Charles Jabinet
Retranscription
Enquête orale
'Charles Jabinet'
Exposition Pieds noirs ici, la tête ailleurs
Date : 9 Juin 2011
Enquêteur : Juliette Spire
N° d’inventaire : 2011.3
Retranscription fait par Elsa
Juliette Spire : Monsieur Charles Jabinet, le 9 juin 2011. En fait on va parler de votre parcours. Vous vous n'êtes pas né en Algérie, mais est-ce que vous pouvez me parler de vos premiers contacts avec l'Algérie et de votre relation à l'Algérie ? Charles Jabinet : Parler de mon premier contact à l'Algérie ça va être difficile puisque je suis arrivé tout bébé là-bas, j'avais pas... JS : Ah, vous êtes quand même arrivé très très jeune alors... CJ : Tout bébé. JS : Ah ! Tout bébé. CJ : Je devais peut-être pas tout à fait deux ans. JS : D'accord, c'était dans quelle région ? CJ : A Oran. JS : D'accord, et pour quelle raison votre famille s'est installée en Algérie ? CJ : Oh, ma mère était mère célibataire, et elle a eu des propositions pour travailler en Algérie dans la restauration. La jeunesse a fait qu'elle a tenté l'aventure. C'est comme ça qu'avec ma grand-mère, mon frère et moi on s'est installés en Algérie. JS : D'accord. Elle venait de quelle région de France ? CJ : Paris. JS : D'accord. Et ça c'était, si vous êtes né en 1932, c'était en 1934 ? CJ : 1934-35, oui. JS : D'accord. Est-ce que vous pouvez me parler de cette première partie ? Alors évidemment ça paraît un peu énorme, mais de la façon dont ça se passait là-bas à Oran, comment vous viviez, entre les différentes communautés... CJ : A partir de quel moment ? JS : Je sais pas, gamin, à l'école... CJ : Jusqu'à l'âge de 6 ans, on est restés à la maison, et à partir de six ans on allait à … on dit maintenant des garderies, là-bas c'étaient pas des garderies, on appelait ça l'asile. Alors quand les parents avaient besoin de faire quelque chose, ils nous mettaient à l’asile. Mais on appelait pas ça l’asile à Oran, on appelait ça la petite zile. Mais zile c'était... un genre de garderie. Mais les premiers contacts c'est la maternelle bien sûr, et puis l'école primaire. JS : Donc l'école primaire vous étiez avec d'autres pieds noirs, Européens, c'était mélangé, c'était comment ? CJ : Y avait, à l'école primaire, y avait un peu de mélange. Euh, pas beaucoup, parce que le quartier voulait que ce soit en majorité, mais y avait quelques musulmans, quelques juifs. Mais ça ne posait pas de problèmes, entre nous les gosses ça ne posait pas de problèmes, ça se passait très bien. Le souvenir c'est bon, l'insouciance des enfants, la proximité de la mer, on sortait beaucoup parce qu'on était pas loin de petites forêts, le quartier de saint Eugène où on vivait on faisait tout juste un km et on était dans la campagne. JS : Donc vous étiez logés comment? CJ : On était logés dans une villa, en location. On a eu au début quand on est arrivés on était dans une première villa mais comme on a eu... parce qu'on vivait avec un oncle aussi, un oncle d'adoption, c'est chez lui d'abord qu'on est arrivés, et puis... c'était petit. C'était très bien, très beau, mais petit. On a... Ma grand-mère avait trouvé une villa et on s'est installés là-dedans. Alors on avait chacun sa chambre. Le gosse, avoir sa chambre, vous pouvez pas vous imaginer le... JS : Grand-mère, ça veut dire que l'ensemble de la famille était partie à Oran ? CJ : La mère de ma mère, oui. JS : Elle était partie avec elle ? CJ : Avec elle oui. C'est elle qui nous a élevés, parce que ma mère travaillait. Ma mère avait le rôle du père et ma grand mère le rôle de la mère. Et puis bon comme c'était la guerre l'école publique avait du mal à avoir des fonctionnaires, instituteurs, tout ça, parce que tout le monde partait à la guerre, euh... Par l'intermédiaire d'un prêtre, ma mère nous a mis dans une institution catholique, un collège, Notre Dame de France, où nous avons... moi j'ai été du cours moyen, du CM1 jusqu'à la troisième, et mon frère lui il est parti de la sixième, il a cessé ses études, il voulait faire la profession de pâtissier. Et après la profession de pâtissier, quand il a été ouvrier, il est parti à Alger faire l'école hôtelière, pour être cuisinier. Et quand il a eu son diplôme, je sais pas si on disait CAP à l'époque, il est parti, il a travaillé à Alger quelques temps, et puis il est parti en France faire une saison à Deauville, et puis il a dit je reviens pas, je reste en France. C'est vrai en France on avait beaucoup plus de facilité dans le travail qu'en Algérie. En Algérie le travail... JS : Et donc vous le parcours après la troisième ? CJ : Oui, et moi je suis rentré dans un atelier de modelage mécanique. Le modelage mécanique c'est de la mécanique sur bois pour faire des moules pour la fonderie. Et j'ai fait ça jusqu'à 22 ans, mais entre temps j'ai fait mon service militaire dans la marine nationale. JS : Le service militaire c'était quelle année à peu près ? CJ : En 54 ma mère a trouvé un monsieur formidable, pour qui mon frère et moi on avait un profond respect, avec lequel elle s'est mariée. Et comme il avait son travail ici en région parisienne, il travaillait chez Trefi Métaux, ma mère est venue s'installer, puis elle est revenue chercher ma grand-mère. Moi je suis resté seul avec ce vieil oncle d'adoption, et puis comme j'avais connu entre temps ma femme, j'ai cherché à faire une autre profession parce que le modelage mécanique devenait très difficile parce que la France avait repris son activité industrielle, tout ce qui était fait sur place revenait extrêmement cher par rapport à ce qui était fait en France. Bien sûr, en France il y avait des moyens de faire qui n'existaient pas en Algérie. Alors ça devenait extrêmement cher alors le travail... alors moi j'ai envisagé de faire autre chose. J'ai passé divers concours. Le premier concours, je suis rentré comme aide comptable aux travaux maritimes, à Mers-el-Kébir, j'y ai travaillé quelques mois, j'ai passé des concours à la douane, j'ai passé des concours à la police marocaine, j'ai passé des concours... et le concours auquel je ne m'attendais pas, c'était la police parisienne. Mais c'était une erreur complète de ma part, parce que je savais pas qu'à Paris quand on rentrait dans la police parisienne, on y faisait toute sa carrière. A l'époque. Après, la loi de 1966 a permis qu'on puisse changer. Permuter. Donc je suis arrivé comme ça en 1955-56, je suis arrivé à Paris, je me suis installé en ayant eu la promesse d'Elyane de revenir et de me marier. Sinon, si elle m'avait dit non, je restais en Algérie, je rentrais pas dans la police à Paris, et elle m'a dit écoute, faut peut-être réfléchir, je dis pas non au mariage, faut peut-être réfléchir si on quitte l'Algérie, et vus les événements en 1956 déjà, on s'est mariés en 1956, on a pris la décision de s'installer ici. Alors bien sûr je peux vous parler de l'école, du collège, du travail, des associations sportives, des relations entre copains de quartier, des aspirations que les uns et les autres avaient, nos contacts avec les Arabes et les juifs... JS : Comment ça se passait le mélange entre Européens, catholiques ou juifs, et musulmans? CJ : La ville d'Oran c'était 360 000 habitants, 300 000 Européens, 60 000 musulmans. C'est dans les livres, hein ! Dans les Européens, je compte les Juifs. Quoique les juifs oranais, beaucoup étaient séfarades, orientaux. J'ai des documents où à l'époque les juifs orientaux s'habillaient comme les Arabes, avec des signes qui leur appartenaient. Mais ils vivaient comme nous, une fois que la pacification de l'Algérie s'est faite en 1830, les juifs se son européanisés. Il n'y avait aucun problème. Bon, entre gosses y avait des petites batailles de quartier, avec les Arabes aussi, mais après on se retrouvait, dans le sport. A l'école y avait pas de problème, à l'école laïque, y avait pas de problème, aucun. Il était impensable d'avoir des rivalités. Non, non, on vivait comme ça. A côté de chez moi y avait un Arabe, Bouziane, il était célibataire, un vieil Arabe, on s'entendant très bien, les gosses étaient toujours autour de lui à le chahuter, et lui il était d'une gentillesse... Ce vieil oncle dont je vous parlais était patron de taxi, il avait un chauffeur, parce que les taxis tournaient 24h/24, c'était un Arabe, Baroudé, je travaillais à l'usine, je travaillais avec plusieurs Arabes, c'est eux qui conduisaient les voitures... Non, y avait pas de problème. Dans la restauration y en avait beaucoup aussi. Non, c'est... jusqu'à... même au début de l'insurrection en novembre 1954, je parle à Oran, à Oran on a pas senti qu'il y avait une rivalité. On a continué à vivre. Moi je suis parti fin 1955- début 1956, les choses commençaient à changer un petit peu. Alors là je peux pas vous parler en temps que témoin de ce qui se passait là-bas. Bon y avait la famille d'Elyane qui nous racontait des choses, j'ai des amis qui nous racontaient certaines choses, on s'est fait une idée, mais je peux pas témoigner avoir vécu ça. A partir de 1956 on est retournés en 1959 on est retournés là bas pour passer deux mois de vacances et puis bon on s'est aperçus de certaines choses, mais on a rien vécu d'extraordinaire, c'est pas vrai, y avait un calme relatif. On entendait à la radio, on lisait dans la presse, mais il n'y avait rien de... JS : Même lors de ce séjour de vacances y avait pas de... CJ : Non, non, on circulait normalement... JS : Vous ne sentiez pas une ambiance particulière ? CJ : Fallait faire attention. Fallait faire attention. Moi je me rappelle je me déplaçais à vélo, et la nuit je traversais des endroits déserts, y avait pas de problème. JS : Y avait pas de couvre-feu? CJ : Ah non, moi j'ai pas connu le couvre-feu. JS : C'est peut-être après. CJ : Après. C'est surtout le couvre-feu c'est au moment de l'OAS, ils ont fait des... JS : Oui c'est plus tard effectivement. Et donc dans vos relations, vos amis, c'était mélangé ? C'étaient des Européens, c'étaient des juifs ? CJ : Non, on peut pas dire qu'au point de vue amis on ait des amis intimes musulmans, on avait des relations, on participait des fois à des mariages, à des baptêmes, à la circoncision... quoique la circoncision c'est les juifs, et eux c'est le... je me rappelle plus comment on l'appelle. Je perds la mémoire aussi. Les relations avec les Juifs c'était un peu plus intime aussi. Mais y avait pas de grand rassemblement de familles... chaque religion avait ses grands rassemblements. Mais sinon au point de vue amical c'était entre guillemets chrétien, les juifs entre eux et les arabes entre eux. Mais il y avait des relations. On participait je vous dit à des mariages, des bar mitzva, des... enfin au nouvel An, la choura, l'Aïd. L'Aïd, ça c'était la fête, tout le monde était dans ses plus beaux atours, ils nous invitaient, ils nous invitaient au méchoui, ça oui. Mais on peut pas dire qu'il y avait une intimité... et puis toujours avec le respect de... alors bon c'est vrai que les femmes et les hommes ne mangeaient pas ensemble, les hommes mangeaient et les femmes invitées mangeaient avec les femmes, bon il fallait respecter ça, et chez certains juifs séfarades c'était la même chose, y avait des choses qui se faisaient et des choses qui se faisaient pas. Mais c'était dans la bonne entente, ça posait pas de problèmes, c'est pour ça qu'aujourd'hui on est des gens comme... des gens comme nous et comme beaucoup de pieds noirs sont un peu surpris de voir la forme que ça prend aujourd'hui de... cette violence, de montrer du doigt untel, il est ça, il est ça... ça nous surprend un peu. Enfin personnellement ça me surprend. JS : Et vous parliez le français évidemment, mais l'arabe ? CJ : À Oran, c'était français et espagnol. JS : Ah espagnol aussi ? CJ : Plus l'espagnol que le français même. Alors dans ma famille on parlait français, beaucoup de gens parlaient français aussi, mais dans le travail on parlait espagnol. Y avait beaucoup d'espagnols à Oran, c'était une ville espagnole d'ailleurs. L'arabe ne se parlait presque pas. Fallait aller dans le bled. Par contre y avait le frère d'Elyane qui lui parlait l'arabe couramment. Pourquoi, ben parce qu'il a vécu avec eux tout simplement. Alors les gens ils posent la question: ton frère il parlait arabe ? Et plusieurs dialectes... et toi pourquoi tu ne parles pas? Mais les femmes ne sortaient pas ! Les filles elles restaient à la maison. Même les chrétiennes ! Il n’était pas question qu'une fille sorte seule dans la rue. Après quand elles grandissent, qu'elles vont au travail, bon, mais les filles ne sortaient pas. Et puis quand on se promenait avec une fille, attention, on se promenait avec la fille mais déjà les gens du quartier disaient : tiens, ils vont se fiancer ceux-là ! D'avoir une copine, deux copines, pour discuter du film d'Esther Williams, je vous parle d'Esther Williams parce que c'était une actrice qu'on aimait beaucoup, c'était pas la question, c'était comme ça. JS : Elyane vous l'avez rencontrée comment ? CJ : Alors Elyane je l'avais rencontrée, j'avais mon meilleur ami, qui était mon témoin de mariage, qui fréquentait sa jeune sœur, Paulette qui est décédée ça va faire deux ans au mois d'octobre. Il la fréquentait. Et un jour il voulait aller à une soirée dansante à une fête de quartier. La fête de quartier c'était à la promenade de l'étang, je me rappellerai toujours, c'était un jardin public en espalier, c'était magnifique, et y avait des grandes places et on organisait des fêtes. Mais une fille ne sort pas le soir. Alors comme Elyane était déjà majeure, il lui a dit : « eh ben demande à ta sœur de t'accompagner, et puis tes parents, si ta sœur est avec toi eh ben y aura pas de problème ». Mais la sœur fallait lui trouver un pendant. Donc il s'est adressé à moi. Elyane a deux ans et demi de plus que moi. Donc je suis sorti avec eux, puis on s'est revus amicalement, fêté des anniversaires, tout ça. Le copain n'a pas continué avec Paulette la jeune sœur, mais moi, amicalement comme ça, on se rencontrait. Puis c'est venu comme ça, petit à petit. On s'est connus cinq ans avant de se marier, c'est pour vous dire. On a eu le temps de réfléchir ! Mais au départ ce n'était qu'amical, y avait pas de … C'est plus notre venue en France et le fait que j'allais quitter l'Algérie qui a fait que j'ai su que j'allais quitter une ambiance, des gens que j'aimais, que j'allais quitter cette fille finalement, avec qui j'avais sans m'en douter des sentiments. Et puis je me posais la question de confiance. Ben c'est comme ça que j'ai connu Elyane, au travers d'un ami. Et puis je la connaissais de vue, elle passait dans le quartier pour aller à son travail, elle était couturière, artisan couturière, je la connaissais de vue mais il ne me serait jamais venu à l'idée de dire tiens, cette fille je vais la traquer. D'abord elle avait deux ans et demi de plus que moi puis elle avait une... qui m'intimidait un petit peu, vous voyez, elle avait plus de personnalité. Ça fait cinquante cinq ans qu'on est mariés. (rires) JS : Et donc la famille d’Elyane qui elle est d’origine pieds noire depuis plus longtemps ça vous a rapprochés, c’est ça qui vous a… CJ : Ah, la famille d’Elyane est une famille extraordinaire. Moi qui ai une famille restreinte, ma grand mère, ma mère, dans la famille d’Elyane j’ai trouvé des frères, j’ai trouvé des oncles, j’ai trouvé des tantes, tout ce que je n’avais pas eu, eux me l’ont donné. De diverse manière, chacun avait sa manière, mais c’était une famille extraordinaire. C’étaient des gens de la terre, en Algérie, le père d’Elyane a travaillé dans un grand domaine agricole algérien, j’ai des documents là, je peux vous montrer, son père après était bourrelier de métier. Et dans sa famille, du côté de sa mère c’étaient des gens très simples. Si je vous dis que la mère de… celle qui a mis Elyane au monde est morte quand elle avait deux ans. Et le beau-père s’est remarié quelques temps après avec une femme qui avait perdu son mari de la tuberculose. Donc le beau père s’est marié avec elle et il lui a amené trois enfants, la sœur ainée d’Elyane, qui vit à Sarlat, Elyane, et le jeune frère d’Elyane qui est décédé depuis et qui lui justement parlait arabe… et qui au moment des événements d’Algérie était chef de harkas. Là j’ai une très belle photo avec sa harka, lui est habillé en rangers, c’est… bien et donc la famille d’Elyane m’a apporté beaucoup, la sœur d’Elyane pour moi c’est quelqu'un que je vénère parce qu’elle a eu sept enfants plus une nièce à élever, c’est quelqu'un de doux. Maintenant bon elle est dans la vieillesse, elle n’a plus envie, elle renonce un petit peu. Du côté de ses oncles, y en a qui étaient formidables, y en a un qui avait une entreprise de forage de puits. C’est un personnage, il était champion d’Afrique du nord de pétanque, et arbitre fédéral de football. Y en a un autre qui était entrepreneur de peinture, un autre qui travaillait… enfin ils avaient tous des métiers proches de la terre. C’étaient des gens… JS : Et donc ils sont tous partis ? CJ : A l’indépendance ils sont tous partis. Ils étaient dans la région de Bel Abes, beaucoup étaient dans la région de Bel Abes et bon… à l’indépendance la crainte s’est installée. Par contre Elyane avait une cousine que je considère comme ma sœur, qui vit à Montpellier, le cousin est décédé, c’étaient des directeurs d’école, d’école publique, des gens merveilleux. Ce sont ceux, dans la famille d’Elyane qui j’aime par dessus tout. Ils nous ont beaucoup aidés. Parce qu’ils avaient des moyens que nous on avait pas, étant nettement plus jeunes, et ces gens là étaient un exemple pour moi et m’ont donné beaucoup d’idées, notamment sur faire persévérer l’amitié, vous voyez. Lui il avait institué que… il avait fait l’école normale, en Algérie, et depuis qu’il est arrivé en France, chaque année il avait mis sur pieds une rencontre annuelle des anciens de l’école normale, et ça m’a donné une idée, quand je suis parti à la roserette j’ai fait la même chose avec mes collègues. Et chaque année, là euh samedi prochain c’est le cas, on se retrouve à un endroit de France et on vit une semaine ensemble. Raphaël, ce cousin, il avait un sens de l’amitié et… désintéressé, les gens lui portaient tellement qu’il était obligé de lui donner tout ce qu’il possédait au point de vue sentiment. C’était quelqu'un de merveilleux. Et la cuisine alors….un petit caractère, mais quelqu'un de merveilleux. Bon là elle est dans la vieillesse aussi, elle est pas loin des quatre vingt dix ans maintenant. JS : Alors comment vous avez vécu vous les débuts et puis l’ensemble du conflit ? Alors vous étiez déjà en France, Elyane aussi vous êtes repartis ensemble début 1956, alors comment ça s’est passé, comment vous l’aviez vécu vous ? CJ : ça déconnait en 1954 donc on a vécu un peu les débuts. Je vous dis, Oran n'a rien... Il faut dire la vérité, y avait rien. On continuait de vivre normalement, avec des relations avec les uns et les autres. On pensait que c'était une petite...Au départ, je vous dis bien, entre nous on disait oh, c'est un petit conflit constantinois, vous voyez, bon y avait deux ou trois trucs mais c'est comme ici quand il y a eu des attentats d'action directe, une bombe explosait à un endroit, y avait un assassinat à un autre endroit, c'est pas pour ça que Paris était en révolution, non. Ben là bas c'était la même chose. « Tiens, y a eu un attentat, on a fait sauter une épicerie à tel endroit. » « Ah bon ? »Pour nous, c'était un fait divers. Par contre, quand je me suis installé, on s'est installés à Paris, moi dans la police on a commencés à avoir des problèmes à Paris, parce que les gens du FLN étaient plus présents à Paris finalement qu'ils étaient présents en Algérie. Ils avaient formé la qatiba de Paris, et donc y a commencé à avoir des assassinats de policiers... moi j'ai vécu l'indépendance... enfin la lutte de l'indépendance algérienne à Paris, avec tout ce que ça comporte, et je ne vous le cache pas, avec énormément de peur. Bon, ça s'est passé, on a senti qu'on perdait quelque chose. Faut le dire. On perdait quelque chose. Puis le temps a passé. JS : Vous dites, on perdait quelque chose... CJ : Ben on perdait le pays où on avait vécu, on perdait l'endroit où on avait des morts, on perdait l'endroit où on avait des souvenirs, on perdait... on a laissé des biens... des biens, quelques biens. On n’était pas riches, il faut dire la vérité. JS : Mais vous êtes parti travailler à Paris d'ailleurs. CJ : Voilà. Moi je suis arrivé à Paris avec une valise main droite, une valise main gauche, et un sac à dos. Et ma boite à outils qui venait pas le train paquebot. J'avais que ça quand je suis arrivé. Et quand Elyane est venue avec moi on est revenus elle aussi avec deux valises, et moi deux autres valises. Pas un meuble, plus rien. Sa machine à coudre est venue dans un paquebot, c'est la seule chose qu'on a ramenée, c'est la machine à coudre. Et puis on a débuté comme ça, on a débuté dans une pièce cuisine rez-de-chaussée avec la lumière toute la journée, rue Monge à Paris. C'est là que j'ai connu un homme formidable, qui est connu à l'Ecomusée, monsieur Grandin, qui... c'est lui qui nous a invités à nous renseigner sur les castors de la peupleraie. C'est comme ça qu'on est venus à la peupleraie à Fresnes. JS : Quelle a été la dernière fois où vous êtes allé en Algérie avant les... CJ : La dernière fois en toute liberté c'est en 1959. Non, faudra rectifier, c'est 1957. C'est la dernière fois qu'on y a été en tant que visiteurs, touristes, ou alors voir la famille, c'est surtout pour voir la famille. Mais après j'y suis retourné en tant que métier pour faire des escortes de gens du FLN qu'on ramenait en Algérie, à Constantine, à Alger, voilà, j'y suis retourné. JS : Vous pouvez m'en parler de ça ? CJ : Euh, c'était l'escorte normale de gens qu'on raccompagnait sur les lieux pour lequel ils voulaient lutter quoi. Ils luttaient pour l'indépendance, les accords d'Evian se dessinaient, mais la France a anticipé. Elle a dit : ces gens là s'ils prennent... C'est pour ça que beaucoup de gens ont pensé que l'indépendance ne serait pas possible. Mais depuis 1959 ça devenait, fin 1959 ça devenait une réalité. Le général de Gaulle avait fait certains discours, l'autodétermination, et nous on sentait bien... surtout dans la police, qu'il y avait un revirement qui se faisait. Donc tous ces cadres algériens qui étaient à Paris il a fallu petit à petit les emmener, mais on les amenaient sous escorte, ça faisait partie de ce genre d'escortes. Y avait pas de problèmes. Y avait beaucoup de tensions, mais y avait pas de problèmes particuliers, de dire... JS : Et ça vous faisait quoi de retourner là bas dans ces conditions là ? CJ : Pour moi c'était un peu dur, mais... quand je leur disais... parce que je discutais avec eux, ils étaient menottés, dans l'avion, ils étaient menottés, « vous croyez que vous allez pouvoir vous en sortir comme ça, brutalement être indépendants », « même si on mange pas, on sera des hommes libres ». Voilà, c'est des slogans. Allez leur redire le même slogan, ça sera autre chose. Voilà, c'est tout. Moi je m'efforçais de... déjà, il faut dire la vérité, c'est que je travaillais avec des gens, certains avaient des enfants en Algérie. Certains avaient des enfants qui sont morts en Algérie, en tant que jeunes militaires. Moi je pouvais pas, face à des gens que j'appréciais, avec qui je travaillais, je pouvais pas leur dire : ils sont là bas pour la France, ils sont là bas pour que l'Algérie reste française. Ils s'en fichaient de l'Algérie, faut dire le mot, ils s'en fichaient. Leurs fils se battaient, leurs fils écrivaient des lettres en disant : je suis sur un piton, on est là depuis quinze jours, on est ravitaillés par hélicoptères, il faut tenir la route de ci, faut faire attention à ça. Y en a qui recevaient un tube : « votre fils est mort pour la France ». Au fond moi je respectais un petit peu. Mais c'était d'autant plus dur, parce que j'avais un sentiment partagé, entre des gens que j'appréciais, avec qui je travaillais, ce sentiment que l'Algérie serait plus française, on le sentait. Mais enfin avec le temps, après, on se dit : c'était inévitable. Mais beaucoup se disent maintenant, si vous parlez avec d'autres pieds noirs, se disent : on aurait dû le faire autrement. On aurait dû créer, comme ça s'est fait en Afrique du sud. Voyez, les Africains du sud ils ont dit aux quatre millions de blancs : ne partez pas. Sans vous on... le pays ne mangera plus. Et en Algérie on aurait dû faire la même chose, essayer de créer une osmose qui fasse que les européens auraient continué à travailler, mais tout en enseignant les futures générations à prendre des responsabilités dans la justice, dans l'architecture, dans tout ce qui fait la vie sociale. Non, on a lâché carrément tout le monde, c'était une erreur monumentale, parce qu'ils ne s'en sont pas relevés encore. A part les grandes sociétés de pétrole, de gaz, tout ça, qui ont des moyens extraordinaire, on pu s'installer, mais on est retournés y a trois ans. Je peux vous montrer le port d'Oran qui était un port où ça grouillait, c'était la gare saint Lazare aux heures fortes, le port d'Oran c'était ça. Vous n’avez pas un bateau dans le port maintenant. Mais faut pas critiquer, ils ont fait des choix, il faut... par contre on a été reçus comme des rois. Les familles... ça rien à dire, on est même retournés dans nos maisons respectives, très, très... celui qui vivait chez nous c'était un artisan. Alors il me dit : où c'était ta chambre. Je dis c'était là. Et la chambre de ton frère ? Ben c'était là. Alors il dit mais c'est la même chambre. Oui, mais vous avez cassé la cloison. Ah oui c'est vrai, qu'il dit. La chambre de mon frère et ma chambre, ils ont cassé la cloison, ils ont fait une chambre... c'est une merveille. Des tentures, des divans, des tapis, une merveille, nous on a pas vécu comme ça ! (rires). JS : Et donc quand vous êtes arrivés en métropole, comment ça s'est passé, le fait que vous veniez d'Oran, etc. Est-ce que vous avez vécu quelque chose, vous ? Je poserai la même question à Elyane, elle aura peut-être un autre vécu. CJ : ça s'est bien passé. J'étais déjà dans le groupe de formation à l'école de police. Y avait deux musulmans. Et... eux ont été très bien accueillis. Ça posait pas de problèmes. Moi ça... On était deux pieds noirs aussi. Ça posait pas de problèmes. Les gars ils discutaient. Y en a qui ont été rappelés, et ils ont pas fait le nécessaire, ils sont partis. Moi quand j'ai reçu ma feuille de rappel pour partir au commando de Nemours, au commando marine de Nemours, je vois mon chef de groupe et je dis : mais je suis rentré ici et je vais pas repartir, quand je reviendrai on va me dire euh... Alors il me dit : va voir monsieur untel, à la préfecture de police, y avait un bureau militaire. Je dis « y avait » parce que je parle au passé. Euh... j'ai été voir, y a un vieux brigadier chef : retourne à tes cours, mon petit, je m'occupe de ça. J'ai jamais entendu parler... je suis jamais reparti, je suis resté là alors que d'autres étaient repartis, rappelés. JS : Vous en avez connu des pieds noirs qui étaient repartis ? CJ : Non, pas des pieds noirs, des gens qui étaient rappelés, de notre classe. Non, des pieds noirs qui sont repartis non, j'ai pas connu. JS : Parce que c'est quand même particulier. CJ : Non parce que ceux qui venaient c'était pour s'installer, y en avait qui sentaient déjà que des choses allaient changer. Et puis vous savez, je vais vous dire, même avant les événements d'Algérie, y avait énormément de pieds noirs qui venaient s'installer en France pour des raisons de travail. Parce qu'en Algérie y avait du travail mais c'était pas du travail avec des espoirs de promotion, avec des possibilités d'évoluer dans la vie, les gens s'installaient, ils travaillaient leur vie, vous étiez menuisier, vous étiez un menuisier toute votre vie, vous aviez aucune chance d'être contremaître, vous aviez aucune chance d'être... S'installer c'était pas possible parce qu'il fallait des moyens que les gens n'avaient pas, vous savez quand j'étais tout jeune apprenti, le samedi le patron avait l'habitude de payer l'apéro à toutes les personnes qui étaient là, qui travaillaient dans l'atelier. Alors on prenait l'apéro, on allait chez son frère qui avait un café, et puis alors c'était l'anisette. Moi j'en buvais une, et puis après je disais : bon j'ai l'entraînement sportif. Je prenais toujours le prétexte que j'avais l'entraînement sportif, parce que je voulais pas boire, des fois ça a été trois, quatre anisettes... eh ben y avait des ouvriers qui me disaient : Charles, ça te fait rien de passer chez moi et de donner cette enveloppe à ma femme ? Parce qu'on était payés à la semaine. Et y en avait au moins deux qui me demandaient ça. La femme attendait le samedi midi que l'enveloppe arrive pour pouvoir payer … aller à l'épicerie. La vie était dure, et c'étaient des gens qui avaient un métier qui est très long à apprendre, qui est un métier d'art. Le modelage mécanique, c’est un métier d’art. JS : Et l’entreprise était tenue par un européen, un musulman ? CJ : Non, non, un européen, monsieur Dautès. Qui était un homme… par la suite j’ai découvert, qui était un homme un peu bizarre, qui… qui a magouillé un petit peu, il avait acheté une brasserie avec un club, bon… Comme il avait gagné beaucoup d’argent… Mais ça frisait un peu le proxénétisme… Enfin ! Moi c’est pas ce qui me tracassait, hein. Mais non c'était un européen. Et on travaillait avec une très grande usine de quatre cent employés, les fonderies du Cros, qui sont maintenant les fonderies algériennes, et donc on faisait les modèles et donc on allait, alors des fois on allait dans les fonderies d’acier, de fonte, de bronze, parce que y avait des rectifications à faire, bon. Ça c’est le métier, hein. Si on rentre dans le détail (rires)… JS : Donc vous vous êtes installé à Paris directement, donc, rue Monge… CJ : Rue Monge, oui, ma mère s’était installée dans le XXe, mais elle avait un petit deux pièces avec son mari et ma grand-mère ! C'était pas possible qu’on s’installe… Alors on avait trouvé, c'était une ancienne loge de concierge. Initialement c'était une ancienne écurie, parce que dans Paris vous avez beaucoup d’immeubles où quand vous rentrez au fond de la cour y avait une écurie. Parce que y avait à l'époque le transport hippomobile. Donc cette écurie avait été transformée en loge de concierge, et puis le jour où cet immeuble a été vendu en copropriété les gens n’ont voulu qu’une gardienne, ils voulaient pas une concierge, ils voulaient qu’une gardienne. Et ils nous ont pris comme gardiens, on n’avait pas de responsabilités autres que de veiller à ce que les escaliers soient nettoyés ou quoi. Donc on prenait des gens qui étaient spécialisés pour nettoyer les escaliers, tout ça, et on veillait à ce que ce soit bien fait, c’est tout. Et on était payés avec des queues de cerise parce que c'était pas un métier, même le facteur mettait le courrier dans des boîtes, y avait des boîtes. Bon, c'était ça… On est restés là jusqu’en 1958 puis le 1er décembre 1958 on est venus s’installer à Fresnes. Entretemps j’ai fait les Castors ici… voilà, c’est… Et on est restés fidèles à Fresnes parce que nous sommes des gens fidèles à l’endroit où on vit (rires). JS : Ce n’est pas sans rapport peut-être, avec votre passé ! CJ : Tout à fait ! Bon, maintenant, à la retraite, on a voulu un petit peu goûter à des joies plus calmes, on s’est installés à Sarlat en Dordogne… on apprécie aussi ! Mais Elyane surtout ne veut pas quitter Fresnes. Elle a trop de souvenirs à Fresnes, elle a rencontré des gens qui… elle avait des liens avec monsieur Villette, monsieur Bourdin, bon… elle a été concierge municipale… elle a fait beaucoup de choses sur le plan social, elle est encore vice-présidente de Fresnes Services, euh… c’est Paule Frachon qui l’a remplacée en tant que présidente… Non, Elyane est très attachée à Fresnes ! Mais Elyane est moins nostalgique de l’Algérie que moi. Moi j’ai toujours un peu de nostalgie. JS : Et vous expliquez ça comment ? CJ : Ben parce que c’est mon caractère ! C’est tout ! Même si je peux apparaître un petit peu, comment dire, emporté des fois dans des discussions où les gens comprennent pas toujours ce que je veux dire… je suis un sentimental ! Je suis un sentimental. J’ai un profond respect pour les gens, déjà. Je… ne me montez pas sur les pieds, hein, ça fait mal, là je me révolte ! Mais je respecte les gens, quels qu’ils soient. Je suis à l’aise avec tout le monde, avec les pauvres, avec les riches… Je ne passe pas la main. Les gens, s’ils comprennent ce que je veux exprimer, on fera un long chemin ensemble. Maintenant si… Bon y en a ici qui des fois m’ont dit des choses méchantes, mais enfin… JS : Et alors on va revenir à l’identité pied noire, justement est ce que vous vous sentez pied noir ou pas ? CJ : Ah, complètement ! JS : Et c’est quoi pour vous être pied noir ? CJ : Etre pied noir ? JS : Déjà, le mot, quand est ce que vous l’avez connu ? CJ : Toujours, je l’ai toujours connu. JS : Y compris là bas ? CJ : Oui, oui oui. Mais là bas c'était une insulte, c'était une insulte. Après c’est devenu un titre d’honneur. Mais au départ quand on nous disait pied noir ça pouvait tourner à la bagarre. Puis c’est devenu, bon. Mais qu’est ce que c'était déjà votre question ? JS : Si vous vous sentez pied noir et qu’est ce que c’est pour vous d’être pied noir. CJ : Ben euh, qu’est ce que c’est être Alsacien ? Qu’est ce que c’est être Breton ? C’est les racines ! C’est… de tout gosse on vous a inculqué un certain art de vivre, à l’alsacienne, un art de vivre comme vivent les Bretons, hein ! Eh ben être pied noir c’est ça, c’est un mélange de culture française, de culture espagnole, un peu juive, un peu arabe… C’est ça être pied noir. La cuisine, le sport, les sorties ! JS : Alors c’est quoi, la cuisine, le sport ? Qu’est ce qu’il y a de spécifique ? CJ : Eh ben on joue ensemble ! Quand je suis arrivé à Paris j’ai été voir, parce que j’ai même beaucoup le football malgré que j’ai été un basketteur, j’ai été au parc des Princes plusieurs fois avec des amis pieds noirs justement qui étaient à Paris. Y avait pas de joueurs autres que des Français, des métropolitains ! J’ai connu une équipe où y avait les frères Oliver qui jouaient, c'était à Sedan, j’ai connu… oui, Ben Barreck, quelques pieds noirs comme ça qui jouaient dans… Mais c'était vraiment limité ! Mais nous là bas on jouait ensemble, on sortait ensemble ! Y avait le sport scolaire aussi ! Le sport scolaire, bon, on s’affrontait… Et puis vous aviez des équipes qui étaient spécifiquement musulmanes ! Alors le match était disons tendu, mais après on se retrouvait, on buvait la limonade, parce qu’il n’était pas question de boire de l’alcool, la limonade, voilà, ça se passait comme ça, quoi. Mais être pied noir c’est un art de vivre, c’est… Je vous dis, un Alsacien, un méridional, un Breton, un Basque… Chacun a ses traditions ! Ben y avait des traditions pieds noires. Je peux vous dire quoi autre qui distinguerait que ce serait des racines différentes… Non, chacun a ses racines ! JS : Vous vous sentez encore pied noir aujourd'hui ? CJ : Ah oui ! Mais enfin il a fallu quand même m’adapter, hein ! J’ai appris des mots d’argot (rires), j’ai appris… je… les mots que je prononçais là bas je les prononce pour ainsi dire plus, hein ! Bon ! Y a des expressions qui me reviennent alors, quand je suis en famille ou quoi… Mettons, là bas on disait beaucoup à Oran, quand quelque chose n’allait pas on disait Que Leche. En français, que du lait. Ou alors des fois quand on avait un peu de compassion pour quelqu'un et qu’on disait oh c’est triste de le voir comme ça on disait, Lastima Quaena. En France ça veut dire dommage de chêne. Dommage de chêne ! Bon. C’est vous voyez des expressions ! Des fois je les ressors comme ça, c’est… JS : Et donc vous disiez que vous sortiez avec des amis pieds noirs pour aller voir du football, donc vous avez encore des amis pieds noirs et vous avez constitué un réseau de gens que vous voyez, ou… ? CJ : Non. Non, non. On s’est fondus dans le… On se voit de temps en temps, certains, bon parce qu’il y a l’éloignement, beaucoup sont disparus, bon. Et puis il faut, je crois que c’est aussi… on a une manière de voir Elyane et moi, on s’est toujours fondus dans le milieu dans lequel on vit. Les gens sont formidables ! Moi je suis toujours intéressé par des jeunes femmes ou des jeunes hommes, mais surtout des jeunes femmes, qui partent mettons en Amazonie. Et qui vivent des mois et des fois des années au milieu de tribus comme ça ! Et elles se disent, y a un art de vivre, mais on est bien, elles partagent tout avec ces gens là. Ben moi je trouve que c’est formidable ! On va vers les autres, ils vous apprennent certaines choses et vous vous êtes en train d’acquérir un enrichissement exceptionnel d’apprendre des autres ! Alors vous savez, toujours fréquenter les mêmes gens qui ont les mêmes idées… Elyane et moi on n’a pas les mêmes idées. Dans Fresnes c’est connu, bon. On n’a pas les mêmes idées. Ça nous empêche de vivre, de faire des choses en commun, de partager… ? Elle, elle a une manière de s’ouvrir aux autres, moi j’ai une autre manière. Et ça fait qu’il y a un art de vivre, finalement. Y a un art de vivre qui est formidable, quand on rencontre des pieds noirs on est contents, parce que, euh… on revient au passé, on se rappelle des souvenirs, des choses qui ont été positives ! mais s’il faut tout le temps pleurer en disant, oh tu te rappelles, comme les vieilles femmes qui disent, oh la la mon fils, oh la la mon fils ! Non, c’est pas constructif, ça, c’est… Les pleureuses, c’est plus de notre époque ! JS : Et donc vous n’êtes pas allé en fait à la rencontre par exemple des pieds noirs qu’il y avait à Fresnes ? CJ : Ah, on en a connu, on en a connu ! Bon, je peux vous citer des noms, mais enfin c’est pas l’objet ! Non, on en a connu, surtout à Toit et Joie, dans notre immeuble, dans… non, et ailleurs qu’à Fresnes, heureusement ! Mais… on a fait des choses ensemble, mettons à la fête de Fresnes, hein, on a fait des choses avec les pieds noirs… JS : Qu’est ce qu’il y avait à la fête de Fresnes ? CJ : Eh ben y avait Toit et Joie qui faisait, bon, alors nous on est allés au titre des parents d’élèves ! Mais vous voyez, on a fait des choses ! On aimait bien Toit et Joie, pourquoi, parce que y avait des… des rappels d’antan, tout ça, y avait des gens formidables, quoi ! Mais de dire qu’on a fait des associations, tout ça… JS : Vous avez participé aux fêtes de Toit et Joie ? CJ : Oh on participait, en tant qu’amis, mais pas au point de vue matériel, on va aller donner un coup de main ou quoi, non, c'était leur affaire. Mais on y allait à titre amical ! On aimait bien, on en connaissait pas mal, mon fils a failli aller très loin mais ça s’est pas fait parce que l’éloignement a fait que, la nièce d’une habitante de Toit et Joie, sa nièce habitait à Toulon. Et on s’est rencontrés en Espagne plusieurs fois, et mon fils s’était épris de la nièce, et la nièce de mon… bon, ça ne s’est pas fait parce que Toulon… Voyez, pourtant ça remonte à… plus de trente ans ! Les filles de pieds noirs encore… Alors Michel il disait, on peut pas se fréquenter, tu ne peux pas venir à Fresnes, moi je peux pas aller à Toulon, parce que ça… C’est comme ça, c’est… JS : Et alors justement, vous avez combien d’enfants ? CJ : Deux ! JS : Deux enfants, ils se sentent comment, ils se sentent pieds noirs, eux ? CJ : Pas du tout ! Pas du tout ! Ils respectent notre pensée, et chaque fois qu’ils peuvent nous amener des documents ou… pas du tout. Ils se sentent pieds noirs que par la cuisine. JS : Ah ! Alors vous continuez à cuisiner… CJ: Ah moi, non, mais Elyane… Couscous, paëlla, tajine, bon… Beaucoup de plats espagnols… Parce qu’il y a une cuisine pied noire ! D’ailleurs on a des livres de cuisine pied noire. Non, non, ils se sentent que par la cuisine, mais j’ai proposé à mon fils et à ma fille de les emmener sur les lieux de, comment… on y a été y a trois ans… non, non, ça nous parle pas. Y a qu’une qui voudrait connaître, c’est la petite fille, l’aînée. Elle voudrait connaître. Alors on a dit oui, on choisira. Mais faut choisir un moment, là en ce moment c’est… JS : Un peu difficile… CJ : Un peu difficile. C’est un peu difficile. JS : Donc vous pouvez me parler de ce voyage de retour que vous avez fait ? CJ : Oui. C’est pour nos cinquante ans de mariage, euh… comme cadeau les gens ont versé une somme d’argent pour qu’on puisse retourner en Algérie. Alors au départ je me suis adressé à plusieurs agences, j’ai pas trouvé que c'était formidable, puis finalement mon frère et moi nous avons décidé de le faire par notre propre moyen. Alors comment je m’y suis pris, j’ai envoyé un mail à l’évêché d’Oran. Parce que l’évêché d’Oran maintenant est dans le quartier où nous habitions. Et c'était mon ancienne église paroissiale. Et ils m’ont répondu très gentiment qu’on pouvait venir et puis ils m’ont donné le nom d’un hôtel. Et puis ici à Fresnes y a une jeune femme, une musulmane que nous connaissons très bien, qu’Elyane apprécie et moi aussi, qui nous a dit, mais moi j’ai la famille ! Et ils nous ont… c’est eux qui nous ont accueillis finalement. JS : La famille musulmane ? CJ : Oui ! Mais ils nous ont accueillis, on avait dit qu’on vivrait pas chez eux, hein ! On y a été déjeuner plusieurs fois, dîner, mais on voulait être libres. Et c’est le fils, un des fils, qui nous a conduits en voiture pendant tout notre séjour. Et puis nous avons… Les gens nous rencontraient dans la rue, surtout les vieux, ils nous disaient, ah c’est gentil d’être revenus, comme ça à brûle pourpoint ! C’est gentil d’être revenus, c’est chez vous ici, c’est toujours votre chez vous… Mais une ambiance, les gens… et des jeunes qui nous arrêtaient, alors là c'était paradoxal, les jeunes ils nous arrêtaient et nous demandaient comment il fallait faire pour venir en France. Alors là je passe les anecdotes parce que ça pourrait porter… Mais enfin on a entendu des choses extraordinaires. Bien accueillis… bon, tous les achats qu’on a fait je suis resté dans la tradition, bien sûr, j’ai marchandé, parce que si on ne marchande pas c’est presque une insulte…. Non, très bien ! Et mon frère et moi on a retrouvé avec émotion notre maison… Et alors on rentre dans la maison, y a plus de jardin ! Dans le jardin ils ont fait une adjonction à la maison. On avait un jardin quand même qui faisait soixante mètres carrés, peut-être plus, y avait de la vigne, des hibiscus, des géraniums, tout ça… Ils ont tout rasé ça et ils ont fait des pièces d’habitation. Et dans la cour ils ont fait… Parce qu’on rentrait par le jardin, la maison, et y avait une cour. Et dans la cour nous pendant la guerre on a élevé des poulets, des lapins, tout ça, parce que y avait pas de viande. Et dans la cour ils ont fait un genre de pièce technique, vous savez, avec une buanderie, des douches, un atelier pour… très bien ! très bien. Et mon frère et moi on nous fait rentrer, on regarde, de la mosaïque… vous savez comment ils font sur les murs, là, beaucoup de bleu ! Beaucoup de bleu. Et Charles, qu’il dit, y a une chose qui n’a pas changé, c’est le carrelage ! C'était le carrelage où on a marché pieds nus des années et des années… Alors ça, ça nous a… y avait quelque chose qui nous touchait là… Alors il dit, non, ce carrelage il est beau, ça aurait été dommage de le… La plus belle chose dans la maison c'était le carrelage ! De notre époque, hein. Non, bien accueillis, on a vu avec émotion des lieux, on est montés à Notre Dame de Santa Cruz, on y a passé une demi journée, c’est la police algérienne qui garde le lieu et pour visiter l’intérieur de la basilique il faut aller demander la clé au chef de la police, qui vous la donne, et puis bon, comme d’habitude, le petit bakchich, bien sûr. La police est… je dirais pas corrompue, mais enfin… ce sont des gens qui sont policiers mais ils n’ont… ils n’ont que des petits revenus, c’est pas payé… Bon, pour nous peut-être que ça nous semble ne pas être payé mais pour eux, dix huit mille dinars… Ils touchaient dix huit mille dinars, dix huit mille dinars ça fait cent quatre vingt euros. Alors pour eux peut-être c’est beaucoup, je sais pas, pour nous ça nous semblait dérisoire. Alors bon, le bakchich. Et les stylos. Parce que les stylos, ils apprécient hein. JS : Et alors pour revenir à la… parce qu’en fait on en a pas parlé, euh… vous disiez, bon, on parlait de pied noir, au début c'était une insulte, vous pouvez me parler de ça, en fait, de pourquoi c'était une insulte d’être pied noir avant les évènements ? CJ : C'était une insulte parce que… comment vous dire… parce que dans notre esprit, pourquoi pied noir, un pied noir c’est un pied sale, ça peut être la patte d’un animal, ça… y avait des versions comme ça, bon. Pourquoi… quand on vivait là, je fais un pendant, hein, quand on vivait là bas, des fois certains arabes on disait, tiens ces troncs de figuier. C'était une insulte ! pourquoi on les appelait troncs de figuiers, parce qu’ils dormaient au pied des figuiers, c’est tout. Eh ben, quand on parlait des Juifs on disait pas les Juifs ! Judio ! Judio, c’est juif dans un… Je sais même pas pourquoi on disait ce mot là, ça voulait dire juif mais dans un… Judio. De l’espagnol un petit peu. Un pied noir… alors nous on était Français, hein, mais quand on parlait des Français de France, c'était les Frankaoui ! On parlait pas des métropolitains, les Français de France c'était des Frankaoui, voilà. Et les Français de France nous appelait pieds noirs. Parce que pied noir c'était un mot qui revenait du temps où la France a pacifié en 1830 l’Algérie, enfin a pacifié, a conquis l’Algérie, enfin on peut employer tous les mots qu’on veut, hein ! Et les premiers colons qui sont arrivés y avait beaucoup d’Alsaciens ! Et les Alsaciens, quand ils, parce qu’il y avait des marées… ça ils ont fait un travail extraordinaire, il faut reconnaître que sur le plan agricole… quand ils allaient travailler ils avaient des bottes noires parce qu’il fallait patouiller dans les marées, dans les terres grasses, tout ça, ils avaient des bottes noires donc il est venu le terme pied noir. Et puis après ça s’est répandu à l’ensemble des gens. Mais on prenait ça pour une insulte, c’est tout. Parce que je vous dis, ça fait pied sale, ça faisait, euh… pied mal entretenu, tout ce que vous voulez, voilà. Mais après c’est devenu un titre de gloire, hein, comme le… les résistants en France, à un moment donné les résistants en France étaient des francs-tireurs, des gars qui étaient en dehors de la légalité, après c’est devenu des résistants, après ce sont devenus des décorés, voilà (il rit). C’est un petit peu comme ça ! Vous savez, à chaque moment y a des, euh… Vous avez vu le film, là, la cuisine au beurre ? Quand vous voyez ce couple, comment il évolue, du marché noir il arrive à la fin c’est un résistant, euh… reconnu, euh… Bon ben c’est ça, c’est ça la vie ! On s’adapte… Moi je me rappelle à Oran, avant que les Américains débarquent en novembre 1942, l’Algérie n’était pas occupée, c'était les troupes de Vichy qui étaient l’armée française, hein, et y avait une commission d’occupation qui était une commission allemande. Qui résidait au Grand Hôtel avec des Italiens. Des gens très discrets, euh… ils surveillaient comment ça se passait, voir si les autorités françaises faisaient… moi le seul contact que j’ai eu avec ces gens là, c’est un diplomate italien, qui faisait partie de la commission, qui est décédé. Et à l'époque j’étais enfant de chœur. Alors ya eu une grande cérémonie qui a été faite, alors là tout le monde était en tenue, c’est la première fois que je voyais des tenues allemandes et des tenues italiennes ! Bon, seul contact qu’on a eu. JS : Et alors le terme de rapatrié, vous l’avez entendu ? Parce que bon, vous, vous n’êtes pas un rapatrié puisque c'était volontaire, mais vous l’avez entendu, vous en avez pensé quoi ? CJ : Ben rapatrié, toute notre famille a été rapatriée ! Rapatriée, c'est-à-dire que… rapatrier c’est un verbe qui veut dire on t’oblige à te rapatrier ! Non, les gens sont partis parce que la situation était intenable ! Bon. A Oran, quelques jours après l’indépendance y a eu une très grande tuerie. Et beaucoup de gens avaient décidé de rester. Suite à cette tuerie, bon, moi je peux pas vous donner un chiffre, le seul chiffre que j’ai retenu c’est mille quatre cent personnes mais personne n’est d'accord sur les chiffres. Donc rapatrié c’est… c’est pas volontaire, on n’est pas rapatrié volontaire, on vous oblige, hein ! Tu es rapatrié, on t’oblige à aller là ! Mais les gens partaient d’eux mêmes parce qu’il y avait la peur. Y avait la peur. C’est… Moi j’ai des témoignages de gens qui m’ont dit, on ne sait pas comment on est là aujourd'hui. Mais, bon, rapatrié, bien sûr, le gouvernement a payé les voyages de rapatriement hein, c’est… le gouvernement pouvait employer ce terme puisqu’il disait, vous ne voulez pas rester ben on vous ramène ! Ma belle sœur quand elle est arrivée, on voyageait pas beaucoup nous à l'époque, même en 1960-1962, les gens voyageaient très peu, n’avaient pas de valises ! Ma belle sœur avait pris les doubles rideaux et elle avait fait des baluchons à la machine à coudre, et dans les baluchons ils mettaient tout ce qu’ils pouvaient avec des grandes anses, comme ça. Pas de valises, des baluchons ! Pourquoi des valises, on n’allait pas en vacances ou si on allait en vacances une valise ça suffisait pour amener… même on avait pas beaucoup de linge, parce que déjà en Algérie on n’avait pas besoin de s’habiller d’une manière disons très chaude ! le linge d’été ici on peut l’utiliser quatre, cinq ans, hein, là bas le linge d’hiver on l’utilisait quatre, cinq ans ! Parce qu’on usait plus le linge d’été, à partir du mois de mars on allait en… Mois de mars, même début mars, on allait en petite chemise, y en a qui allaient en tee-shirt. Non, on voyageait pas. Alors les valises, oui y avait peut-être une valise dans la famille, deux valises, mais… baluchons, les gens sont venus comme ça. Et puis mon beau frère avait mis des choses dans un petit cadre, le cadre est resté sur un port dans le midi pendant des mois, et quand ils l’ont ramené à Fresnes, quand il a ouvert le cadre tout était moisi dedans, c'était des draps, des couvertures, des objets de cuisine, tout était moisi, tout ça… Il a refermé le cadre il a dit ramenez le, j’en veux pas. JS : Et donc justement qu’est ce que vous avez pu, qu’est ce que vous avez ramené en fait ? CJ : Nous personnellement ? JS : Oui ? CJ : Rien. Rien. On a ramené des photos, on a ramené des trucs comme ça, mais au niveau des objets, des biens, la machine a coudre à Elyane, comme je vous ai dit, moi ma boîte à outil. On avait un phonographe on l’a laissé, on avait un poste on l’a laissé, euh… les meubles on les a laissés. Bon, on pensait qu’on reviendrait, faut être juste, hein. On s’installait à Paris mais on pensait quand même que, moi je disais toujours, je prendrai ma retraite à Bousfer. Bousfer c’est une station, port de pêche, balnéaire à quelques kilomètres d’Oran, c'était un lieu de rêve, je disais je construirai une maison et on passera notre retraite là bas. Bousfer maintenant je le regarde sur la carte, hein, mais c’est… JS : Vous y êtes retourné lors de votre petit pèlerinage, là ? CJ : Non, on est passés mais on ne s’est pas arrêtés, on avait tellement de choses à voir ! Mais j’ai des photos là qu’on a prises, si on peut les passer… je voulais faire un montage, et puis bon, j’ai pas fait, les photos sont mélangées, je voulais faire un montage en disant les endroits avec une musique de fond un peu… JS : Orientale ? CJ : islamiste, une musique islamiste et puis espagnole un peu… mais moi je ne suis pas capable de le faire, c’est surtout ça ! Et mon gendre il a autre chose à faire que passer des heures là dessus aussi. Mais quand on est retournés, je suis retourné à l’atelier où je travaillais. Bon. Il est en photo d’ailleurs. Quand je suis rentré là dedans, les murs étaient les mêmes ! Ils n’ont pas été repeints ! Tout… La seule chose qui a changé, c’est la disposition et puis les machines bien sûr, y a qu’une machine de l’époque où j’étais qui était là, encore. Mais toutes les autres machines, les toupies, les raboteuses, les tours à bois, tout ça, tout a été changé. Et le gars, le chef d’atelier, je lui ai expliqué comment était… il était tout étonné ! Il me dit, je voyais pas ça comme ça ! Je lui ai dit, tu vois sur ces murs là, y avait des grands panneaux, y avait un outillage extrêmement… Il me dit, nous on n’a pas tout ça ! Ils avaient des belles machines mais un petit outillage un peu rudimentaire, quoi. Mais ils faisaient du beau travail. Il m’a emmené dans l’atelier, ils font de l’ébénisterie d’art. Arabe, style arabe, très beau. Il m’a dit, qu’est ce que tu penses, tout ça, j’ai dit, non non, j’ai passé la main, parce que… les gens qui travaillent le bois sont très tactiles. On est retournés dans le domaine agricole d’Evian, je vous l’ai dit, mon frère est retourné où il travaillait comme pâtissier ! Alors quand on est rentrés dans cette pâtisserie, on cherchait, elle était rue d’Arzeu cette pâtisserie. Rue d’Arzeu, comme on dit à Oran, c'était comme on dit ici les Champs Elysées. Et il dit, elle était en face des Dames de France, et il dit, je vois pas… Bien sûr les… ils ont transformé beaucoup de choses, c’est bien ! Tout d’un coup je lève la tête et je vois un grand panneau, un genre d’écusson, vous savez, qui… avec un bras là, et sur le panneau y avait écrit, pâtisserie Aton. C’est resté, pâtisserie Aton. J’ai dit, regarde ! Oh flûte, qu’il fait ! On est rentrés, une dame habillée… je vous dis, y avait de la richesse là dessus, hein ! Et voilà, j’ai travaillé ici… Elle a appelé, je pense que c’est son mari. Vous savez ce qu’il a dit à mon frère ? Vous êtes chez vous, j’ai pas besoin de vous servir de guide, vous connaissez la maison, faites visiter à votre, la femme de mon frère, c’est une normande. Et elle avait jamais mis les pieds en Algérie elle. Il a emmené sa femme, moi j’ai pas voulu descendre, j’étais plus attiré par les petits gâteaux (rires). Et il a fait visiter pendant une demi heure à sa femme, tout le laboratoire, et quand on est partis, Elyane elle dit, on va prendre quelques gâteaux, parce que… Il a pas voulu qu’on paye ! Ils nous les ont donné. Et on est passés à beaucoup d’endroits comme ça où ils ne voulaient pas qu’on paye ! Y a un petit gars dans la rue qui vendait un genre de flan, là bas on appelait ça la kalentika. C’est fait avec de la farine de pois chiche et de petit pois. Enfin, ça dépend, y en a qui ont différentes manières de la faire. Et ça se vend à la part, comme ça. On vous met ça sur un bout de papier et vous mangez. C’est un coupe faim. C’est lourd comme tout, mais… Et Elyane, ah la kalentika… Alors le petit Arabe il lui découpe comme ça, et puis elle lui dit, combien tu me vends ça ? Mange madame, il dit, c’est gratuit ! Et on sentait que le pauvre gars, il était pas riche hein ! Il avait une plaque, il se balade avec sa plaque et son petit couteau pour découper. Elyane n’a pas voulu, elle a voulu lui donner de l’argent, il n’a pas voulu. C’est marrant y a des choses comme ça… Et on est allés aussi où Elyane avait son atelier, parce qu’elle a été artisane mais elle avait deux ouvrières et deux petites apprenties. Et maintenant c’est… je sais pas ce en quoi ils l’ont transformé, mais enfin on a reconnu quand même l’endroit où c'était… C'était fermé. Et en face y a un centre pour enfants handicapés. JS : Donc en fait vous n’étiez par revenus entre 1959 et… CJ : Non, pas 1959, 1957, j’ai fait une erreur, hein ! 1957 et là, on n’était pas revenus ! Sauf moi, je vous dis, en mission. Mais en mission on pouvait pas faire de tourisme, on avait un cadre précis. Mais… Non, on a été enchantés, euh… il fallait qu’on le fasse, je vais vous dire, ce voyage nous a été nécessaire parce que quand on a atterri de nouveau à Orly, mon frère il m’a dit, maintenant l’Algérie c’est plus chez nous. On a compris que c'était autre chose. Et il fallait le faire, ça. Maintenant chez nous c’est ici, hein ! Mais on avait toujours cette nostalgie de… Bon, on a toujours la nostalgie, de la jeunesse surtout, mais euh… on me dirait maintenant tiens tu as possibilité d’aller habiter là bas ou quoi, je pense pas que… Ou alors il faudrait que ce soit des conditions exceptionnelles… Mais tel que ça se passe, on a tellement évolué ici qu’on a un bien être qu’il est impossible d’avoir là bas, c’est vrai. Quand vous voyez qu’il y a des endroits, ils ont de très beaux bâtiments, mais vous verriez les escaliers dans quel était ils sont… Ils font de très belles choses, ça il faut le dire, mais ils n’entretiennent pas. Et il y a une chose qui se passe aussi, c’est que toute la construction c’est les Chinois qui la font. Alors eux ils sont révoltés par le fait de dire nous on a des beaux, des bons machins, ils disent ce sont les Chinois qui viennent, même les balais pour nettoyer le chantier ils viennent de Chine. Et ça j’avoue que ça m’a heurté. Nous on est partis alors qu’on était avec eux, on travaillait avec eux, peut-être mal ! Peut-être on n’a pas senti certains… comment vous dire ça…. Aspirations de leur part de vouloir progresser, de vouloir… mais ils avaient une vie, mais là, les Chinois s’installent, y en a qui se marient, sur place, et personne dit rien. Personne dit rien. Ça, ça m’a… mais pourtant ils sont très meurtris de ça. Ils disent, on est capables nous de le faire ! Et vous savez pourquoi, les Chinois ? Parce que les Chinois payent au prix fort le pétrole. Comme il leur faut beaucoup de pétrole et beaucoup de gaz, pour que les autres ne viennent pas s’emparer ils payent le pétrole au prix fort, parce que les Chinois ils ont énormément d’argent. Qu’est ce que ça leur coûte de payer du pétrole fort ? Ils peuvent le payer ! Nous on est obligés de marchander, hein, parce que… les Chinois n’ont pas de déficit, nous on a du déficit. Et ça, ils en souffrent énormément. Les bateaux de pêche ! Les Chinois ils viennent avec des bateaux ils vous raclent la mer, ils vous… pas qu’en Algérie ! Faut voir dans les pays africains et compagnie comment ça… Et ça les gens du coin ils sont meurtris de ça. Alors c’est pour ça que quand ils disent, vous êtes chez vous ici, revenez… on sent que les vieux qui vous disent ça, ils ont le souvenir aussi de… y avait une communion. JS : Vous pensez qu’ils ont une nostalgie aussi, de leur côté, quoi ? CJ : Oui ! Peut-être pas la nostalgie de dire, on était sujets français, pas Français, sujets français, mais on avait… on est passés à côté. Mais la guerre, enfin la guerre, l’insurrection algérienne a fait beaucoup de dégâts ! Si en haut lieu y avait eu une certaine intelligence, une certaine réflexion ou quoi, on aurait pu bâtir autre chose ! Mais… les esprits étaient tellement exacerbés que peut-être maintenant on peut le dire comme ça, mais à l'époque c'était peut-être… pas facile à faire. Et heureusement qu’il y a eu un homme comme de Gaulle qui lui a pris sur lui de dire, on va le faire ! Parce que je crois que la guerre aurait continué encore… Parce que vous aviez un homme comme, j’ai présenté les armes à Mitterrand qui était ministre de l’Intérieur, Mitterrand dans tous ses discours disait, l’Algérie c’est la France ! Y a des écrits, hein, bon. Puis vous aviez des… Guy Mollet quand il est arrivé à Alger, on lui a balancé des tomates, on lui a… Et il a dit, l’Algérie restera… Et les gens sont partis là dessus ! Si eux le disent, donc c’est une réalité, l’Algérie va rester… Mais si dès le départ on avait dit, non, il faut que tout le monde ait droit à vivre normalement, droit d’aller dans les écoles, droit de… qu’est ce qu’on a fait ? On a construit des darelascrits. C'était des centres sociaux avec des soins, tout ça, pour la population musulmane. On a construit des Medersa, qu’est ce que c'était, des lycées coraniques, et… finalement on crée pas l’intégration, on crée la séparation ! Alors qu’il aurait fallu dire, y a qu’à l’école primaire et au lycée laïc qu’il y avait des musulmans qui venaient parce qu’ils pouvaient se permettre, mais… ça pouvait se faire ça ! Le commissaire central d’Oran c'était un musulman ! Le plus grand ophtalmo d’Oran c'était un Arabe ! Donc y avait des gens qui étaient capables d’avoir des responsabilités ! On n’a pas su, on n’a pas su ! Et nous notre jeunesse, on ne pouvait pas l’analyser parce qu’on était insouciants ! Nous ce qui nous importait c'était la plage le sport les filles… avec toutes les difficultés que ça comportait (il rit)…