! Y a jamais eu de… y a jamais eu, je vous dis, mon père ses copains c'était les Arabes de Mansourah ! Avec qui il partait le matin, tous ensemble !
JS : Et donc vous vous ne vous sentiez pas l’Européenne de la…
JL : Ah pas du tout ! Pas du tout ! Moi je n’ai jamais, je ne me suis jamais sentie différente ! Oui, différente, parce que quand je sortais avec mon amie Amaria… Justement c’est pour ça, là, vous voyez, mes filles elles sont folles après moi, parce que je ne parle pas de la burqa, parce que ça là vous voyez, je supporte pas. Mais même les filles, vous voyez, je vois une femme de mon âge avec ce qu’on appelait la Foutha. Je trouve ça normal. Voyez là, j’avais comme femme de ménage, elle m’a quittée parce qu’elle préfère faire des… des, comment, les bureaux plutôt que, bon. Elle me disait une fois, voyez moi, quand elle est arrivée elle a enlevé son voile, quoi, et elle me disait, c’est comme si j’étais nue quand je l’ai pas dans la rue. Voyez, là je comprends. Mais ces filles maintenant qui vivent ici, bon, et qui mettent le truc, mais comme je vous dis, la religion, là je vous vois, je sais pas ce que vous êtes ! Si vous êtes religieuse, si vous ne l’êtes pas, quelle religion vous pratiquez, si vous n’en pratiquez pas, mais là vous les voyez, vous savez déjà ce qu’elles ont. Alors déjà on les repère, et après elles disent, on est stigmatisées ! C’est ça qui m’énerve ! Alors là, vous croyez que Dati, Rachida Dati, elle aussi elle n’en peut plus de voir ces femmes comme ça ! Et moi je ne le supporte pas ! Parce que je pense toujours à Amaria ! Amaria qui me disait, t’as de la chance. Voilà ma différence ! Tu as de la chance, toi, tu t’habilles n’importe comment, tu… bon.
JS : Et donc les différentes religions vivaient…
JL : Ah, complètement ! Complètement ! Ils faisaient (mots arabes), ce que vous voudrez, mais je veux dire, non ! Là, la seule chose qui me choquait, mais vous allez comprendre pourquoi, c'était le baptême des garçons. La circoncision. Ils avaient des espèces de grands draps blancs, immaculés, avec plein de sang devant, voyez ! Et ils marchaient avec les pattes écartées ! ça, bon. Je veux dire, vous êtes petite fille, vous pouvez être choquée quand même hein. Mais c’est la seule chose… Mais jamais, jamais… Je n’ai entendu mes parents dire sale race, ou, je sais pas… Et je vous dis, c'était des gens de droite mes parents ! Mes parents ils nous ont obligés à apprendre l’arabe ! C'était pas des communistes mes parents ! Ils étaient pas comme… parce que moi là aussi je veux dire, quand on parle de Jeanson, quand on parle des porteurs de valise, je dis heureusement que mon mari n’a pas fait ça, parce qu’il aurait pu ! Bon. Mais je dis, donner de l’argent à des gens qui… pour venir tuer le petit Français, le petit Dupont, le petit… Durand d’ici, hein ! ça je peux pas supporter, voyez, non, ça.. ; Mais là aussi, je vous assure, si Benjamin Stora ou des gens comme lui faisaient peut-être amende… Mais je sais pas pourquoi mais moi je n’avais autour de moi que des gens qui souhaitaient qu’on reste ! Je n’ai pas vu…
JS : Mais alors comment ça s’est passé ? Parce que ça a commencé en 1956, alors entre 1956 et 1964 ça s’est passé comment ?
JL : Nous on s’en est pas aperçu. Nous on s’en est pas aperçu. Je veux dire, oui on s’en est aperçu parce qu’il y avait le couvre-feu à… mais à Tlemcen, y a pas eu les meurtres de tout un tas de gens comme… Moi ma famille, y en a aucune qui a été atteinte ! Bon. Et c’est pas parce qu’ils étaient… Je pourrais dire que c'était parce qu’ils étaient des gens biens, mais je veux dire, on a vu des gens biens se faire zigouiller hein ! Bon.
JS : Qu’est ce que vous vous disiez entre vous, finalement, par rapport à ce qui se passait autour, parce que vous aviez été informés quand même !
JL : J’essaie de me souvenir, qu’est ce qu’on disait… Alors y avait ceux qui disaient, il faut partir, y avait ceux qui disaient qu’il ne faut pas partir, moi mon père faisait partie des gens qui disaient qu’il ne fallait pas partir, et en plus si vous voulez, après 1962 y a deux Arabes, je ne sais plus ce qu’ils faisaient, pourquoi ils fréquentaient mon père. Peut-être pour l’eau, je sais pas. Et ma mère en rigolant, elle disait, elle les appelait toujours les fellagas. Eh ben oui, ils étaient fellagas. Et un jour, les fellagas, après 1962, ils ont dit à mon père, tu sais Guy, si tu es vivant, c’est parce qu’on a eu une interdiction, y avait des gens qui devaient venir du Maroc pour te tuer, et c’est nous qui nous y sommes opposés. Et on disait, le… le roumi, le roumi c'était le Français, le roumi aux cheveux blancs, tu touches pas à ses cheveux ! Et donc y a… je dis, mais là y a quelque chose auquel je pensais, que j’ai oublié de vous dire. Je sais plus. Je sais plus. Mais je vous dis, mes parents auraient souhaité continuer à vivre là bas, mais bon, c'était plus possible, je veux dire ! A cause du docteur Tébal, qui était venu, et qui avait dit, voilà ! Et là, mes parents qui, en 1964, je vous dit n’importe quoi, je ne sais même pas la date à laquelle ils sont rentrés, euh… ils ont décidé dans l’après midi de tout quitter. Donc y avait plus de Français à Mansourah, ils avaient fermé le portail de la maison, mon père avait une camionnette 203, je sais pas, une camionnette Peugeot, ils ont mis la bâche, et tout ce qu’ils ont pu rentrer, ils ont rentrés. Donc moi je vous dis, moi j’étais déjà rentrée, quand j’étais arrivée ici on avait perdu mes valises, en juin 1962…
JS : Vous, vous êtes partie en 1962 ?
JL : Moi je suis partie en 1962.
JS : Et pourquoi vous êtes partie avant alors ?
JL : A cause de… mes parents avaient peur, qu’on nous viole, qu’on nous tue, voyez ! Et donc je suis partie en 1962, oh je me souviens très bien, c'était… je sais pas, moi, à quatre heures du matin ! On avait un Alfrac ou une Alfrac, je sais pas comment on dit, devant, tout un convoi des pieds noirs, et on est partis comme ça, moi je revois mes parents, de loin, y avait un brouillard… Et voilà. J’ai pris. J’étais à Oran, à Oran j’ai dû rester sur le port d’Oran deux ou trois jours, ah oui, parce que y avait plus de place ! Parce que là vous voyez, je fais des digressions, hein, parce que quand j’y pense je vous le dis. Par exemple là en ce moment, vous voyez là aujourd’hui ce matin, j’ai entendu qu’il y avait un petit garçon qui avait été attaqué, qu’on avait, voilà. Tout de suite y a ce qu’ils appellent une cellule de psy, bon. Quand il y a eu Gbagbo, la Côte d’Ivoire, et caetera, on a mis une cellule de psy pour accueillir les gens, les Français de la métropole qui étaient là bas, et qui ne faisaient que travailler là bas. Nous, comme je vous le dis, hein, mon arrière-arrière-grand-père né en 1847, nous, voilà, on était là bas, quand on est arrivés en France, ni cellule de ci, ni cellule de ça, ni rien du tout ! Vous arrivez à Marseille, partout y avait écrit, les pieds noirs, retournez dans votre patelin, dans votre pays, les pieds noirs à la mer, les pieds noirs… Sur le port de Marseille, tout ça, hein ! bon. Les cellules de psychologie ? Ouallou!! Rien.
JS : Donc vous êtes restée deux, trois jours à Oran ?
JL : A Oran, voilà, je suis restée deux ou trois jours, heureusement j’avais des oncles et tantes qui habitaient là donc le soir j’allais dormir chez eux, et je suis revenue, j’avais une place de pont, c'est-à-dire que quand je suis partie j’avais une jupe bleu marine, je me souviens très bien, un chemisier bleu pâle et mon petit sac, mes valises, j’étais bronzée comme ça, voyez, comme les agriculteurs, tellement le soleil donnait sur la mer, et on m’avait perdu mes valises, et je suis arrivée, voilà. Débrouille toi ma fille. Et donc là j’ai rencontré…
JS : Vous avez d’abord débarqué à Marseille ?
JL : A Marseille. Et après j’ai pris le train, là je peux pas vous dire dans quelles conditions j’ai pris le train, mauvaises ? J’ai pas le souvenir. Mais c’est surtout le départ de l’Algérie qui a été… quitter mes parents… quitter Mansourah ! Quitter tout ça ! Qui a été… l’horreur, quoi !
JS : Et vous vous êtes installée tout de suite dans la région parisienne ?
JL : Tout de suite ! Tout de suite, parce que j’avais un cousin qui était militaire de carrière, général, à la retraite maintenant, et qui était en stand by, si on peut dire, ici, et j’avais pu vivre un peu chez eux. Mais dès que j’ai pu j’ai pris une chambre de bonne…
JS : Ils étaient où ?
JL : Eux ils étaient de Tlemcen aussi.
JS : Non, je veux dire en région parisienne ?
JL : Ah ! boulevard Masséna. Dans le treizième. Et donc dès que j’ai pu je me suis trouvé une chambre de bonne. Donc là aussi, je rigole avec les histoires de bonnes femmes, là en ce moment, qui parlent de la main au derrière, ou, voyez, de ce qui se passe en ce moment, les féministes, moi là j’étais dans une chambre de bonne, et quand je devais payer mon propriétaire, ben je vais vous dire je me mettais le pull jusque là et le pantalon jusque là, et un jour il a failli avoir ma main sur le visage, voyez ! Bon. Mais ça, j’en ai pas parlé, hein ! Et y a plein de choses dont je n’ai pas parlé, parce que ça se faisait pas, on le disait pas ! Mais là voyez, moi qui était quelqu'un de plutôt timide, plutôt introverti, parce que moi ma mère ne m’avait jamais dit, tu arriveras à quelque chose dans la vie, elle m’avait dit, tu es bête, ma fille, tu n’arriveras jamais à rien dans la vie, donc cette parole, voyez, ça a été l’horreur pour moi, et je dirais même que, même à mon âge, à soixante-treize ans, souvent je me dis, est ce que j’ai bien compris ce qu’il a dit, ou… et c’est pour ça que quand je regarde la télévision ou que je lis un article et que j’entends mon mari ou quelqu’un d’autre dire, c’est aberrant, j’ai rien compris, ça me rassure sur mon intelligence ! Et quand je suis arrivée à la télé, aussi, y avait, je pourrais même vous dire le nom, Gérard Moullet, que j’ai retenu, qui m’avait dit, à cause de vous les pieds noirs… (le téléphone sonne) ma sœur et mon beau-frère n’ont pas pu avoir d’appartement ! Bon je sais plus ce que je vous disais (rires).
JS : Eh bien, on en était à l’arrivée dans la région parisienne.
JL : Oui, la région parisienne, voilà euh… donc je vous dis, j’ai eu vraiment énormément de chance de rencontrer ma meilleure amie qui est Corse. Et qui a, si vous voulez…
JS : Donc c'était votre meilleure amie de là bas ?
JL : Pas du tout ! Moi mes amis d’enfance, à part, je vous dis, mon copain toujours kiné, là, avec qui je corresponds, mais… non ! Et puis en plus, quand on est partis les uns et les autres, on est partis tellement vite qu’on s’est perdus de vue ! Donc moi je vous dis ça, mais je peux vous dire aussi la façon dont ma sœur est rentrée aussi. Ma sœur, donc avait mon neveu, cinq ans, qui est né en Algérie donc, ma nièce qui habite Vissou, qui est née le 17 avril 1962, donc quand mon beau-frère était militaire de carrière, il a dit à ma sœur, tu rentres en France, et on a tous été hébergés par ces cousins dont je parle, là, qui étaient militaires aussi, et mon cousin je sais plus où il était à l'époque, et il a dit, non, non, vous rentrez, on ne sais pas du tout ce que ça va être, et mon beau-frère qui est aussi pied-noir, lui de Tunisie. Et donc euh… je me revois, euh… donc ma sœur aurait pu me donner l’adresse, ma nièce avait un mois, euh… on part d’Oran, couvre-feu, on part d’Oran juste à la fin du couvre feu, on part en auto emmenées par mes oncles et tantes qui m’avaient hébergée, qui m’hébergeraient un mois après avant de prendre le bateau, on arrive, y avait des CRS de tous les côtés, de tous les côtés ! Avec la mitrailleuse comme ça vous voyez, et on arrive, on est tous parqués sous des tentes, ma sœur qui avait donc sa fille, son fils et quatre gamins de nos cousins qui habitaient Mansourah. Les jumeaux ils devaient avoir, je sais pas moi… enfin ils étaient plus âgés que mon neveu, une dizaine d’années, l’aîné douze ans, et le dernier je sais pas quel âge, donc elle partait avec six enfants ! Et donc là, c’est grâce au piston que ma sœur a pu prendre un avion ce jour là ! Parce qu’il y avait beaucoup de gens qui étaient là, qui ne prenaient pas, qui attendaient un avion, on attendait un avion de la métropole envoyé par le gouvernement français pour venir… voyez la cellule psychologique ? Bon. Donc là c’est un monsieur qu’on connaissait, qui était le mari d’une amie d’enfance de ma sœur, Colette Avar, qui a dit, la famille, voilà. Et donc c’est comme ça que ma sœur a pu partir, on était arrivées le matin, il devait être six heures du matin, elle est partie quand même il était cinq heures de l’après midi, hein ! Même avec le piston ! Bon. Et les autres attendaient ! Et quand elle est arrivée, alors mon beau-frère était en France, je sais pas comment… Non, non, elle est arrivée, c’est mes cousins qui l’ont réceptionnée, mais en revanche quand mon beau-frère après juillet 1962 est rentré en France, mon neveu a vu son père, voyez, mon beau-frère qui était habillé certainement en militaire, y avait un CRS qui était là, qui avec sa mitraillette a poussé mon petit neveu pour ne pas qu’il aille rejoindre mon beau-frère ! Tout ça, vous savez, ça marque ! Donc si vous voulez, je peux vous dire que j’ai fait, et je dis pas que je suis encore, comment vous dire, guérie de mon racisme par rapport aux Français de la métropole, parce que tout ça… Et le gouvernement français en particulier ! Parce que quand j’entends quelqu'un qui m’est proche, qui me dit, mais les pieds noirs vous avez quand même voté et tout ça, comme je lui ai dit l’autre fois, mais attends, on a voté les lois en France ? Les lois pour l’Algérie nous les pieds noirs ? Enfin, mes parents ils avaient le droit de vote, oui, les Arabes ils avaient pas le droit de vote, et vous pensez que nous les pieds noirs on pouvait faire quelque chose là bas quand on était en France ? On avait droit à la parole de temps en temps ? Quand vous entendez, et ça je l’ai appris récemment, je le savais pas avant, que Messmer lui même, Pierre Messmer le ministre des Armées à l'époque, avait refusé à cette sale race d’armée française, dont mon beau-frère et dont mon cousin, disait aussi que, l’armée aussi elle était vilipendée à un point incroyable ! Que y ait des gens, qu’on voie toujours cette même photo, cette même image de ce Français en train de tuer un type qui sort d’une haïma, je ne sais où d’ailleurs, avec ma sœur on s’était dit, tiens, et c'était une image qui avait été prise dans un truc qui n’avait rien à voir avec l’Algérie, mais que systématiquement, vous voyez un truc sur l’Algérie, vous voyez ce type sortir de sa haïma et un petit… d’ailleurs c'était un petit métropolitain qui le tuait, puisqu’il avait le petit chapeau comme les jeunes métropolitains, dont mon mari qui a fait la guerre là bas, qui est resté quand même vingt huit mois, voyez, avec les idées qu’il a, machin, et caetera, y en avait tout un tas de droite qui étaient pour l’OAS, et qui…
JS : C'était obligatoire de toute façon, non ?
JL : Pas du tout ! y en a qui se sont fait… Je vous dirai pas les noms de certains avocats que je connais, qui sont morts depuis, qui étaient pour l’OAS et qui n’avaient pas fait leur service militaire là bas, qui se sont débrouillés, vous inquiétez pas, parce que les bourgeois là bas, ici, c’est pas les mêmes bourgeois que les pieds noirs, c’est ça qui est incroyable ! Là bas vous avez un statut, mais c’est pas le même qu’ici ! Que le piston, qui était valable pour certains ici, n’était pas valable là bas ! Je veux dire que, on avait l’impression qu’on était une race à part ! Et donc, quand mon beau-frère en larmes, et je vais vous dire, mon beau-frère, c’est un monsieur, quand vous le voyez, je vous jure, toujours en retrait, il ne dit rien, et caetera. Quand il pleurait à l’idée de ne pas pouvoir rapatrier les Arabes qui avaient fait la guerre avec lui là bas ! Et ça vous voyez, c’est encore avec les pieds noirs. Quand on vous dit que les pieds noirs riches, parce qu’il n’y avait que des pieds noirs riches, hein ! Avaient fait payer le verre d’eau, ben moi je vais vous dire… Et là je vais vous dire, c’est un souvenir, un petit truc que j’ai raconté l’été dernier, l’été 2010 en Corse chez mon amie. A sa sœur, elle a plusieurs sœurs, y en a une qui sort de l’ENA, voyez. Voilà. Et elle est loin d’être, bon. Et elle avait un monsieur à sa table, c'était à midi, on venait de prendre le bain, quatre-vingt-cinq ans, qui avait fait la guerre d’Algérie et qui avait été un proche de de Gaulle. Et là, voyez, on était une dizaine à table, eh ben je vais vous dire, j’ai eu droit à des balles, mais des balles ! Alors heureusement mon amie m’a dit, tu as été formidable, tu as été géniale, tu t’es bien débrouillée, mais si vous saviez les trucs qu’on disait, et en particulier, j’y pense à cause de cette histoire de verre d’eau, moi mon père quand il est parti faire la guerre, il est venu ici en France ! Parce que là aussi, hein, le… ce qu’on raconte des pieds noirs qui se sont planqués pour ne pas faire la guerre, aussi bien la guerre ici, la guerre d’Algérie, enfin les évènements d’Algérie que la guerre de 1940, mon père, je vous répète, il était né en 19018 Donc pour faire la guerre, je sais plus en quelle année il est parti, mais il devait avoir trente neuf ou quarante ans ! Il laissait une femme avec deux enfants ! Il est venu ici comme tout un tas de… Et si on avait vu les monuments aux morts d’Algérie aussi, vous auriez vu les noms de tous, et les pieds noirs, et les Arabes ! Parce que les Arabes, là encore, je ne sais pas si vous avez vu en ce moment aussi, y a les Vietnamiens qui montent au créneau à propos du gouvernement français qui les ont mis comme à Rivesaltes, et caetera, les harkis planqués, les trucs et tout ça, et c’est ces gens, ce gouvernement français, et ces Français qui nous font à nous la leçon ? Alors ça moi ça me, mais je vous dis, même maintenant je ne… peut-être j’étais une rebelle, mais même maintenant je ne supporte pas tout ce racisme que l’on fait, et tout ce qu’on dit sur les pieds noirs, c’est insupportable ! Et donc pour en revenir à mon dîner, là, la sœur de mon amie que j’aime énormément, qui a élevé huit enfants, qui est une femme remarquable. Qui dit, je vous raconte l’histoire du verre d’eau, que le monsieur de quatre vingt cinq ans a mis naturellement sur la table, c’est le cas de le dire, non mais attends mais cette histoire de verre d’eau moi je l’ai entendue racontée par mon père ! Qui était avec ses tirailleurs ! Ah, mais c'était des Arabes. C'était des Arabes, on allait pas donner un verre d’eau à un Arabe ! Et c’est les mêmes, là, ces mêmes Français, que mon père est venu avec ses Arabes, ses tirailleurs arabes, est venu défendre, et c’est ces mêmes Français qui ont failli nous foutre à la mer parce qu’on était des pieds noirs et parce qu’on était des racistes ! Alors voyez, de temps en temps faut pas me chercher sur ce terrain, parce que je… Et là, dans la même veine : on a une maison depuis très peu de temps. On a une maison dans le midi, près de Brignoles, pas loin d’Aix en Provence, c’est pas un patelin, bon. Un jour j’avais ouvert, on est en plein village, j’avais ouvert les fenêtres des chambres de mes filles pour que la… le froid entre jusqu’à minuit, donc à minuit les gens prenaient le frais, je ferme les volets, et heureusement avant de fermer mes volets, y a des paroles comme ça, du monsieur de mon voisinage immédiat, et il sait que je sais. Qui commence à dire : les pieds noirs ils jetaient le pain aux Arabes, les pieds noirs… Mais je vous assure, mais c'était… Là ! On est en 2010, ça devait être en 2000 ! Alors voyez cette haine, cette haine qu’on a contre les pieds noirs, ces rumeurs qu’on a propagées ! Et je vous dis, les pieds noirs c'était pas des saints ! Mais les métropolitains c'était pas des saints non plus ! Bon ! Mais c’est quand même… le colonialisme, vous croyez que mes arrière-grands-parents ils sont partis en Algérie pour se remplir les poches ? Mon arrière-grand-mère qui n’a pas voulu être une fois Allemande, une fois… pour avoir refusé d’être Allemande, elle est partie là bas ! Pour se remplir les poches ? Alors… et puis je vais vous dire, fallait y aller aussi là bas ! Au moment où ils y sont allés, eux, mes arrière-grands-parents ! Au moment où on disait qu’il y avait des lions dans les rues et tout ça, attendez, on a raconté des horreurs ! Il fallait y aller ! La petite bonne femme… Mais je regrette, si vous saviez ce que je regrette de n’avoir pas posé les bonnes questions à mon père, qui l’adorait, cette grand-mère. Et bon, ben voilà… mes parents, pratiquement, je les ai quittés en 1962 je les ai plus revus, pratiquement ! Voyez, c’est pas quand ils venaient ici ! Ils s’étaient trouvés, là aussi…
JS : Mais ils sont partis en 1964 ?
JL : Oui, mais…
JS : Ils sont partis où ?
JL : Ben je vais vous dire, on avait des cousins, non, j’avais mon oncle du côté de ma mère. La sœur de ma mère avait épousé un monsieur qui était aussi paysan, qui était venu en Savoie parce que son fils, qui avait dix huit ans là aussi, il était pied noir, il avait dix huit ans, écoutez là il vient de mourir d’un cancer, Roger devrait avoir quatre vingt cinq ans maintenant, voyez, bon. Qui a fait la guerre en France. La guerre de 1940. A dix huit ans il s’est fait amputer d’une jambe, voyez, voilà, lui aussi il jouait… il aurait bien voulu rester là bas, hein ! Et c’est en se faisant soigner par une infirmière qui était savoyarde qu’il a rencontré cette femme qui l’a épousé, qui est venue d’ailleurs habiter là bas et qui ne jurait que par l’Algérie. Et tout le monde, comme on n’avait pas d’attaches ici en France, ben on s’est tous plus ou moins rapatriés un peu, et caetera. Et puis mon père, finalement, je ne sais plus pourquoi, ils sont atterris à Nîmes. Alors là si vous aviez vu, c'était en… en 1968, peut-être, ça faisait quatre ans qu’ils étaient là. Si vous aviez vu, il habitait dans les barres, construites certainement en vitesse, un appartement, un premier étage surélevé je crois, sombre, quand on voyait, je vous dis, la maison c'était pas une maison… on n’avait pas de salle de bains, on a eu la salle de bains très tardivement et tout ça, c'était pas le palais, mais c'était une maison où on ouvrait partout, où y avait de la lumière, où y avait du soleil et tout ça ! Enfin bon, c'était… Et là, si vous aviez vu, même pour moi, quand je suis venue les voir pour dormir, on avait tiré le canapé dans la pièce, y avait une chambre, pfff… Voilà. Donc voilà comment on est rentrés ! Et donc là après ils ont, avec je crois des trucs qu’on vendait, ils ont pu s’acheter un appartement. Ah oui parce qu’il faut que je vous dise aussi, ils ont pu s’acheter un appartement, euh… et vous savez, c'était un appartement qui était vendu à l’encan, je crois qu’on dit, parce que vous savez, lorsqu’un appartement, y a des déficits ou des problèmes sur un immeuble ou un truc comme ça, on le vend au plus offrant, ou je sais plus comment…
JS : À l’adjudication ?
JL : À l’adjudication, ou… avec la fameuse bougie, vous savez… Enfin je sais plus, je peux pas vous donner de détails mais enfin bon, c'était pour une bouchée de pain, ils ont quand même pu, en s’associant tous, ils ont pu l’acheter, mais c'était un appartement qui était assez correct, c'était à Six-Fours. Six-Fours c’est pas loin de Toulon. Et d’ailleurs, c’est pour ça qu’on s’est achetés une maison par là bas, ma sœur a une maison à Six-Fours aussi maintenant, ça y est on a refait notre… On a des cousins pas loin donc on a refait notre… Et moi j’ai ma sœur là, j’ai ma fille là et j’ai ma nièce là, voyez ? L’instinct grégaire des pieds noirs ? Voilà, ça aussi, quand je vous disais, quelles étaient les qualités des pieds noirs, alors on les cherche, à part la convivialité et tout ça, mais est ce qu’on a dit que les pieds noirs c'était des gros travailleurs, hein ? Qu’on n’est pas venus manger le pain des Français ? Que là maintenant, les Afflelou, les et caetera, tout ça ce sont des pieds noirs ! Tout ça ce sont des gens qui ont beaucoup bossé, qui ont travaillé ! mais ça on l’oublie qu’on était des bosseurs, puisque nos terres étaient pas riches et que le travail qu’un propriétaire de la Beauce fait en une heure, là bas il fallait le faire en je sais pas combien de jours pour ensemencer, pour faire ci, pour faire ça, bon ! Tout ça, on n’en parle pas !
JS : Et alors comment ça s’est passé quand vous êtes arrivée, en fait, les premières années ? En région parisienne ?
JL : Oh ben moi écoutez, je vous dis, heureusement, j’ai eu une chance inouïe c’est d’avoir cette copine. Parce qu’elle m’a, j’ai été complètement phagocytée par sa famille, elle avait cinq sœurs, d’ailleurs c’est comme ça que j’ai rencontré mon mari, qui était ami avec sa famille, et là, pfff, vous savez, là y a malheureusement le cancer de mon neveu qui a démarré, alors je vais vous dire, on s’est complètement recroquevillés, et je vous dis c’est pour ça que j’habite ici, à cause de ça, à cause de…
JS : Vous vous êtes installée à Fresnes quand ?
JL : Ecoutez, je dirais qu’on a dû s’installer… pas moi, mais ma sœur elle a dû s’installer en 1964. Oui, ça doit être ça. Parce que moi les deux premières années j’ai passé mon temps à changer de chambre de bonne, parce que… des vieux salauds, là… et après je suis venue vivre chez elle, donc je faisais, voyez, la navette Paris-Fresnes, et depuis 1964 on n’a pas bougé et on habite toujours là. D’ailleurs quand mon neveu est mort, on s’est dit, c'était tellement l’horreur qu’on s’est dit, on va déménager. Puis on s’est dit, c’est pas possible, on… on va l’enterrer une nouvelle fois ! Donc voilà, c’est pour ça que… Et puis… ici, vous voyez, c’est la chambre d’Eric, euh… on a été avec Eric là, voilà, c'était… Et peut-être que si vous voulez, ça, ça nous a aussi stimulé, soudé, enfin soudé on n’avait pas besoin d’être soudé, mais ça nous a empêché de nous apitoyer sur nous mêmes. C'était le sort d’Eric qui était en jeu et c'était pas notre sort. Et moi je me suis jamais plainte. Et puis je vais vous dire, moi je suis pas du genre à me plaindre, en général, je crache mon venin et après je vais mieux !
JS : ET alors est ce que vous avez ressenti… donc vous avez parlé un peu de quelques réactions de racisme, et caetera, est ce que vous avez ressenti, particulièrement quand vous êtes arrivée, des… des réactions particulières par rapport au fait que vous étiez pied noir, comment ça s’est passé au jour le jour ?
JL : Oh, oui, je vais vous le raconter ! je l’avais noté, mais je vais vous le raconter, euh… donc là, je vous ai raconté ce type, là, Gérard Moullet, qui m’avait dit, qui m’avait craché en me disant, c’est à cause des pieds noirs, vous auriez mieux fait de rester là bas, machin…
JS : A partir de quel moment vous avez entendu ce mot d’ailleurs, pied noir ?
JL : ça je suis incapable de vous le dire. Je ne sais pas d’où ça vient mais nous, là bas, on ne s’appelait pas pieds noirs ! On était les Européens ! Voyez, y avait les indigènes, les Arabes c'était les indigènes, hein, c'était leur vrai nom, hein, et nous les Européens. Mais pied noir, j’en sais rien, moi il me semble que c’est ici. Quand on nous demande, justement, quelle est l’étymologie ou l’origine, ou je ne sais pas quel est le mot exact, je n’en sais rien, on parle effectivement que les Français de la métropole étaient venus avec des vernis noirs. J’en sais rien.
JS : Y a trente six mille versions…!
JL : j’en sais rien. Il faudrait relire, vous savez, le dernier bouquin de Camus. Le premier homme. Je me demande s’il n’en parle pas à un moment donné. Je sais plus. Mais… alors pour vous dire, voyez quand on est arrivés, je pense que ni les uns ni les autres, c'était pensable pour nous de voir la réaction des métropolitains ! Je suis désolée, hein, de vous dire… bon ! Et c’est là où alors moi j’ai fourbiné mes armes, voyez. Alors déjà, cette réflexion de ce garçon, c’est à cause de toi, machin, et caetera, euh… que mes parents, ma sœur et mon beau-frère ne trouvent pas d’appartement parce qu’on reloge, on reloge les pieds noirs ! Quand on voyait les bateaux arriver avec les matelas sur le dos et tout ça, les pieds noirs richissimes, parce que les pieds noirs richissimes effectivement, euh, ils étaient là, et voyez ce sont eux qui nous ont fait énormément de tort ! Parce que moi la richesse, c'était pas forcément… je vous dis, à Tlemcen, le riche, riche, riche, j’en voyais pas. Y avait peut-être le domaine d’Olfus, et encore. Bon. Je vous dis, mais moi quand je suis arrivée en France, que j’ai vu les Rolls, que j’ai vu les appartements… ! J’ai découvert aussi un monde que je ne connaissais pas ! Parce que moi des riches autour de moi à ce point là, je n’en connaissais pas ! Des madame Bettencourt, je ne connaissais pas ! Et donc je vous dis, là voyez j’ai commencé à tiquer, et là je me souviens très bien, je travaillais à la télé donc, et j’avais deux copines célibataires, moi j’étais mariée à l'époque, j’avais deux copines célibataires, j’ai été mariée une première fois.
JS : Oui j’ai compris.
JL : Et donc c'était dans les années, je vous dis, 1966-1967, je sais pas ! Elles me disent, mon ex mari travaillait donc à la télévision, il faisait des émissions l’été, et donc je pars avec elles deux, une Monique, elles s’appelaient toutes les deux Monique, une Monique qui avait un pur accent de Toulouse, et l’autre qui était une pied noir comme moi. Et à moment donné, je sais pas si vous connaissez le Club Méditerranée, on part à Marrakech au Maroc, et dans le Club Méditerranée, au fur et à mesure que vous arrivez dans la salle à manger le midi ou le soir, y a des tables de six, je crois, ou de huit, je sais plus, on vous dit, ben voilà, vous avez deux places là, vous vous mettez… Donc voilà, on arrive à trois, puis on commence à parler. Et y a une fille en face de moi qui me dit, mais d’où est tu parce que tu as un petit accent et je n’arrive pas à savoir d’où il est. Et moi je lui dis, moi je suis pied noir d’Algérie, j’ai toujours revendiqué mes… parce que l’autre fois (elle rit), y a mon mari qui me dit, mais comment est ce qu’elles ont su que, bon… alors je dis, ben je sais pas, et il dit, ben faut dire que dès qu’on est quelque part y a pas un quart d’heure que tu parles avec quelqu'un que ce quelqu'un déjà sait que tu es pied noir (elle rit) ! Bon. Et donc on rentre dans la salle à manger, je me retrouve en face de cette femme et je dis je suis pied noir. Et je vous jure ! Comme on dit chez moi, hammsa sur toi, hammsa sur mes petits fils, mais je le jure sur la tête de mes petits enfants que ce que je vais vous raconter est l’exactitude même. Elle se lève et elle me dit, je te crache à la figure. Bon ! je reste comme ça, un peu interloquée, mais moi ça ne dure pas chez moi. Et je monte, et je lui dis, mais pourquoi cette haine, pourquoi, elle me dit c’est à cause des gens comme vous, je suis sûre que tes cousins et tout ça ils n’ont pas fait la guerre ! Que moi mon fiancé qui s’appelait Dupond ou Durant, qui habitait Toulouse ou je ne sais où, il a été faire la guerre en Algérie ! Pour vous les pieds noirs richissimes, racistes et tout ça… Enfin, voilà. Et je lui dis, ah bon ? Alors moi je vais te dire : moi mon père il est né en 1901, il a fait la guerre de 1940, pour venir vous, avec ses Arabes, ses artilleurs il est venu faire la guerre en France, et quand il demandait l’histoire du verre d’eau et je lui ressors l’histoire du verre d’eau. Et je lui dis, tu vois et en plus mon père, eh bien il a été prisonnier en Poméranie deux ans et demi. Tu vois moi quand j’étais petite fille j’attendais vraiment qu’il me raconte l’histoire en Poméranie, venant d’Algérie, que quand il faisait pipi son pipi se transformait en stalactite. Voilà. Je lui dis, tu vois, et j’ai mon cousin (dont je vous ai parlé) qui à dix huit ans a eu une jambe en moins. Et vous savez ce qu’elle me sort ? Elle me dit, ah ben s’il s’est engagé c’est pas de ma faute ! Il s’est engagé, je luis dis, engagé ? Engagé ? Mais il était Français ! Il était Français il était comme toi ! Il était Français ! Et en tant que Français, on l’a mo-bi-li-sé ! Voyez ? Et tout ça ça ressort, et tout ça c’est toujours la même chose ! Toujours ! Voilà, deuxième truc : là je vous ai raconté l’histoire de mon voisin y a dix ans, des amis chez mon amie l’année dernière, et ça continue ! Et à chaque fois que je vais quelque part, je vois que y a toujours quelque chose ! Coline Serreau ! Et caetera, et caetera ! Et je peux vous dire, j’en reviens pas, moi j’en reviens pas de cette haine. Mais les gens ils sont jaloux ! Parce que finalement, on est partis là bas, y en a qui ont fait fortune, pas beaucoup, mais quand on est revenus, on a su mettre les mains dans le cambouis et on a su faire des fortunes comme Afflelou, comme je sais plus, tous ces gens qui ont pignon sur rue, maintenant, et qui s’ont d’origine pied noir ! Le nombre de gens maintenant que vous voyez qui sont nés là bas ! C’est fou ça quand même ! Et voilà !
JS : Enfin sur les, je sais plus combien, six cent mille ou huit cent mille qui sont revenus, combien ont fait fortune ?
JL : Je sais pas (elle rit) ! Mais comme on nous a toujours reproché d’être des riches, ben je me dis que… au moins comme ça, et là ils sont devenus riches ici en France (elle rit) !
JS : Alors, pour cette appellation pied noir, y a eu ce mot, y a eu le mot rapatrié ou pas ?
JL : Oui, y a eu rapatrié, oui. Mais rapatrié c'était officiel, si vous voulez. Sur les papiers, tout ça. Tenez, je vais vous raconter encore quelque chose : quand j’ai démarré en 1962, je peux vous dire, je débarquais d’Algérie. Donc j’ai débarqué en juin, j’ai commencé à travailler le 7 juillet 1962 à la télévision. Bon. Eh bien, j’avais un chef de service qui s’appelait Razario. Bon, peu importe. Je me souviens de son nom comme on se souvient du nom de l’institutrice qu’on a eu… bon. Je sais pas pourquoi, il m’avait pris en sympathie. ET je vais vous dire, là, mes parents étaient là bas où il arrivait des choses épouvantables, des massacres, alors qu’ils étaient restés, eux là bas, en 1962, hein, parce que là aussi on n’a pas tellement parlé de ce qui s’est passé, de tous les carnages qu’il y a eu en juillet 1962 à Oran ! Tout ça on l’a passé sous silence, en mars et caetera, bon. Donc moi, on n’avait pas le téléphone, hein, dans ma chambre de bonne, je pouvais pas téléphoner du bureau parce que moi mes parents, l’éducation que j’avais, il fallait faire les choses bien, on n’allait pas… J’allais pas faire, comme certains ministres, me payer l’avion pour aller en Guadeloupe ou je sais pas quoi aux frais de la Princesse, hein. Donc voilà, j’avais même dit à la dame qui m’avait, je me souviens même, je peux vous dire son nom, madame Coulichako, je lui avais dit, écoutez, je sais qu’on n’a pas droit au cumul, donc là, comme j’étais institutrice, je vais toucher mon mois de juillet et mon mois d’août, et est ce que ça va être compatible avec les émoluments que je vais toucher en tant que cadre à la télévision ? Je crois que cette femme a eu plus pitié de moi que moi de moi, voyez ? Elle a rien dit, bon. Et là aussi, quand on nous a dit qu’on été rentrés avec les poches pleines parce que qu’on avait, nous les rapatriés, là j’emploie le terme rapatriés, parce qu’on avait eu des primes, eh ben je vais vous dire, voyez je vous ai dit tout à l’heure, l’héritage de ma mère : 420 euros. Elle est morte en 2003. Eh ben je vais vous dire, si on avait eu des primes de ci, de ça, peut-être que finalement nous qui avions des hectares au soleil, on aurait pu s’acheter une maison, des… non ! Voilà. Quand justement, toujours dans la famille de mon amie, je reviendrai après à ce que je disais, encore ce jour un des beaux-frères de mon amie corse, on a failli se fâcher là mais après il s’était excusé, mais il était paysan en Corse, et un jour il m’a dit que la plaine d’Almeria, c'est-à-dire la plaine que les pieds noirs, y avait des étangs, la plaine d’Almeria aucun Corse ne voulait la mettre en… (le téléphone sonne, elle décroche).
JS : Oui, donc la plaine d’Almeria n’est pas cultivée par les Corses…
JL : Voilà, la plaine d’Almeria c'était une plaine comme les plaines, là aussi, nous les pieds noirs on a rien fait en Algérie quand même, quand vous voyez Camus qui vous raconte des histoires, y avait quand même des plaines qui ne sont pas devenues des plaines fertiles en claquant des doigts ! Là bas aussi on a travaillé ! Eh ben les pieds noirs en rentrant ils ont fait la même chose dans la plaine d’Almeria qui est devenue vraiment une prairie, enfin une prairie, je ne sais pas s’il y a des arbres fruitiers ou je sais pas quoi, mais c’est devenu une plaine fertile ! Ben ce même monsieur, qui est un monsieur que j’adore, donc un des beaux-frères de mon amie, qui me dit, voilà, les pieds noirs sont arrivés, naturellement nous les Corses on nous a rien donné, on ne donne pas de subsides ni rien du tout, mais les pieds noirs on leur a donné des sommes d’argent pour fertiliser cette plaine, dont ils ne s’étaient pas occupé auparavant, et puis alors moi naïvement, je dis, attends si on leur a fait des prêts ils ont dû les rembourser… Pas du tout ! Bon. Alors je vais vous dire, là je me suis tue, je ne savais pas. Mais je me suis renseignée ! On leur a donné de l’argent, oui, mais ils ont remboursé ! Là aussi, là encore c’est encore un mythe ! Vous voyez ? tout ça, je veux dire, je sais pas s’il y a… oui, les juifs qui ont encore davantage de défauts que nous, mais je ne sais pas si… enfin bon. Là pour le… je voulais vous raconter une histoire de mon patron que j’aime beaucoup, même s’il n’avait pas les mêmes idées que moi, moi de Gaulle il faut pas m’en parler hein. Euh…Jean Louis Guillaume donc qui était le patron de TF1, lui aussi m’avait pris en amitié, et il avait, quand vous rentriez, c'était la troisième chaîne à l'époque, et il avait un superbe bureau, on était avenue Matignon. Il avait un énorme tableau de de Gaulle. Et un jour je sais plus, il m’attaque sur… alors là je dis, même si c'était mon patron, je me suis pas laissée faire et je lui ai dit pis que pendre. Et je me souviens, je m’occupais des programmes à l'époque, et je lui ai dit voilà, j’ai vu le film de… ça, ça m’a beaucoup aidée. J’ai vu le film de André Harris et d’Ophüls sur Le Chagrin et la Pitié, et… je trouve que pour la population française, pour vous les Français, ce serait bien que les gens le voient, ce film. Oh ! La, la ! Il a failli, pas me gifler, mais enfin… Allez, sortez de mon bureau ! Enfin, ça a été… enfin bon. Vu les relations que j’entretenais avec lui, je suis revenue, bon. Mais voilà ! Et moi quand je suis arrivée et que j’ai vu ce film, et que je me suis dit, mais c’est ces mêmes gens qui sont en train… parce que les résistants, les Justes, qui est ce qui en a entendu parler ? A cette époque là ? Personne ! On en parle maintenant ! On le voit ! Les résistants et tout ça, tout le monde était résistant ! Et ceux qui se disaient résistants, c'était pas forcément ceux qui en avaient fait le plus, hein ! Madame je sais pas quoi, là, qui était dans le Puy de Dôme, je ne sais pas pourquoi je me souviens de ça, mais tous les gens qui ont été, comment il s’appelle, le psychiatre là, Sirunic, bon, euh, bon. Tous ces gens, ils se sont tus, ils n’ont rien dit ! Mais je disais, quand on est venus ici, on avait l’impression que tout le monde était… y avait pas de collabos ! Tous les Français avaient été résistants ! Et après on parlait de l’OAS, alors ça oui, aussi, je peux vous en parler de l’OAS ! Voyez, mon père, euh… à un moment donné on lui avait demandé d’être à l’OAS. Et il en a fait partie, très peu de temps. Quand il a vu les ratonnades, il a dit, non, moi je peux pas. Je veux dire, c’est comme quand les gens, c’est ce que je vous disais au téléphone ! Les gens qui m’aiment ou ceux qui me détestent, c’est pas pour ce que je suis moi ! C’est pas parce que je suis pied noir ou parce que je suis, je sais pas quoi, la femme d’Henri ! Mais donc je… je comprends pas, quoi, donc les… comment, je ne sais plus ce que je voulais dire, mais voilà, quand on aime quelqu'un, on l’aime parce qu’il est comme il est ! On l’aime pas… voilà ! Je veux dire, oui, à propos des ratonnades, mon père c’est pas possible ! Y a des gens que vous avez envie de tuer, mais ils peuvent être Français, ils peuvent être catholiques, ils peuvent être je sais pas quoi, et y en a d’autres que, voilà, qui seront vos amis ! Et vous savez, je vous racontais tout à l’heure l’histoire de Mohammed qui venait prendre le… boire ici et tout ça. Ma fille, j’ai une de mes filles qui est journaliste. Et elle a travaillé un moment donné à RFI, et elle est restée coite, elle savait pas quoi dire. Parmi les jeunes stagiaires qui sont venues la voir, y avait Sama, je sais pas quoi. Et ma fille maintenant, même en 2010, à l’envers de mon mari qui dit qu’elle a tort, quand elle dit, quand je rencontre des Arabes, j’attends un certain temps pour dire que ma mère est pied noir. Parce qu’elle a peur, même en 2010, 2011, qu’on dise encore des saloperies sur les pieds noirs ! Ce que ne veut pas entendre mon mari ! Et là donc, elle a cette stagiaire à la RFI et puis à moment donné bon elle s’est senti bien avec elle et elle a dit, bon, ma mère est pied noir et tout ça. Donc Sama en a parlé à sa mère, et bon, le temps passe, je sais pas moi je vous dis n’importe quoi mais deux ou trois mois après, ma fille vient, si vous voulez je vous montre le petit cadeau, je l’ai, ma fille vient et me dit, tiens, j’ai un petit cadeau pour toi, je suis sûre que tu vas pas savoir. Bon, c’est évident, c’est un petit fume, vous savez un petit truc pour mettre des petits bâtons d’encens, et caetera. Donc je savais d’où ça venait. Elle me dit, je suis sûre que tu ne sauras jamais qui est ce qui a pensé à toi et qui est ce qui te l’a acheté. Je cherche comme ça, je… Et je lui dis, c’est la maman de Sama. Cette femme elle ne me connaît pas ! Elle a dit à sa fille, j’ai pensé à elle qui ne peut plus mettre les pieds en Algérie, et quand je suis arrivée j’ai embrassé le sol algérien pour elle, ça je vous raconte ça c'était y a trois ans, hein, ou quatre ans ! Voilà, alors voyez les pieds noirs ? Eh ben voilà. On est des méchants, on est des… Bon, mais… et par exemple, je suis n’importe où, je vous racontais tout à l’heure, off je crois, le fait que j’ai rencontré des pieds noirs dans le restaurant, machin, et caetera, bon, eh ben si je rencontre une femme arabe ou un truc comme ça, maintenant moins, à cause de cette histoire d’islamistes et à cause du foulard. Mais quand je voyais une femme arabe, par exemple au Casino, là, qui avait des difficultés, j’arrivais et je lui demandais en arabe, tu veux que je t’aide ? Elle disait, ah la, la… Et puis si je la voyais après dans la rue, tout de suite elle me reconnaissait, hein ! Mais c’est pas l’autre bonne femme à côté ! Et je veux dire qu’on a une façon de voir les choses, nous qui avons vécu là bas, qui est complètement différente de vous, la façon dont vous voyez les gens. C’est ce que je vous disais au téléphone à propos du tutoiement ! Moi jamais, jamais j’ai dit… Jamais j’ai vu mon père dire vouvoyez moi ! On se tutoyait tous là bas ! Y avait pas de vouvoiement en arabe ! tout le monde se tutoyait !
JS : En famille vous parliez le français, bien sûr ?
JL : Ah oui. Oui, mais mes parents au départ quand on était petites, quand ils voulaient pas qu’on entende ils se parlaient arabe. Jusqu’au jour où ils ont compris qu’on comprenait. Mais avec ma sœur comme ça je baragouine. Mais j’ai perdu ! J’ai tout perdu. Je regrette, je regrette ! je m’étais renseignée justement pour savoir s’il n’y avait pas… Alors y avait de l’arabe, euh… dialectal, mais tunisien ou marocain, alors la grammaire je pense qu’elle est identique mais au niveau du vocabulaire c’est pas le même. Tenez là aussi, à la place de la… puisque vous connaissez Fresnes, à la place de la pharmacie qui est en bas près de la MJC, vous voyez, qui fait le coin. Avant y avait un Arabe, Hedy, que j’ai rencontré là y a pas longtemps. Hedy et sa femme, qui était marocain ou tunisien, puisque je lui disais, Hedy, moi ce mot là je le connais pas. Et souvent quand j’allais là bas il me disait, allez, je te fais faire ton exercice, on parle en arabe. Mais y avait souvent des mots de vocabulaire qui étaient pas les mêmes que les miens ! Eh ben là bas aussi, je veux dire, tout de suite il a su que j’étais pied noir, jamais je n’ai entendu des méchancetés d’eux, quoi ! Jamais ! Alors je vous dis, peut-être que c’est dû à notre famille ! Peut-être que c’est dû à nous ! A cause de l’éducation qu’on a reçue, je sais pas ! Parce qu’il y a des pieds noirs qui sont racistes ! Mais de là à se mettre tous dans un moule ! ça, ça me… ça me dépasse !
JS : Alors finalement, c’est quoi pour vous être pied noir ?
JL : Ben moi, pied noir ça veut dire que je suis un mélange au niveau culturel, je suis un mélange d’arabe, de juif, de… et de français, puisque je vous dis, des Espagnols y en avait pas à Tlemcen. Mais moi, mon plat national c’est le couscous ! Ou la rate farcie, si je suis chez les Juifs ! Ou, euh…
JS : Alors qu’est ce que vous avez gardé justement de ces éléments culturels ? Vous faites la cuisine, vous faites…
JL : Ah oui ! Ah oui, ah oui, ah oui. Puis y a des mots comme ça qui reviennent. Y a des mots, des mots courants, quoi, qui me viennent normalement, quoi… Alors maintenant je m’aperçois que c’est devenu, maintenant c’est très bien d’avoir des mots arabes dites par les Français de souche. Je dis pas que je ne suis pas Française de souche, mais (elle rit)… mais c’est pour dissocier voyez ? Non vous savez, nous, les Français de souche, enfin pas de souche, les Français de la métropole, on les appelait les Frankaoui. Voilà. Moi j’étais la roumia, ou roumi pour les… Roumi, Frankaoui, Roumia, Frankaouia. Voilà, pour moi vous êtes une Frankaouia. Voilà. Et vous n’êtes pas pareille que moi. Alors moi, ce que j’ai ramené… par exemple, un petit truc, j’ai l’habitude, j’allais pas au hammam là bas, mais euh… quand on prenait le bain dans la fameuse grosse bassine, quand il se faisait que Aïcha et Yasmina, les deux seules bonnes qu’on a eues à la maison, qui se sont relayées pour les raisons que je vous ai dites tout à l’heure, elles me disaient en arabe, tu veux que je te frotte le dos ? Elles me frottaient le dos mais elles avaient toujours une… ce qu’on appelle nous en français la torche, c'est-à-dire c'était du… pas du raphia, de la… de l’alpha, et si vous me dites de vous la montrer j’ai toujours de l’alpha, pour me laver, voyez ? Qu’est ce que j’ai…
JS : La cuisine ?
JL : La cuisine, bon la cuisine j’ai la frita, j’ai…
JS : Donc vous faites encore toutes les recettes traditionnelles ?
JL : Ah oui ! Oui. Pas les cornes de gazelle (elle rit), mais… tout un tas de plats, euh… Et j’ai toujours, si vous venez à la maison, d’ailleurs elle le sait ma voisine, que j’aime beaucoup, l’autre fois elle m’a dit, oh Jeanne je cherche du paprika, ou qu’est ce qu’elle m’a dit, je sais pas quoi… Moi j’ai du curcuma, du paprika, toutes les épices, euh… et… et je vous dis, les carottes au cumin, le nombre de… cette recette de carottes au cumin, parce que c’est tellement facile à faire, je la donne à qui la veut, quoi, voyez… Qu’est ce que j’ai gardé là bas ?
JS : Musical ? Non ? Littérature ?
JL : Ah oui ! Alors moi je suis, enfin, je suis, je l’ai été. J’ai beaucoup, beaucoup lu de… Moi j’avais fait, j’avais eu un très bon contact d’ailleurs avec lui, de Kateb Yacine ! J’avais fait une… bon. Et là moi maintenant, Malek Chebel, euh… y en a un, Abdel Hak… oh, je sais plus son nom, mais qui est… Moi tous les… Je vais dire, par exemple, moi ce que j’ai de là bas, par exemple j’ouvre le journal Le Monde, en général s’il y a un truc sur la Tchétchénie, je sais pas… Elle existe encore la Tchétchénie ? J’en sais rien, bon. Sur les pays de l’Est par exemple, bon, je regarde en travers mais s’il y a un truc sur le Maghreb ou en particulier sur l’Algérie, ça vous pouvez dire que je… je le vois ! S’il y a une émission sur l’Algérie, je la rate pas ! je veux dire, c’est quand même… Moi je dis aps que je suis Française d’ici ! Moi je suis Française d’Algérie ! Je suis de là bas !
JS : Et donc en fait quand on vous demande si vous avez la culture pied noir, vous répondez Maghreb en fait, ou Algérie ? Pour vous y a rien de spécifiquement pied noir ?
JL : Ben non. Non, parce que le pied noir c’est un mélange de tout ça ! Voyez encore, je vous dis, hein, avec internet, j’ai un copain qui m’a dit, euh… ben on va faire des brochettes, ben moi les brochettes j’en ai même jamais mangé ici, c’est… je vous dis, c’est la gastronomie, c’est… c’est, je sais pas être pied noir, c’est, j’en sais rien…
JS : Mais par exemple la gastronomie pied noir, est ce qu’on mangeait différemment lorsqu’on était pied noir en Algérie avant 1962 et comme Algérien qui vivait sur place ?
JL : Alors moi je vais vous dire, aussi bien mes deux grands-mères, elles faisaient pareil, les poivrons grillés, les… aussi bien l’une que l’autre ! Alors l’autre, celle qui avait épousé mon grand-père Licht, comme elle avait connu sa belle mère, elle faisait énormément de plats alsaciens. Donc moi je sais faire des trucs alsaciens. Mais mon autre grand-mère qui était pied noir, pied noir, ben je veux dire que… elle faisait les Berkoukes, elle faisait la Tassina, elle faisait, euh… je vous dis, tout était, voyez… impliqué, tout… y avait pas une spécificité… Alors je sais pas si…
JS : Après y a peut-être des régions, aussi ?
JL : Ah ben je vous dis, nous c'était vraiment arabe et juif ! Moi c’est pour ça que je vous dis, je n’aime pas, bien sûr je revendique, si devant moi vous attaquez les pieds noirs, je me sens pied noir. Voilà, c’est une définition ça aussi. Mais je peux vous dire quel con, quel con de pied noir ! et c’est pour ça que j’aime pas du tout être dans un truc, les pieds noirs c’est comme ci, les bretons c’est machin, voyez, bon. Eh ben… moi je dis qu’un pied noir c’est comme un breton ou comme un, je sais pas quoi, euh… moi j’ai bien connu Denise Fabre parce que j’ai dit en rigolant, j’étais sa cheftaine, j’étais cheftaine des speakerines, bon, eh ben, aussi bien Evelyne Leclerc que Denise Fabre, elles étaient niçoises, leur cuisine c'était la cuisine niçoise ! Bon ben moi c'était la cuisine de là bas ! C’est… c'était un mélange, quoi, c'était… Voilà. Du terroir.
JS : Donc vous diriez méditerranéenne, pas spécifiquement…
JL : C’est culture méditerranéenne. Oui. Parce que quand je vais en Grèce j’aime bien manger les poulpes ! Donc euh… oui, moi je suis vraiment méditerranéenne. Voyez, quand on a dû acheter une maison, mon mari qui est limougeaud, ça c'était exclu pour moi d’aller en vacances là bas, hein, mes beaux parents avaient une maison dans le Limousin, c'était l’été, pour mes enfants j’avais une valise d’hiver une valise d’été, euh… une valise d’été parce qu’on allait encore chez ma copine, et une valise d’hiver parce qu’on arrivait dans le Limousin où c'était la pluie et machin ! Et puis mes filles, par exemple mes filles, mes filles vraiment, je dis qu’elles sont pieds noires !
JS : Ah oui ?
JL : Ah oui. Parce qu’en plus moi ma sœur, donc qui a toujours été instit, moi quand je travaillais à la télé, au mois d’août je prenais des vacances, donc au mois de Juillet mes filles étaient là ! Et donc moi j’ai, voyez pour vous dire, moi la dame qu’on appelait qui s’appelait Mamita qui était la femme de ménage de ma sœur, ben sa fille, c'était la nounou qui s’occupait d’elle et qui s’occupait de la maison ! Bon, eh ben y avait Elise, et donc cette femme c’est leur mère, et elle aussi elle est morte d’un cancer, ça a été l’horreur pour nous tous ! Parce que c'était comme ma sœur. Bon, eh ben le, avec Elise, je l’ai emmenée partout, quand son mari voulait bien, mais les filles, alors elles avaient un peu d’espagnol, elles regrettaient justement qu’Elise ne leur parle pas suffisamment espagnol, mais elles étaient pieds noires d’autant qu’au mois de juillet, quand Elise ne pouvait pas les garder, c’est ma sœur qui les prenait ! Donc elles ont aussi été élevées avec ma sœur, tout le mois de juillet elles étaient avec ma sœur ! et ma sœur c’est la vraie pied noire aussi !
JS : Et je ne sais pas si vous en discutez, elles se sentent pied noires ?
JL : Je ne dis pas qu’elles se sentent pied noires totalement, mais elles aussi, elles n’éludent pas. Parce que moi, parmi les pieds noirs, y en a énormément qui ne veulent pas le dire, qu’ils sont pieds noirs, et qui éludent. Et moi je vous dis, comme dit mon mari, y a pas un quart d’heure que je suis avec quelqu'un que déjà il sait que je suis pied noire. Moi j’ai revendiqué ça. Et si j’ai revendiqué ça, c’est à cause de toutes les attaques que j’ai eues quand je suis arrivée.
JS : C’est négatif en fait ?
JL : Ah complètement. Complètement. Je ne sais pas si je l’aurais revendiqué d’une façon aussi virulente si je n’avais pas eu toutes ces attaques. Moi je crois que je… je suis assez généreuse de nature, et moi si vous me demandez un service, si je vous aime bien, je ferais n’importe quoi. Voyez là, y a une dame qui fait de la gym et de la piscine avec moi, c’est pas quelqu'un de… son mari était facteur, oui, puisqu’il est à la retraite, ben hier voyez j’étais bouleversée. Parce que cette femme donc a un cancer, on lui a fait l’ablation du sein, et quand j’étais à la piscine, elle habite juste à côté de mes enfants donc je vais la voir de temps en temps, mais je tape à la porte, je dis comment tu vas, et je m’en vais, parce que comme on a vécu ça, nous, les gens qui téléphonent, qui restent une heure, qui savent pas… bon. Donc je sais, en étant passée par là, ça a duré onze ans le calvaire qu’on a vécu avec mon neveu, donc pendant ces onze ans, je sais de quoi je parle. Donc je suis passée hier parce que j’avais entendu dire que son mari avait eu, il était tombé devant les poubelles et il était dans le coma. Donc ça m’a fichu un coup, donc je suis passée la voir hier, et elle m’a dit, effectivement, ça va beaucoup mieux mais ça fait trois semaines, comme j’étais partie, ça fait trois semaines que mon mari est dans le coma. Mais ça va… mais ça m’a fichu un coup. Elle a pas d’enfants, je sais qu’elle voulait en avoir des enfants, elle n’en a pas eu, et moi elle me fait de la peine cette femme. Et je lui ai dit, tu peux m’appeler mais n’importe quand !Et je vous jure, ce que je dis, je le fais ! Et je suis toujours… j’aime rendre service ! Moi j’ai passé mon temps, vous voyez là par exemple, je vous ai dit que mon mari avait eu un prix… (incompréhensible), bon ! J’ai rencontré des vieux copains à moi, eh ben parmi ceux que j’ai rencontrés y en a deux, un pied noir et un autre, Jean-René Bouillet, qui continue à travailler, et ils m’ont dit, ah la la, si tu savais comme tu nous as aidés quand on est arrivés ! Ben voyez, je savais pas ça, je m’en souvenais pas ! Eh ben ça m’a fait plaisir de voir que finalement, comme j’ai pas toujours eu une très haute idée de moi, donc là je me suis dit, eh ben finalement j’ai rendu service, et sans… vous savez l’histoire, je donne, tu rends… non ! Moi… Oui, si je t’invite dix fois chez moi et que tu m’invites pas une seule fois chez toi, je dirais, bon ben on passe à côté. Mais où que j’aille, où que j’aille ! Et je pense que ça aussi c’est pied noir ! Où que j’aille je me fais des amis ! Et on me recherche ! J’ai fait de l’encadrement, je vous ai dit j’ai fait du bénévolat à l’institut cancérologique de Villejuif, en pédiatrie, vous savez, y a des jours où c'était dur, hein ! Eh ben moi, la plus grosse… le plus gros merci qu’on m’ai dit, c’est un couple, jeune bien sûr, qui sortant de la… du rendez vous avec le médecin, la femme elle est venue, elle s’est effondrée dans mes bras, et c’est dans mes bras qu’elle s’est effondrée ! Voyez ? Et donc je me dis, eh ben au moins… Et je vous dis, je pense que c’ets mon état de pied noir. Les pieds noirs ils sont sympas. Ils sont sympas, ils sont conviviaux, ils sont… Et moi je vais dire, je… ils sont carrés. Quand ils donnent quelque chose, ils le donnent, et voilà, c’est ça.
JS : Et c’est quelque chose que vous avez rencontré… parce que finalement vous avez ce… ce que vous avez vécu entre zéro et vingt quatre ans, et puis après y a tout le reste de votre vie où vous avez croisé des pieds noirs mais pas seulement, et c’est resté quand même pour vous une caractéristique… dans les gens que vous avez rencontrés après ?
JL : Ah oui, ah oui ! Y a une solidarité… Mais peut-être que, je vous dis, cette solidarité elle existe chez les bretons ! Ou chez les je sais pas quoi ! Mais cette solidarité elle existe. Et dès qu’il y a un pied noir, vous rigolez, vous… il va pas s’apitoyer sur son sort ou il va s’apitoyer, il va pleurer un bon coup mais après il va repartir, il dit les choses, moi je trouve ça encore… ben voyez, je vais vous dire, moi je trouve que les Frankaoui ils sont secrets, ils disent pas les choses, on sait jamais ce qu’ils pensent, les pieds noirs vous savez toujours ce qu’ils pensent ! Et si j’ai autant de… voyez, quand par exemple je travaillais à TF1, j’avais un copain qui est juif, lui, comment… ashkénaze, pas séfarade. Il avait fait un… une émission sur la Moï, vous savez… et il avait fait ça sur la 2. Et c'était avant 1981. Et donc à ce moment là j’étais à TF1, et un jour il me téléphone, il me dit, je voudrais bien que tu visionnes une de mes émissions. Je lui dis, pourquoi tu me demandes ça ? Il me dit, parce que là en ce moment je ne rencontre que des gens qui n’osent pas me dire les choses et je sais que toi, avec toi j’ai aucun problème, tu me les diras. Et d’ailleurs pour ce film je lui avais dit, tant que la droite sera au pouvoir, tu ne pourras pas le programmer, il ne sera pas programmé. C’est ce qui s’est passé, et il a été programmé après 1981, alors que l’émission avait été faite, réalisée, je dis n’importe quoi, en 1978 ou 1977, enfin je sais plus !
JS : Et donc par rapport à cette histoire de… de réseau, donc vous avez recroisé des pieds noirs, et caetera, vous n’avez pas fait partie d’une association de pieds noirs ?
JL : Non.
JS : Y a pas eu de manifestations autour de ça… en dehors de l’aspect familial ?
JL : Non, parce que là aussi, si vous voulez, peut-être c’est lâchement, voyez, je vous disais qu’au contraire j’allais direct chez les gens, mais moi j’ai pas envie qu’on me dise des choses sur les Arabes que je pense pas, que j’ai jamais pensées, et y a certains pieds noirs qui sont racistes. Et je veux pas les entendre parce que j’ai pas envie de les entendre, parce que je sais ce que ça va être, et c’est du même acabit que je ne veux pas entendre mon voisin dire du mal des pieds noirs, parce que c’est pas vrai ! Y en a, bon, dire que y avait les plages interdites aux Arabes et tout ça, non ! Moi ça ne m’intéresse pas ! ça ne m’intéresse plus. Ce qui m’intéresse, c’est de voir les gens que j’ai rencontrés… Et puis vous savez, y a tellement de gens qui embellissent, ou qui gomment, et caetera, moi je suis quelqu'un de vrai, et donc je ne veux pas. Et vous savez, à la télé y en a énormément de pieds noirs, quand… parce qu’il y avait la… comment ils appelaient ça, la… la télévision algérienne, quoi, bon… en 1962 ils ont tous été rapatriés, hein, donc… ils ont été… y avait une armada de pieds noirs ! Bon ben y en a, quand ils me disaient je ne sais pas moi, sale Arabe ou… les bicots et tout ça, moi ça me plaît pas. Ça me plaît pas. Alors pourquoi est ce que je vais me battre avec ces gens là, déjà j’ai à me battre avec des gens que j’aime bien parce qu’ils disent des choses que moi je ne supporte pas qu’on dise des pieds noirs, en général, mais donc je ne vois pas pourquoi j’irais me battre avec des pieds noirs, je vous dis, qui vont être... pas sympas avec les Arabes !
JS : Et alors selon vous ça va perdurer la communauté pied noire ?
JL : Non. Non. Moi je dis que ma génération c’est la dernière ! Parce que mes filles, qu’est ce qui va leur rester ? Il va leur rester le couscous, peut-être ma façon directe d’aller en plein dans les gens… mon caractère à moi, quoi, mon caractère très entier ! Avec ses défauts et ses qualités ! Donc… non, non. Elles seront peut-être… parce que je sais pas si elles sont fières… non, elles sont pas fières ! Si vous voulez, elles sont fières de voir ce que je suis, moi, et ce qui m’en reste et comment je me suis comportée là bas, parce que voyez toutes les choses que je vous raconte, là, de cette réunion, du truc de mon mari y a pas longtemps, ma fille était là ! Donc elle a entendu tout ça ! Donc elle était heureuse de voir que j’étais comme elle me sent, comme elle me connaît, bon. Mais… mais elle connaît des pieds noirs qui sont des sales cons ! Donc je pense qu’elle ne revendiquera pas! Non, je… moi je dis que nous sommes la dernière génération.
JS : Et donc vous m’avez parlé du retour en Algérie, que vous êtes retournée en 1968, vous êtes retournée de nouveau après, est ce que vous avez emmené vos enfants, ou pas ?
JL : Eh non ! En 1982 je vous dis ma sœur y est allée, et elles étaient trop petites mes filles pour y retourner. Je crois qu’elles aimeraient qu’on y retourne, voyez ? mais bon, je ne sais pas si je le ferai. Là avec cette amie, toujours le même, kiné, l’autre fois je lui téléphonais et je lui disais, tu sais, d’ici que je te rejoigne pour aller avec toi, parce qu’en plus là bas il est accueilli par son copain d’enfance, donc je serais avec lui et je serais avec ce garçon, et que là je pourrais faire…
JS : Parce qu’il y a des pieds noirs qui sont restés là bas ?
JL : Non ! Ce garçon, le copain d’enfance c’est pas un pied noir, non, non ! C’est un… un Algérien ! Non, nos copains d’enfance, on n’en a plus, moi je ne connais plus de pied noir qui soit resté là bas ! Tout le monde est rentré !
JS : Y en a eu, hein ! Y en a eu quelques uns. Très peu.
JL : Oui, mais pas beaucoup. Pas beaucoup. Non, c’est… Non, voilà, j’y suis retournée en 1984, je vous dis, mais euh… mais là, mes filles aimeraient bien y retourner. Y aller, pas y retourner, y aller. Mais bon. Je… Inch’allah !
JS : Parce que bon, je suppose que la famille… pas vos parents, mais vos grands-parents sont enterrés là bas ?
JL : Oui, mais y a le camping maintenant à la place du cimetière !
JS : Ah !
JL : Eh oui y a tout ça, si vous voulez, c’est pour ça que… on a tellement de rancœur, pas spécifiquement contre le gouvernement français, ou contre les Français, ou contre les Arabes, et tout ça, mais c’est ce que je vous dis à propos des pieds noirs, y a des gens pieds noirs que je déteste, y a des Arabes que je déteste, y a des gens du gouvernement français que je déteste et y a des Français métropolitains que je déteste ! Y en a d’autres que j’aime bien. Voilà. Mais moi je dis que le gouvernement français, ils se sont comportés d’une façon, mais… dégueulasse. Aussi bien avec nous, mais nous encore on était Français, mais euh… voir maintenant avec les Arabes, se demander pourquoi maintenant y a tellement de gens qui vont voter Front National et tout ça, même parmi les Arabes, qu’est ce qu’on a fait pour eux ? C’est… c’est lamentable ! Les harkis, les fils de harkis, Jeannette Bougrab, là, quand elle parle de tout ça, y en a une autre qui a fait un bouquin, je sais plus comment elle s’appelle… qu’est ce qu’elles ont dû souffrir, ces filles là ! Et c’est pas encore aujourd’hui qu’elles vont s’en sortir et qu’ils vont s’en sortir, tous ces gens ! Heureusement, y a des filles comme Dati, comme Fadela Amara, que je mets pas dans le même… encore que, mais enfin bon. Mais c’est des filles qui en veulent et qui vont s’en sortir parce que y a pas le poids de la religion sur elles, la religion, j’entends, les rites et coutumes qui ne sont pas dans le Coran mais que certaines filles pratiquent maintenant, hein. Je vous dis, moi ça… ça je ne supporte pas. De temps en temps, je dirais pas comme certains retourne dans ton pays mais de temps en temps j’aimerais bien qu’elles retournent là bas voir les femmes, comment elles vivent les femmes au Maroc, et peut-être que j’ai tort pour la Tunisie parce que quand on voit la Tunisie, ce qu’a fait, comment il s’appelle, l’ancien président de la République, là. Bourguiba. Là, lui il avait compris. Mais là vous voyez, par exemple on avait des amis marocains. Elle, elle est française, de la métropole, et lui Hakim, il est avocat au Maroc, ils habitent Casablanca. Et Monique, dès qu’ils viennent à Paris, dès qu’ils viennent je leur fais, alors là je leur fais pas de la cuisine arabe j’oserais pas, je leur fais de la bonne charcuterie, parce que là bas ils mangent pas de ça, et Hakim il s’en met jusque là ! Et ils boivent, enfin ils boivent, je veux dire, ils aiment boire de l’alcool. Et là Monique, je l’ai reçue, en général ils arrivent toujours en juin, voyez, je suis étonnée tiens, certainement ils vont me faire signe, eh ben elle m’avait dit, maintenant quand j’achète de l’alcool, je vais chercher de l’alcool dans un truc à perpète-les-oies, et quand je vide les bouteilles, je vais dans une poubelle à je ne sais pas trop combien… Voyez ? C'était l’an dernier qu’elle me racontait ça. Alors je sais pas avec ce qui s’est passé avec les jeunes qui se sont révoltés, enfin bon, pas tellement au Maroc, mais voyez, bon. Donc ils n’osent plus boire de l’alcool comme ils osaient en boire avant !
JS : Tiens d’ailleurs c’est une question que je ne vous ai peut-être pas posée ! Les pieds noirs pour vous c’est l’Algérie ou c’est la Maghreb dans son ensemble ?
JL : Ah ben alors je vais vous faire une réflexion, que moi j’avais pas pensé, moi j’aurais dit le Maghreb. Et je vais vous dire, un jour j’étais dans le train de Marseille à Paris, et à moment donné je voyais quelqu'un, enfin bon, et puis je me retourne et c'était madame Guigou qui était derrière moi. Donc voyez, c'était euh… avant 1995, quoi. Et comme mon mari avait participé à je sais pas quoi, enfin bon, euh… et qu’elle avait dit qu’elle aussi elle revendique d’être née là bas, au Maroc, et en passant je lui avais dit, ah, bonjour madame Guigou, je suis la femme de, bon. Et euh… elle me dit, d’où êtes vous ? Je lui dit, je suis d’Algérie. Ah, elle me dit, mais vous vous êtes une vraie pied noire. Voilà. J’ai répondu à votre question. Donc les vrais pieds noirs c’est ceux qui étaient en Algérie. Parce qu’il n’y avait pas de protectorat, c'était une vraie… et d’ailleurs ce qui est drôle, c’est que sur mon numéro de sécurité sociale, le 92 c'était le département de Tlemcen. Et donc mon numéro de sécurité sociale c’est 2, 01, 92 ! tenez, à propos de ça, quand j’ai dû refaire faire ma carte d’identité, c'était y a pas longtemps, c'était au moment où, voyez, bon, Anne Sinclair… Bon. Donc je vais à la mairie, je fais mes papiers et caetera, et au lieu de me faire naître en janvier on m’avait fait naître en février. Donc je voulais que tout soit rétabli. Donc avec mes papiers j’avais la photocopie de l’extrait de naissance, avec le cachet, machin, et caetera. Et il me manquait, et peut-être qu’il me manquait le livret de famille de mes parents, ou un truc comme ça. J’arrive à Villejuif, au machin du tribunal de Villejuif, et on me dit… j’avais un passeport, j’avais une carte d’identité ! J’avais cet extrait de naissance ! Je montre tout sur la table, la fille me dit, euh, vous euh… mais il faut que vous me prouviez que vous êtes Française ! Alors là, je vais vous dire ! Je me suis rapprochée d’elle, je lui ai dit, je ne sais pas quel âge vous avez, trente, trente-cinq ans, mais je vais vous dire : est ce que vous connaissez, comme tous les Français, vous ne connaissez pas l’histoire de France ! Eh ben moi je vais vous l’apprendre. Est ce que vous savez qu’à un moment donné les Alsaciens-Lorrains ils étaient une fois Allemands, une fois Français, une fois Allemands, une fois… bon. Alors moi, mon arrière-grand-mère, qui s’appelait madame Machin, eh ben elle s’est expatriée de France métropolitaine pour ne pas être Allemande, elle s’est expatriée en Algérie. Et maintenant vous voulez que je prouve ? Alors la fille elle me dit, ben écoutez on va faire comme si vous m’aviez donné tous les papiers, je considère que.
JS : Comme quoi y a des fonctionnaires pas bornés, ça existe (rires) !
JL : Oh oui, oui, ça existe ! Je vous dis, c’est toujours pareil, les étiquettes ! (coupure ?) Alors attendez, moi je vais regarder si j’ai pas des trucs que j’ai…
JS : Alors ceci étant, il n’est pas certain qu’on ne se revoit pas, parce que c’est tellement riche, ça dépend si vous en avez la disponibilité, hein…
JL : Oh moi je suis disponible ! Je suis disponible (Elle revoit ses notes).
JS : Vous aviez pris des notes ?
JL : Ah oui, oui !
JS : Sur ce qui vous a marqué en fait, c’est ça ?
JL : Ben oui parce que quand vous m’avez… Oui, vous m’avez prise au dépourvu ! Parce que je n’avais pas fait cette introspection quand même, hein !
JS : J’imagine.
JL : Je me suis dit, bon. Ma fille journaliste, voyez, je vous ai raconté l’histoire de Sama… (elle revoit ses notes). Ah oui, là aussi ! Est ce que vous avez entendu parler du nombre de disparus ? Là voyez, y en a eu, des charniers, en Algérie ! Bon, la, comment, la torture, quand vous parlez de la torture vous ne parlez que de la torture dans un sens ! Vous entendez rarement parler de la torture dans l’autre sens !
JS : ça commence à venir.
JL : Bon. Les disparus, moi, voyez, ma mère est morte à quatre-vingt-dix-sept ans. En 1989 je l’ai fait venir de Six-Fours parce qu’elle avait décidé de vivre là bas et de pas venir ici parce qu’à cause du temps machin, c’est son problème, et donc, finalement, à plusieurs reprises elle est tombée et on a dû la mettre dans la maison de retraite à L’Haÿ-les-Roses qui est très bien d’ailleurs. Jean XXIII. Qui est juste à côté, derrière la roseraie. Et là j’ai essayé de retrouver des pieds noirs, j’en ai retrouvé deux ou trois. Et une qui habitait à Tlemcen (elle rit), vous vous rendez compte ? Qui nous avait connus, dont je connaissais le fils ! Que j’ai rencontré parce qu’il était venu la voir ! Voyez ? Bon. Et y avait une dame, madame Pérez, voyez je me souviens. Et là vous voyez je m’en veux parce que je me suis dit, il aurait fallu que je continue à la voir et tout ça. Cette femme, elle a perdu sa fille, enfin elle a perdu : sa fille a disparu, elle ne sait pas ce qu’elle est devenue. Bon, les disparus, on n’en a plus entendu parler. Voilà, c’est ce que je voulais vous dire. Voyez, là, l’autre fois, on a montré, et j’ai trouvé ça formidable, dans le Nouvel Obs on a montré, je l’ai le Nouvel Obs je peux vous le montrer, on a mis des photos d’identité des cinquante-huit jeunes disparus d’Afghanistan. Cinquante-huit ! Voyez ? Bon. Est ce qu’on a parlé des disparus, est ce qu’on a fait des trucs pour les disparus ? Jamais ! Tout ça, les cellules psychologiques, tout ça, les pieds noirs, on n’y a pas eu droit. Euh… Cellules, ok, j’ai dit… (elle consulte ses notes) ben voilà !
JS : Sinon je vous avais demandé au téléphone si vous aviez des choses éventuellement qui pourraient être de nature à être exposées, puisqu’on est un musée ?
JL : J’ai rien.
JS : Objets, photos, documents ? ça peut être du papier, c’est pas forcément un objet. Alors après vous pouvez y réfléchir, on a du temps, quelque chose qui peut être aussi du domaine culturel.
JL : Alors non, pas du tout. La seule chose que je… Mais il faudrait que je cherche, je sais pas où je l’ai foutu… c’est l’extrait de naissance je crois, non, ou le… machin de naissance, certificat de naissance, hein, ça s’appelait comme ça je crois, de mon arrière-arrière-grand-père qui est né à Sidi-Chami en 1800-je sais pas quoi. Peut-être que je peux l’avoir. Mais je vous garantis rien. Mais en dehors de ça, non.
JS : Après ça peut être aussi… des recettes de cuisine que vous…
JL : Non.
JS : Que vous faites et que vous avez transmis à vos filles… ça peut être aussi ça.
JL : Oh ça, si vous avez d’autres pieds noires elles pourront mieux vous dire que moi, quoi. Non.
JS : Non, c’est si vous tenez particulièrement à quelque chose, je donne des idées, je ne…
JL : La seule chose, la seule chose que j’ai d’Algérie, voilà, c’est ça.
JS : Un bracelet en or.
JL : Les fiançailles de mes parents. On l’a pas volé. Mais… non. Je… je n’ai absolument rien. Des photos, mais des photos de ma maison, des photos je veux dire, toutes bêtes, quoi, des…
JS : Alors vous auriez pas de photo de…
JL : Du village ?
JS : Non, ou de l’arrivée ! C'est vrai que c’est évidemment pas évident de faire des photos à ce moment là, j’imagine bien, mais…
JL : Non, déjà, et même moi petite, j’en ai très peu. Mes parents n’étaient pas du tout versés là dedans, j’avais un oncle qui faisait énormément de photos mais qui faisaient des photos de groupe, quoi, de la famille, mais bon en dehors de ça… je vois pas ce que ça peut apporter au côté pied noir, quoi, voyez… ça va ?
JS : Non, je regarde… Parce qu’après mon enregistrement il va…
JL : (rires) Non, je vois pas. Je vois pas du tout. Je vais demander à ma sœur, mais…