José Marti
Retranscription
Enquête orale
"José Marti'
Exposition Pieds noirs ici, la tête ailleurs
Date : 29 Septembre 2011
Enquêteur : Alexandre Delarge
N° d’inventaire : 2011.13
Retranscription: fait par Annette J.
Alexandre : en mars l’année prochaine, qui est présentée dans la grande salle d’expo et donc le sujet, enfin le sujet c’est les pieds-noirs José : c’est vaste Alexandre : c’est vaste, voilà je suis d’accord avec vous, c’est compliqué c’est vaste mais voilà, donc c’est ça, le projet est parti du fait qu’ici à Fresnes y’avait un groupe important de postiers pieds-noirs, parce que y’a un bâtiment de la poste qui a été livré en 62 et donc y’a eu, ben oui y’a eu une réservation José : donc les gens étaient là Alexandre : et donc y’a eu, je ne sais plus combien, y’a eu 200 logements, en gros y’avait un tiers donc y’avait 70 familles à peu près de pieds-noirs qui sont arrivées José : d’accord Alexandre : en 62 au même moment, a peu près au même moment et donc ça faisait longtemps qu’on tournait autour de cette question, que Henri Israël l’élu à la culture nous avait dit « ah, ça serait bien de faire une expo », sur Toit et Joie au départ, et puis on a dit « ce n’est pas possible, on est Agglo et on va faire un truc un petit peu plus général » et donc, d’autant plus que, après pour lui , dans sa pensée, Toit et Joie ce n’était que les pieds-noirs, en fait c’était beaucoup, en fait c’était qu’un tiers, donc on aurait dû parler d’autres choses que des pieds-noirs si on avait parlé de Toit et Joie, donc on a proposé plutôt de faire une expo sur les pieds-noirs d’autant plus on s’est rendu compte qu’il n’y avait pas grande chose de fait sur le sujet en matière d’expo dans les musées, bon y’a quelques musées qui ont traités un peu de ça, enfin la Guerre d’Algérie c’est une chose, mais les pieds-noirs je crois qu’il y a qu’un musée, le musée dauphinois à Grenoble, voilà. Et, voilà puis on est parti là-dessus en essayant de traiter ce sujet-là en gros depuis, depuis comment s’est constituée la communauté entre guillemets pieds-noirs jusqu’à aujourd’hui finalement, la guerre, le départ euh, l’arrivée en métropole José : hum, hum Alexandre : enfin essayé de comprendre, enfin voilà, tout ce qui sustente toute cette histoire-là. Voilà, alors, nous on travaille beaucoup sur des entretiens avec les gens, bon enfin, on s’appuie sur des travaux, sur des lectures, sur José : mais en fait ça se passe comment après au niveau l’expo ce genre d’interview, c’est diffusé, c’est écrit Alexandre : non, généralement c’est écrit José : hum Alexandre : euh, c'est-à-dire, qu’on ré, d’abord on utilise la matière comme ça de façon pour, pour faire nos textes à nous, et puis souvent, mais d’une expo à l’autre ça change, mais c’est souvent, c’est généralement des extraits écrits de ce qui est dit José : d’accord Alexandre : bon on pourrait en discuter de ça, parce que souvent on m’a dit « oui, mais ça serait mieux d’entendre la voix des gens » ce qui est vrai, mais bon, ça n’est pas du tout la même chose et voilà, parfois, on a fait des interviews filmées, mais c’est généralement après la première interview, c'est-à-dire qu’une fois qu’on sait ce que la personne à dire d’intéressant José : ouais, c’est sur Alexandre : la personne a pleins de choses d’intéressant à dire, mais ce qui nous intéresse aussi José : ouais Alexandre : et la dernière fois, on a même essayé un système de diffusion de paroles, juste des paroles dans l’expo, voilà, mais je ne sais pas vers quoi on va aller José : non, je vous dis ça parce que, en dehors de ça, j’ai tilté un truc parce que moi je fais des chansons aussi Alexandre : ouais José : et je l’ai fait il y a une trentaine d’années c’est vieux mais, parce que je l’ai réécoutée ce matin, je vous l’amènerais ça sur un cd, si vous voulez Alexandre : ah ouais José : c’est une chanson justement que j’avais fait sur le départ d’Algérie et tout ça Alexandre : ah ouais, c’est bien José : ça peut être une illustration sonore Alexandre : ah oui, ben oui, oui José : qui change du, ben autre chose quoi !, donc éventuellement si ça vous intéresse, je l’a réenregistrais et tout, parce que c’est vraiment une maquette que Alexandre : ah oui, oui c’est intéressant José : une maquette que j’avais fait, puis à la réécoute euh, ça rentre bien dans le sujet quoi Alexandre : ah, vous ne l’avez jamais enregistrée vraiment quoi José non, ben non, si vous voulez c’est une maquette que j’avais fait, je l’ai proposée à des maisons de disques mais bon ! Alexandre : puis il y avait Enrico Macias (Une petite blague) José : ce n’était pas vraiment commercial comme truc quoi, euh donc ils ont préféré autre chose, mais bon, ça c’est un truc un peu intime Alexandre : hum José : à la réécoute, ça n’a pas trop pris de rides quoi ! Bon c’est une guitare une voix, c’est une guitare témoin, c’est vraiment un truc Alexandre : oui mais bon après José : si ça vous intéresse, je peux faire un enregistrement un peu plus, parce que là c’est sur cassette, donc il faut que je vous le remette sur cd Alexandre : hum José : et puis vous l’écoutez et puis éventuellement si ça vous intéresse, je refais un enregistrement plus, enfin plus actuel quoi ! Alexandre : oui, parce que ça ne peut vraiment pas passer comme ça José : ah, non, c’est y’a du soufflet et tout y’a des questions techniques qu’il faut refaire et tout Alexandre : non, mais oui José : surtout si vous faites une diffusion un peu publique que ce ne soit pas un truc trop foireux quoi ! Puisque là c’est vraiment une maquette sur un enregistrement d’époque, sur une 4 piste d’époque où il y avait du souffle et tout ça, j’ai mis bien les paroles devant et une boîte à rythme derrière Alexandre : hum José : pour me donner du rythme, voilà Alexandre : ouais, ben oui, en tout cas oui de pouvoir voir si on peut l’utiliser oui, d’autant que c’est une des choses qu’on devrait aborder, une des choses qu’on devrait aborder c’est aussi qu’est-ce que vous avez qui parle, de ce que vous allez me raconter José : ben, allez-y, posez-moi des questions Alexandre : donc, on va commencer tout de suite, est ce que vous pouvez, pour commencer me raconter l’histoire de famille en Algérie ? José : bon alors moi, euh, au niveau des pieds-noirs et au niveau de l’Algérie en elle-même, y’a différentes catégories de pieds-noirs quelque part Alexandre : hum, hum José : donc, mes parents font partis des réfugiés de la guerre d’Espagne Alexandre : hum, hum José : ce sont des gens qui sont partis après la guerre d’Espagne réfugiés donc, pas vraiment réfugiés politiques, mon père avait le statut de réfugié politique pas ma mère, enfin, ce sont des gens qui ont quittés l’Espagne après Franco, bon, ils ont, ils avaient le choix, enfin pas le choix, ils avaient les possibilités à l’époque où l’opportunité de partir soit sur l’Amérique du Sud, Argentine, Mexique Alexandre : hum, hum José : où la chose la plus près c’était soit la France, et c’est ce qu’on a connu à Argelès Alexandre : hum José : les camps de réfugiés espagnols, soit l’Algérie. Donc, mes parents sont partis en Algérie, mon père qui ne connaissait pas ma mère à l’époque, parce qu’il avait quelque chose comme 16-17 ans, a atterri à Oran, Oran qui était l’endroit de prédilection des pieds-noirs espagnols hein !, et ma mère, alors vous dire exactement l’époque, il faudrait que je me renseigne au niveau des dates, mais bon elle est arrivée, elle était plus jeune que mon père, elle a dû arrivée, je suppose, vers l’âge de 12 ans quelque chose comme ça Alexandre : ce sont ses parents à elle qui sont ? José : ses parents Alexandre : qui ont immigrés José : à elle, moi je parle de mon père, mais les grands-parents ils sont venus avec, ils sont venus avec leur parent à eux. Mes grands-parents qui sont arrivés dans les années 40 quoi Alexandre : hum, hum José : en Algérie, quand je vous dis 40 il faudrait que je me renseigne, après la guerre d’Espagne quoi ! Alexandre : parce que, oui c’est ça, donc oui dans ces eaux là, mais votre père, je ne sais pas quel âge, il aurait pu avoir 25 ans, un truc comme ça quoi ! José : il était plus jeune que ça Alexandre : oui il était plus jeune, donc il était encore ses parents en fait José : ah oui, en fait quand je parle de mon père, c’était mes grands-parents et ma mère c’est pareil. Alors, ma mère c’est particulier, parce que mon grand-père était arrivé d’abord en Algérie parce que lui, il était condamné à mort par Franco, donc il s’est tiré Alexandre : je comprends José : donc, il a toujours été condamné à mort par contumace jusqu’après le franquisme et tout, mais donc lui il est parti en Algérie bien avant la fin de la guerre d’Espagne où juste après la guerre d’Espagne, je ne peux pas vous dire exactement, le laps de temps entre la fin de la guerre d’Espagne et l’arrivée en Algérie, mais ça devait être dans les 0-5 ans vous voyez ! Alexandre : hum, hum José : dans ces eaux là, ça a la limite le manque de précision que je pourrais apporter après Alexandre : non mais José : enfin bon, sont des réfugiés espagnols qui sont arrivés à Oran Alexandre : ouais José : comme beaucoup Alexandre : hum, hum José : c’est pour ça qu’Oran était une communauté d’Espagnols, à Oran, on n’avait pas besoin de parler français. Ma grand-mère, elle a jamais pratiquement parlé français à Oran, elle avait un très mauvais français quand on est rentré en France, parce que à Oran tout le monde parlait espagnol Alexandre : ouais José : bon français bien sûr mais espagnol aussi, tout le monde comprenait l’espagnol et tout le monde parlait espagnol. Donc, mes parents c’est ça en fonction des, des réfugiés de la guerre d’Espagne, euh, donc, ce ne sont pas des gens euh, fils de colons, commerçants français, ou des choses comme ça, voilà Alexandre : c’était une jeune, une relativement jeune arrivée quoi ! José : oui, arrivé jeune quoi Alexandre : ça ne faisait pas très longtemps José : hein ? Alexandre : ça faisait pas très longtemps que la famille était implantée quoi José : voilà Alexandre : d’accord, donc voilà ça au moins. Et vous êtes né là-bas ? José : moi, je suis né à Oran Alexandre : ouais José : voilà Alexandre : bon d’accord, je n’ai pas vu votre, vous êtes né en ? Y’a pas votre date de naissance d’ailleurs, si, si en 53 c’est ça José : en 53 Alexandre : d’accord, donc, vous avez quitté euh, après José : moi, j’ai quitté l’Algérie à l’indépendance en 62 Alexandre : d’accord José : euh, Alexandre : c'est-à-dire pendant le 5 juillet ? José : hein ? Alexandre : c'est-à-dire après juillet, c’est à quel moment que vous avez quitté ? José : en fait mes parents, si vous voulez, euh, n’avaient pas l’intention de partir de l’Algérie Alexandre : hum, hum José : ils avaient l’intention, bon déjà politiquement c’étaient des gens de gauche, donc ils ne trouvaient pas, ils pensaient que quelque part l’indépendance ce n’était pas un truc complètement inopiné, donc ils pouvaient éventuellement rester en Algérie après l’indépendance Alexandre : hum, hum José : donc ils n’avaient pas cette intention de partir, en plus mon père était cordonnier, ce n’était pas la grosse bourgeoisie, pas colons, pour lui c’était important de rester là-bas, parce que son commerce était là-bas et voilà Alexandre : hum José : et ma mère était couturière, donc pour eux, ils pensaient que, et en fait on est parti après l’indépendance parce que y’a eu un évènement en Algérie qui a eu lieu le 5 juillet Alexandre : hum José : je ne sais pas si vous êtes au courant de ça Alexandre : je ne sais pas José : il faudrait Alexandre : ouais José : parce que c’est vachement important Alexandre : ben allez y dîtes moi José : c’est très important, allez voir sur internet, parce que en fait le 5 juillet y’a eu une manifestation du FLN, donc après l’indépendance, 3-4 jours après l’indépendance Alexandre : c’était le 3 l’indépendance José : oui, et la proclamation officielle, il me semble que c’était justement le 5, y’avaient des manifestations qui ont dégénéré Alexandre : hum, hum José : avec une exécution, une déportation de tous les, la majorité des pieds-noirs qui se trouvaient dans la rue, enfin vous voyez, ça c’est très important Alexandre : c’était dans quelle ville là ? Ça s’est passé José : Oran Alexandre : à Oran José : ah oui, 5 juillet à Oran, euh, ça c’est un évènement vachement important qui a été passé sous silence pas mal, bon, moins maintenant parce que avec internet Alexandre : hum José : il y a des choses qui ressortent, des choses officielles qui ressortent, mais y’a eu énormément de disparus, de gens qui ont été tué et puis voilà. Alors soi-disant, que cette manifestation avait dégénéré parce que y’avait eu une provocation de l’OAS, qui était complètement faux parce que y’avait plus un pèlerin de l’OAS Alexandre : hum, hum José : à cette époque-là en Algérie, ils étaient tous partis, et en fait apparemment, c’était une sorte de rivalité entre 2 fractions du FLN à l’époque Ben Bella (12 :05) et puis une autre fraction plus radicale, je ne sais plus laquelle était la plus radicale, mais en fait, y’a eu , si vous voulez, une de provocation qui fait que le, la partie du FLN qui tenait Oran Alexandre : hum, hum José : fallait qu’elle soit, si vous voulez, décréditée, c'est-à-dire, elle ne pouvait pas maintenir l’ordre, donc, il s’est passé ce truc là pour montrer que ces gens-là ne pouvaient pas maintenir l’ordre et que bon, c’était vraiment un conflit interne Alexandre : c’était la lutte du pouvoir donc José : et donc là, y’a eu beaucoup de morts, et mes parents ont pris peur et là on a dit « on ne peut plus rester, on s’en va » Alexandre : et donc, vous êtes partis le José : le 26 Juillet Alexandre : 11 jours après quoi ? José : euh, en gros on est parti une quinzaine de jours après, sachant que bon, mais ça c’est un peu particulier, ma tante a réussi à avoir des billets de bateau, qui étaient extrêmement difficile à l’époque Alexandre : hum, hum José : parce que tout le monde voulait se tirer en même temps, et donc on est partit vraiment, un peu sur les chapeaux de roues quoi ! Alexandre : ouais, vous vous rappelez ça José : parce que le 5 juillet, on voulait rester et le 6 on partait Alexandre : mais vous vous rappelez ça ? José : ben, je m’en rappelle Alexandre : vous n’étiez pas vieux José : pardon ! Oui, je m’en rappelle d’euh, je me rappelle de l’organisation du départ. C'est-à-dire un des problèmes important dans ce genre de truc c’est qu’il n’y a plus de valoches Alexandre : hum José : plus de valoches, plus de valises Alexandre : ah ouais José : tout le monde achète des valises, vous allez au supermarché, vous allez au Prisunic, je c’était Prisunic à l’époque, y’avait pas 36 milles truc, ou les galeries modernes je ne sais plus comment ça s’appelait, et y’avait plus de valises, plus de cantines, plus de valises, donc, c’était la courses aux valises, ,un truc assez marrant c’est la course aux valises, et donc, d’abord je me souviens de ça, c’était récupérer des valises pour mettre des trucs dedans, ensuite, après les valises c’était ce que l’on appelait le cadre, le cadre c’est un, alors ça aussi ça fait partie de la mythologie des pieds-noirs, c’est une boîte en bois où on mets les meubles qu’on fout sur un bateau Alexandre : hum José : et qu’on récupère en arrivant en France, voilà ça s’appelait les cadres ça et c’était, y’avait donc des fabricants de cadres, des gars qui fabriquaient, alors après, c’était par rapport comme un appartement, c’était par rapport à l’espace à l’intérieur 12mètres cubes ou 15mètres cubes Alexandre : hum, hum José : c’était par rapport au machin, plus il était gros plus on mettait de trucs dedans, et moi je me souviens qu’on avait pris, je ne sais pas si je ne me goure pas 12mètres cubes, ça devait être ça, enfin un cadre, et là, il fallait mettre tout ce qu’on pouvait récupérer, euh, comme meubles pour arriver en France et on mettait dans ces fameux cadres, donc là, je me souviens on avait remplit ce cadre juste au dernier moment avant qu’il parte et on essayait de mettre le maximum de trucs, il restait une petite place alors, mon père était cordonnier, il lui restait une machine pour piquer le cuir, on l’avait mis au dernier moment, et ça c’était le départ, donc le départ c’était un peu ça euh, avec un peu l’angoisse que ce fameux 5 juillet ne soit pas qu’un seul jour d’exception mais que ça recommence quoi, donc, y’avait quand même une certaine angoisse de… A côté de ça, y’avaient des gens qui étaient au FLN, qui connaissaient mon père, qui lui disaient « non, il faut que tu restes, on va te donner une arme », enfin c’était un truc de cow-boy hein, « on va te donner une arme, tu vas te défendre, si y’en a un qui vient tu lui tires dessus, tu viens me voir après », mon père, il dit « non, non moi ça c’est pas possible, moi, je pars », voilà, donc on est partit un peu comme ça sur les chapeaux de roues. On a atterri en France à Marseille, on a passé la nuit euh, chez des gens qui étaient déjà revenus en France, et après on est partit, en fait dans des coups comme ça, on atterrissait ou il y avait de la famille qui était déjà un petit peu implantée quoi. Alors, mon grand-père, mon grand-père maternel avait son frère qui avait une ferme du côté de Toulouse, on a débarqué là-bas, et entre temps, il y avait mon oncle, donc le frère de ma mère qui lui faisait son service militaire en France Alexandre : hum, hum José : lui, il était si vous voulez de… Ma famille du côté de mon père des socialistes espagnols, du côté de mon grand-père des communistes, donc euh, mon oncle étant de tendance communiste, avait pas voulu faire la guerre en Algérie contre les arabes quoi, donc, il s’était engagé en France, donc, il en avait pris pour 3 ans euh, ce qui lui garantissait de faire son service en France et de ne pas aller en Algérie Alexandre : ah oui José : voilà, et donc il était déjà lui ici, il était déjà à Paris au Bourget à côté de la porte de la villette, à côté de l’aéroport du Bourget Alexandre : hum José donc, lui il était à l’armée au Bourget à l’époque, qu’il y avait l’armée de l’air qui était là, et donc, c’est lui qui a préparé un petit peu notre arrivée, c'est-à-dire qu’on a débarqué un petit peu du côté de Toulouse, un petit qui s’appelait Beaumont de Lomagne, c’est à côté de Toulouse ouais, et euh, après euh, on est resté là-bas peut être une quinzaine de jours, je ne sais, oui puisque après, j’ai quand fait une rentrée en France, j’ai fait une rentrée scolaire en France et donc après, on a atterri sur Paris dans un 2 pièces où vivait mon oncle, et là on a atterrit à 2 familles, la famille de ma mère et puis Alexandre : au Bourget donc ? José et la famille, et une partie de la famille de mon père quoi Alexandre : c’est au Bourget José entre temps, il y avait eu d’autres gens qui, la sœur de mon père qui habitait en Algérie qui était partie, mais qui elle, elle avait, comme son mari était fonctionnaire, ils avaient déjà des points de chutes, parce que pour les fonctionnaires quand les gens partaient, ils avaient des points de chutes, ils avaient déjà du boulot retrouvé, bon ce n’était pas forcément à Paris, mais ils avaient des points de chutes Alexandre : hum José : un peu comme ici, les postiers quoi, vous voyez, ils savaient qu’ils pouvaient venir ici Alexandre : hum José : donc là c’était un peu différent, mais nous on était un peu euh. Mes parents étaient français, parce que juste avant de venir, non, moi j’étais français, puisque moi j’étais espagnol un petit peu Alexandre : vous êtes né José : ils m’avaient naturalisé, mais mes parents étaient espagnols Alexandre : ils étaient encore espagnols José : ils étaient espagnols, donc arrivés ici Alexandre : ils vous ont naturalisés où je ne sais pas comment ça se passait, comme vous étiez, vous êtes né sur un sol français en fait ! José : non, à l’époque ça ne marchait pas ça, Alexandre : ça ne marchait pas José : non ça ne marchait pas il fallait être naturalisé Alexandre : d’accord, parce que José : c’est à postérieur ça Alexandre : d’accord José : à l’époque c’était euh, on naissait de la nationalité des parents et après les parents décidaient de vous naturaliser où pas, j’ai été naturalisé Alexandre : quand vous étiez en Algérie José : quand j’étais en Algérie, très peu de temps euh, avant le Alexandre : et eux, ils vous ont naturalisé vous, mais pas eux ? José : non Alexandre : ils ne voulaient pas et pourquoi ? José : non, ils ont mis un point d’honneur à rester espagnols, voilà, ils se sont naturalisés ici, bien après en France Alexandre : d’accord José : mon père était assez euh, Alexandre : et donc vos oncles là c’étaient aussi des immigrés forcément espagnols José : ouais José : non mais des 2 côtés récents José : ah non alors José : récent aussi ? José : mon oncle attendez Alexandre le militaire là José : oui, mon oncle lui, il s’est fait naturalisé il a dû être naturalisé aussi, il faudra que je regarde Alexandre mais donc, il venait forcément d’Espagne José : ah oui, oui, mon oncle est né en Espagne aussi Alexandre des 2 côtés José : tout le monde est né en Espagne Alexandre et ceux qui avaient la ferme là ? C’étaient des gens aussi José : et ceux qui avaient la ferme c’étaient des espagnols aussi, mais eux, étaient venus bien avant Alexandre ah ouais, José : bien avant la guerre d’Espagne, parce que y’a quand même eu toujours l’immigration Alexandre ne serait ce même économique, euh, euh, comment ça se passait la vie pour vous quand vous étiez en Algérie ? Comment, les modes de vies, les modes José : ben, les modes de vies, ça dépendait comme dans tous les endroits, déjà de la position sociale Alexandre : hum, mais vous ? José : alors, moi en question, mes parents comme je vous l’ai dit étaient, mon père était cordonnier, mais euh, de ce que je me souviens moi. Je suis né, on a vécu pendant 8 ans ou 7 ans dans une pièce, une seule pièce Alexandre : là-bas en Algérie, vous parlez ? José : en Algérie Alexandre : hum avant José : c'est-à-dire qu’on était dans une vieille maison où il y avait des européens où il y avait aussi des arabes, et euh, je me souviens c’était une seule pièce avec les toilettes dehors, et on a vécu pendant 7 ans là-dedans, c'est-à-dire mes parents, ils avaient un lit ici et moi, j’avais un petit lit à côté puis voilà Alexandre : vous étiez fils unique ? José : et là mon père avait galéré pendant pas mal de temps au niveau de la cordonnerie, et puis après, bon il a réussi à se… Socialement on est un petit peu monté dans le truc Alexandre : hum José : et, on a effectivement après on a loué un appartement à côté de sa cordonnerie qui était dans le centre d’Oran, euh, là c’était un truc beaucoup plus, enfin pleins de pièces et tout, c’était vachement bien quoi, et puis 1an après on a foutu le camp (rires) voilà Alexandre : c’était un logement qu’ils avaient acheté là José : hein Alexandre : non ils louaient ? José : louaient, louaient. On achetait, ce que l’on appelait à l’époque un bas de porte, c'est-à-dire, une espèce de somme qu’on gagnait au début, comme une espèce de caution d’après ce que j’ai compris, mais bon, ce n’était pas de l’achat Alexandre : mais ça c’était pour l’atelier, pour la boutique non ? José : non pour Alexandre : ah ça c’était, le bas de porte pour le logement José : parce que bon on habitait dans un truc, on habitait, puis ma mère à cette époque là voulait avoir un deuxième enfant, donc c’était beaucoup trop petit et puis c’était vachement insalubre, c’était un truc, c’était chaud quoi, et donc, ben ouais, comme les gens, ils voulaient habiter un truc beaucoup plus grand, donc au bout d’un moment, il a commencé à mieux tourner au niveau de la cordonnerie et tout ça, et donc, on a trouvé cet endroit là, je me souviens qu’à l’époque on visitait pas mal d’endroits, ce n’était jamais terrible et tout ça et finalement, on a abouti là et c’était à côté de son boulot quoi Alexandre : hum José : voilà Alexandre : donc, il avait son petit atelier avec son échoppe ou quoi ? José : il avait en fait, une cordonnerie en, une échoppe c’est ça, un truc en bois Alexandre : hum, hum José : dans une entrée de maison, parce que là-bas les maisons on entrait souvent dans des cours et puis la maison était autour, enfin les habitations étaient autour, et dans ces entrées ils y avaient souvent des échoppes en bois Alexandre : hum, hum José : des fois dans Paris dans le 19ème, le 20ème, on voit ce genre de truc encore Alexandre : oui déjà vu José : des trucs comme ça en bois et puis voilà, c’était une barque en bois en fait Alexandre : hum José : la cordonnerie c’était une baraque en bois Alexandre : ouais donc, c’était tout petit José : mais extrêmement bien placée parce qu’elle était dans le, dans la rue la plus commerçante d’Oran ou il y avait un marché tous les jours, un marché tous les jours ou les gens venaient faire leur marché, donc, au bout d’un moment il a réussi à avoir, enfin à avoir du boulot, donc vraiment que ça tourne pas mal et donc ça nous a permis de, de louer cette, de louer cet appartement, et voilà quoi. Donc, pour moi, euh, au niveau de …Moi, j’ai eu une enfance, en gros, je n’ai pas ressenti de manque quoi. Mais à l’époque, c’était différent quoi, ce n’était pas, y’avait plus ces tentations, comme maintenant ou les mômes ils veulent tout de suite un truc Alexandre : oui José : y’avait pas de télé bon y’avait 2 chaînes, c’était, les jeux entre les gamins, on se les inventait quoi, non mais ça, je n’ai pas eu l’impression de, même étant d’origine modeste quoi, parce que c’était le cas Alexandre : hum José : d’avoir eu de manque au niveau social je dirais quoi. Par contre au niveau de la guerre parce que ça c’est important, euh, on vivait quand même dans la peur quoi, on vivait dans la peur, parce que y’avait souvent des fusillades quand on sortait, on se promenait dans Oran et tout ça ou faire une course ça tirait, d’ailleurs le 5juillet moi, j’ai failli y passer parce que j’ai mon oncle, celui qui était militaire, était en permission à, en Algérie Alexandre : ah oui José : et on avait décidé d’aller à la plage et d’aller chercher sa fiancée et s’est en allant chercher sa fiancée que le truc a démarré, et s’est trouvé en fait avec sa fiancée bon, comme mon oncle, sa femme et moi coincés dans Oran pas pouvoir rentrer chez nous et euh, abrités dans une maison ou il y avait des européens qui, qui nous avaient fait rentrer parce que, et en espérant que les gars qui se baladaient avec des mitrailleuses rentrent pas dans la maison et tuent tout le monde, alors, on était planqué avec des matelas derrière les portes, et tout, parce que ça été chaud Alexandre : parce que en fait, vous vous rappelez, c’était que, y’avaient, c’est ça des gens qui circulaient, ce n’était pas un truc cantonné à un endroit José : non, c’était partout dans Oran Alexandre : c’était José : c'est-à-dire qu’il y avait des groupes de gens qui exterminaient tout ce qui était européens, alors qui c’était on ne sait pas, y’en a qui disait que c’était des policiers déguisés, d’autres que c’était de vrais policiers officiels, et en fait y’a eu beaucoup de gens déportés dans des endroits et qui ont disparus, mais ça il faut que vous vous reportiez sur le 5 juillet à Oran Alexandre : ouais, ouais José : le 5 juillet Oran sur internet y’a tout l’historique Alexandre : ouais José : et après bon c’était, on a eu du pot quoi, on était dans cette maison puis à la fin vers 18 heures tout ça, ça s’est calmé, on entendait plus de coups de feu, plus rien, donc on est sorti, on est rentré et mes parents qui n’avaient plus de nouvelles de nous, pensaient qu’on nous avait été zigouillé et tout ça, donc ils sont partis aussi à 6 heures nous chercher dans la rue et là on s’est retrouvé mais bon, y’avaient des cadavres par terre Alexandre : ah ouais José : ah ouais Alexandre : vous vous rappelez ça ? Forcément José : ouais, ouais Alexandre : même, si vous aviez 9 ans, ça devait être José : mais bon, on a vécu dans la peur, parce que quand y’avait les attentats du FLN c’est pareil quoi Alexandre : hum José : vous alliez au cinoche que si vous tombiez sur la bonne séance c’était bon, ce n’était pas la bonne séance ça pétait quoi, les gens, ils sortaient, ils n’avaient plus de jambes, ils n’avaient plus de bras euh, c’était ça les attentats quoi Alexandre : hum, hum José : à côté de ça, y’avaient les attentats de l’OAS Alexandre : OAS José : aussi, y’en avait des 2 côtés, donc, on vivait toujours dans des…Bon, ce qui nous, nous faisait peur en tant qu’européen c’était les attentats du FLN parce qu’il tapait là où il y avait des européens, l’OAS tapait, c’était un peu folklorique l’OAS, l’OAS c’était la famille, parce qu’il y avait une partie de la famille qui était à droite, l’autre partie à gauche, y’avait des gens de l’OAS qu’on connaissait, et par exemple y’avait des, de plasticage, on plastiquait tous les gens qui étaient un petit peu de tendance de gauche ou favorable à l’indépendance et tout ça, mais c’était folklorique parce que quand est venu plastiqué chez mon père, le gars, il dit « je te l’a met à côté la bombe hein, je te l’a met chez l’arabe d’à côté, qu’on a déjà plastiqué la nuit d’avant » Alexandre : oui mais ça, c’était parce que c’était la famille, parce que y’a tout de même eu des plasticages qui ont été assez effectifs quoi José : assez ? Alexandre : effectifs, enfin qui ont José : oui, mais c’était des vrais plasticages Alexandre : ouais José : y’a eu des trucs, mais je veux dire c’était compliqué comme situation Alexandre : hum, hum José : parce que, bon, y’avaient des gens qui étaient là, qui étaient à l’OAS qui étaient pas forcément des gens d’extrême droite Alexandre : hum José : y’avaient même des gens qui étaient de tendance socialiste, qui étaient pro OAS parce que bon, c’était, c’était leur vie qu’ils défendaient quoi, ça dépassait le clivage euh, c’est facile avec le recul de dire « ouais, mais bon l’analyse politique, l’indépendance et tout ça », c’est sûr, mais quand c’est votre vie, votre vie que vous avez construit qu’il faut lâcher comme ça d’un coup, les mecs ne sont plus d’accord Alexandre : hum José : alors, ils prennent, ils prennent n’importe quel chemin quoi, vous voyez ce que je veux dire, ils prennent n’importe quel euh, donc, y’avait ce, l’OAS en Algérie, enfin à Oran je parle, elle était, c’était un peu du folklore enfin pour moi Alexandre : hum José : c’est mon opinion hein Alexandre : et il n’y a pas eu, parce qu’il y a eu aussi des menaces de l’OAS justement dans ces temps-là « non, ne partez pas, sans ça on vous zigouille », y’a eu des tracts qui ont été, mais peut être que ça ne vous José : ouais mais pff Alexandre : peut-être que vous n’avez pas vu en tant que José : ouais mais bon, moi je n’ai pas, de l’époque où j’y étais moi, moi ce n’est pas un truc qui, par contre y’avaient des menaces sur effectivement sur les gens qui étaient réputés un peu de tendance un peu de gauche, un peu pro- indépendants, moi l’indépendance m’a pas plus gêné que ça Alexandre : et donc, vos parents étaient plutôt de ce côté-là ? José : oui, mes parents étaient des gens de gauche Alexandre : donc, ils n’ont pas été menacés eux ? José : qui n’étaient pas spécialement opposés à l’indépendance, hein Alexandre : oui José : dans la mesure où ils pouvaient restés, vous voyez ce que je veux dire Alexandre : ouais, ouais José : ça ne leur posait pas un problème, comment dirais-je, eux, eux ils pensaient, qu’ils allaient pouvoir vivre de la même manière quoi, avec en plus le fait, que les gens aient leur indépendance ça ne semblait pas être une injustice particulière, ça leur semblait une certaine logique politique quoi Alexandre : hum José : quand même quelque part Alexandre : mais eux, ils n’ont pas été menacés pour ça ? José : euh, si mon grand-père qui était donc communiste, un jour y’a un gars de l’OAS qui est rentré qui lui a mis un pistolet sur la tempe là, euh, parce que mon grand-père travaillait avec mon père dans la même boutique Alexandre : ha dans la cordonnerie José : dans la cordonnerie et en lui disant « bon, voilà, on va te faire sauter la cervelle », mais folklorique hein, il ne s’est rien passé, mais bon, c’était la trouille quand même, parce que, mais bon, c’était un peu, c’était un peu folklorique quoi. A côté de ça c’est vrai qu’après l’OAS a fait des attentats, des trucs, ils ont tué des gens, ils ont tué des communistes et des trucs comme ça, mais bon, si, si c’était quand même. Mais, nous ce que l’on ressentait en tant qu’européen c’était la crainte des attentats du FLN Alexandre : et vous ou même, parce que vous étiez petit tout de même, comme, aussi jeune, vous ressentiez cette précision, qu’est-ce que vous saviez au fond de ça ? Qu’est-ce qu’on vous disait ? Qu’est-ce que vous, bon y’avait ce qu’on percevait les fusillades José : oh, quand on est gosse, on croit celui qui a parlé en dernier, en gros c’est ça. Moi, je sais que bon (petit silence) les jeux des enfants, pour en revenir aux jeux à quoi on jouait, puisque y’avait pas la Game boy et machin Alexandre : hum José : ben, quand vous étiez avec des gamins, copains qui étaient plutôt OAS dont les parents étaient plutôt OAS, ben on jouait à l’OAS contre les fellagas hein, c’était le jeu, c’était un peu de l’insouciance, ce n’était pas un truc, à 8 ans on ne raisonne pas politiquement, on raisonne comme ça, et puis après, après quand on écoutait mon grand-père ou mon oncle, qui disait « ouais les OAS s’est des salauds, machins tout ça » ah, on était presque du côté des fellagas pour jouer contre l’OAS, mais c’était, on était entre 2 trucs Alexandre : hum José : c’était des trucs de perception de gamin, la seule perception objective c’était la peur, voilà, ça, moi, je sais que j’ai vécu dans un climat de peur, et quand on est rentré en France, enfin, quand on est arrivé en France, moi j’ai, je peux dire que j’ai soufflé dans le sens premier du terme Alexandre : ah oui José : c'est-à-dire que c’était l’angoisse totale, non mais sans blague, vous sortiez dans la rue, ça tirait dans tous les sens, vous ne saviez pas d’où ça venait, des fois ça tirait en l’air, ça tirait pour rien, c’était des moments de paniques qui étaient créés, on ne savait pas qui tirait si c’était l’armée, si c’était l’OAS, si c’était des gens du FLN ce qui n’était pas le cas parce que y’avait pas, avant l’indépendance le FLN était cantonné, enfin les arabes étaient cantonnés dans un quartier qui s’appelait « le village noir » en Algérie où ils ne sortaient pas, si ils sortaient Alexandre : vous voulez dire à Oran ? José : oui à Oran pardon ! S’ils sortaient euh, euh, c’était soit pour euh, une folie pour eux, parce que eux, ils se faisaient descendre par l’OAS hein ! En général les gars, ils ne faisaient pas 300mètres dans la rue avant de se faire, ou alors, ils sortaient pour faire un attentat quoi, donc c’était, on leur tirait dessus parce qu’on pensait qu’ils allaient faire un attentat mais les mecs n’avaient rien sur eux ou y’en a qui passaient quand même à travers les mailles du filet, enfin c’était, eux ils n’avaient pas de, si vous voulez, de, y’avait pas de tirs du FLN quoi ! Y’avait des attentats ça oui, y’avait des attentats parce qu’effectivement, il pouvait y avoir, par exemple, dans le marché dont je vous parle dans la rue, c’était tous des commerçants, c’était des arabes, les gens qui étaient dans le marché, c’étaient des légumiers des trucs comme ça, donc à travers des gens comme ça qui descendaient faire le marché, il pouvait y avoir des gens qui passaient, ils mettaient une bombe Alexandre : hum, hum José : ou un truc comme ça, donc ça, ça pouvait effectivement euh, la peur, elle était là soit la bombe, la bombe attentat du FLN, soit des tirs croisés comme ça entre l’armée, l’OAS, machin, une balle perdue, un truc comme ça, mais c’est quand même impressionnant quand vous sortez dans la rue que ça commence à tirer dans tous les sens quoi ! Alexandre : hum José : parce qu’on ne sait pas si ça ne va pas vous, bon puis le bruit des balles c’est un truc euh, ou les rafales c’est, on ne sait pas d’où ça vient, si c’est proche, si ce n’est pas proche, si ça va, si on va dans le bon sens ou pas dans le bon sens Alexandre : ouais José : donc c’est que c’était assez angoissant, moi ça m’a beaucoup angoissé ça Alexandre : donc ça c’était, c’était, vous avez le souvenir que c’était ça avait toujours été comme ça en Algérie, en fait pour vous ? José : non, non, ça c’est plus euh, non parce qu’il y a eu une période de, je dirais parce que je ne vais pas m’en souvenir, ce n’est pas évident mais, je crois que pendant une certaine période c’était beaucoup plus calme l’Algérie, c’était quelque chose peut être jusqu’à l’âge de 5-6 ans, je ne sais pas Alexandre : hum José : euh, bon peut-être jusqu’aux années 58 en fait Alexandre : ouais José : dans ces eaux-là, avant qu’il n’y ait les événements qui commencent, l’Algérie c’était un truc peinard quoi ! Euh, même pour les gens qui n’avaient pas beaucoup d’argent, y’avait cette communauté espagnole pied-noir euh, mon père était socialiste donc, il y avait une espèce de, de truc qui réunissait tous les socialistes espagnols, une espèce de centre socialiste culturel machin, où il y avait, où les gens allaient danser tous les dimanches après-midi, y’avait une vie comme ça c’était, et toujours quand même, parce que ça c’est hyper important, c’est que quand même, moi c’est mon sentiment, soit de gauche, de droite et tout ça, y’avaient des gens complètement infériorisés c’étaient les arabes Alexandre : hum, hum José : même par les gens de gauche, c’est la colonie Alexandre : hum, hum José : la colonie, c'est-à-dire que, c’est le principe de la colonie, c’est qu’à la base, il y a des gens qui vous sont inférieurs et c’est pour ça que vous avez droit vous de leur apprendre à vivre Alexandre : hum, hum José : voilà, ça c’était le sentiment euh, donc même quand on était bien, je me souviens que le petit copain arabe, c’était quand même les petits copains arabes, et même dans cette maison où on habitait, même l’européen qui avait 3 francs 6 sous, il donnait quelque chose à l’arabe pour qu’il puisse bouffer, y’avait ce côté condescendant entre guillemets Alexandre : hum, hum José : ce n’était pas vraiment de la condescendance parce qu’il y avait aussi de l’humanité quoi ! Mais y’avait ce côté euh, pas être inférieur, c’est un peu dur de dire être inférieur, parce que ça dénote un côté un peu, un peu nazi mais, du genre il faut qu’on leur apprenne à vivre quoi ! Alexandre : hum, hum José : vous voyez ce que je veux dire Alexandre : hum José : c’est nous qui allons leur apprendre à vivre ou leur apprendre comment on fait quoi Alexandre : et vous en tant que môme comment ça se passait alors justement ? Vous aviez des, justement, vous jouiez, vous alliez à l’école José : alors y’avait, alors comme n’importe quelle, si vous voulez, organisation sociale dans n’importe quelle société, y’avait moi fils d’espagnol, les pieds-noirs français c’était au-dessus Alexandre : ouais José : parce qu’y avait une maison en France, parce qu’y avait de la famille en France, parce que c’était les premiers colons, donc, nous après, on était quand même un peu, la main-d’œuvre rajoutée, la main d’œuvre espagnole enfin bon, disons des gens un peu moins, comment dirais-je, un peu moins, si moins, moins, ben, socialement un peu inférieur par rapport Alexandre : hum, hum José : enfin ça, je vous dis ça d’une façon globale hein ! Après y’avaient des cas particuliers et puis, nous, on était les colons, on était encore au-dessus euh, de la population arabe même en tant qu’espagnol émigré Alexandre : hum José : et tout ça, on était quand même au-dessus, c’est un peu ce qui se passe, si vous allez à Miami où les latinos, ils ont pris le pas sur les blacks, parce qu’avant les blancs, les noirs Alexandre : hum, ouais José : et entre les deux se sont mis les latinos et ils ont, si vous voulez, supplantés euh, ben au niveau social les noirs qui se trouvent vraiment en longue peine prolétariat complètement, et c’était un peu ça quoi ! Même au niveau de, tout ce qui était européen, de toute façon, était au-dessus socialement des arabes. Après entre les européens y’avaient les classes là, on était quand même quelque part des étrangers par rapport aux français qui étaient là Alexandre : hum José : d’origine en Algérie depuis 1900, mais bon, avait toujours cette espèce d’échelle de valeur qui était toujours là Alexandre : et alors mais vous José : et pour moi en tant que gamin, voilà j’avais des copains français qui avaient la télé, qui avaient, bon ils partaient en vacances en France, ils nous racontaient qu’en France y’avaient des forêts, en Algérie y’a pas de forêt, y’a que des plages avec du sable voilà, et, enfin y’avait des forêts mais pas là où on habitait, on ne connaissait pas ça nous, donc ce côté un petit peu, c’est des français, français c’était quelque chose et voilà, et à côté de ça nous, on avait euh, notre classe inférieure qui était quand même là quoi Alexandre : mais justement, y’avaient des relations, vous jouiez, vous aviez vraiment, vous vous retrouviez, vous alliez chez les uns et les autres, je ne sais pas José : alors, Alexandre : comment ça se passait José : en fait oui, oui, parce que bon, jusqu’à, jusqu’à aux évènements de 58, ou vraiment y’avait une cohabitation entre les arabes parce que y’avait pas d’attentat, y’avait pas de chose comme ça, qui était une cohabitation de, qui n’était pas égale comme je vous dis puisque y’avait une différence Alexandre : hum José : on jouait, on jouait ensemble entre gamins, bon tout ça c’était, on jouait quand même ensemble, y’avait pas de, mais par contre par exemple, vous voyez à l’école euh, y’avait une, une sélectivité quoi, les, moi, je me souviens très bien les positions par rapport au bureau du maitre quoi, euh, c’est vrai que les enfants arabes, ils avaient plus de difficulté à la langue et tout ça , donc, ils étaient souvent mal classés dans le, un peu comme maintenant je dirais entre guillemets Alexandre : dans le classement José : donc, ils étaient tout au fond Alexandre : ah d’accord, mal placés même José : mal placés et même mal classés Alexandre : ouais José : parce qu’ils n’avaient pas l’accès à la lecture ou machin aussi facilement que, mais bon, c’est une question culturelle, quand vous arrivez d’Espagne la guerre des mondes, du côté de mon père, on arrivait d’une certaine petite bourgeoisie, si vous voulez, on a été beaucoup plus, on a eu accès aux études des machins comme ça, on ne parlait pas la langue, c’était ça la différence mais, mais par rapport, si vous voulez, euh, au niveau de l’éducation des arabes qui était quand même vachement bas à l’époque parce que, y’avait cette différence quoi ! L’arabe c’était celui qui était au fond de la classe Alexandre : ouais José : même s’il avait le droit de venir à l’école comme tout le monde Alexandre : hum José : y’avait une réalité qu’il était toujours au fond Alexandre : et il y en avait beaucoup ou, c’était quoi la proportion ? José : je ne peux pas vous dire Alexandre : vous ne vous rappelez pas José : mais y’en avait pas mal, pas tant que ça, mais y’en avait pas mal Alexandre : et donc, vous jouiez dans la cour tous ensemble et même en dehors ? José : ouais dans la cour, moi, je me souviens de, dans la chanson que j’ai faite, y’a un passage là-dessus euh, où je jouais effectivement avec des copains arabes quand j’habitais cette maison où il y avait des arabes Alexandre : hum, hum José : parce que là, on habitait ensemble quoi, on était comme de là à la porte à côté Alexandre : et puis après la grande maison d’Oran c’était en 61 aussi José : non, puis après c’était la maison qu’avec du français Alexandre : ah oui José : euh Alexandre : et puis c’était en 61 en plus José : en 60- 61, ben c’était la maison bourgeoise voilà, ça c’était autre chose. Mais c’est vrai que bon à ce niveau-là, je me souviens d’avoir eu une relation à peu près, de ce que je me souviens parce que ce n’est pas évident, voilà Alexandre : et vos parents, ils avaient, ils fréquentaient aussi José : non, non Alexandre : des arabes, c’était un truc pour les mômes ça José : c'est-à-dire, ils fréquentaient les arabes, non mais les mômes ils jouaient ensemble parce qu’ils jouaient Alexandre : ouais José : même si entre les mômes, même si dans les jeux des mômes y’avait aussi cette différence, même y’avait cette différence, c'est-à-dire que quand on jouait au cow-boy, celui qui faisait le méchant c’était l’arabe Alexandre : il faisait l’indien José : oui voilà, c’est lui qui faisait l’indien tout à fait Alexandre : généralement c’est çà José : voilà, et, et, et chez les gens c’est pareil, jamais y’a eu un arabe qui est venu manger à la maison, même si mes parents étaient de tendance de gauche jamais, ce n’est pas qu’ils ne voulaient pas, c’était un truc impensable Alexandre : ouais José : impensable, ce n’est pas difficile, vous regardez le film « le coup du sirocco », je ne sais si vous l’avez déjà vu Alexandre : non jamais José : ah il faut le regardez, parce que le coup du sirocco ça décrit vachement bien ce que je suis en train de vous raconter, c’est bon, avec un petit peu de mélo et tout ça mais c’est quand même assez juste Alexandre : hum José : et on voit les relations comment elles étaient, qu’est-ce que c’est comme relation quoi Alexandre : ouais José : c’est-à-dire que les arabes, on les aime bien, et cette histoire de cohabitation entre français-arabe, qu’on nous sort maintenant là, du genre « oh ben, on habite peut-être bien ensemble, je ne comprends pas pourquoi », non ce n’est pas vrai et ça avec beaucoup de gens avec qui je parle, y’avait toujours cette différence sociale toujours, toujours, toujours, toujours, y’a jamais eu l’égalité. Bien sûr, on cohabitait bien ensemble, y’a pas de raison que vous tapiez r sur votre bonne ou, si elle faisait bien son boulot, vous voyez ce que je veux dire, c’est de la cohabitation ça, ce n’est pas de l’égalité, y’a jamais eu de l’égalité, jamais y’a eu un, enfin, en tout cas dans ma famille à moi, qui étais relativement représentative de, je, je, de l’ensemble des familles de cette partie sociale Alexandre : ouais, et plutôt progressiste si je comprends bien José : plutôt progressiste, mais, je vous dis, c’est au-delà Alexandre : ouais José : si vous reprenez les discours de Marx au début du siècle, c’est d’une violence racisme mais à se rouler par terre quoi ! Quand, il parle des africains ou des trucs comme ça, parce que à cette époque-là, on était encore là-dedans, on était dans la colonie, et la colonie c’est, c’est des gens qui vous allez apprendre à vivre quoi et pour, si vous leur apprenez à vivre c’est qu’ils ne savent pas vivre, c’est qu’ils ont des façons de vivre qui sont indus Alexandre : hum, hum José : qui sont voilà, alors il y avait le côté un peu comme ça Alexandre : et euh, vous avez, donc quand vous étiez tout môme vous parliez, vous avez parlez français tout de suite en fait ? José : alors, moi je suis rentré à l’école, je parlais espagnol Alexandre : ouais, d’accord José : mes parents parlaient espagnol donc c’était un de leur problème, ils se demandaient comment j’allais, et finalement j’ai appris très vite, en 15 jours j’ai compris de quoi il s’agissait Alexandre : oui à cet âge là José : non, non, j’ai appris à l’école comme ça en maternelle, tout de suite dans le bain quoi Alexandre : ça veut dire que dans votre famille on parlait tout le temps espagnol José : tout le temps, tout le temps Alexandre : euh José : et après quand moi, j’ai commencé à parler à demi-français, moi je ne parlais français en fait, j’ai parlé français avec ma mère, et espagnol avec mon père Alexandre : hum, hum José : avec ma mère Alexandre : et ça dès l’Algérie José : dès l’Algérie ouais, ouais c’était toujours euh, espagnol avec mes grands-parents parce qu’ils ne parlaient pas, et français avec mon, avec les gens qui étaient un petit peu, si vous voulez, qui étaient plus rentrés dans la langue française, et avec les gens qui avaient du mal qui étaient toujours un petit peu, qui n’avaient pas l’occasion de la pratiquer cette langue, en fait qui sont restés à l’espagnol, je parlais espagnol quoi, c’est plus simple Alexandre : hum, hum, et arabe, vous avez parlé arabe ? José : ah non, ça c’est pareil que d’inviter un arabe. Les gens qui parlaient arabe c’était euh, souvent c’étaient les colons à l’école Alexandre : vous voulez dire les gros exploitants, les exploitants ? José : ils avaient besoin de ça pour communiquer, pour, mais en ville comme ça en Algérie on parlait arabe des mots, des mots du genre « dépêche-toi, c’est combien », voilà enfin des trucs comme ça, mais la langue arabe, elle n’était pas pratiquée, enfin certains si, ils parlaient arabe, parce qu’ils se trouvaient, euh, mais c’est souvent plus dans les régions agricoles, dans les villages, euh, mais dans les villes non, les pieds-noirs parlaient pas forcément, à ce que je dis parler arabe moi, c'est-à-dire maintenir une conversation Alexandre : oui, oui José : les mots, les machins, les expressions quotidiennes qu’on apprend comme ça on les avait, mais la langue en soit, moi je n’ai pas souvenir qu’autour de moi on parlait arabe, enfin entre européens quoi Alexandre : hum José : les européens parlaient aux arabes de façon Alexandre : y’avait des conversations José : ouais, ouais, voilà Alexandre : et, et euh, et donc qu’est-ce que, j’en reviens, donc en gros, il me semble qu’on voit assez bien, comment ça pouvait se passer en Algérie. Votre père après, donc vous êtes revenu, votre père a continué son boulot, il était toujours cordonnier ou il a changé José : non, non, il a cordonnier, il, il a, ça aussi ça été une grosse galère, parce que là-bas il était artisan, il avait sa boutique, il avait même des ouvriers, puisqu’au bout d’un certain temps, il a quand même réussi à avoir pas mal de clientèle donc il avait même des ouvriers, et là, quand il est arrivé ici, il n’avait plus rien, c’est à dire qu’il a fallu qu’il trouve un emploi de cordonnier mais en tant qu’employé, voilà, donc il a travaillé dans, chez pas mal de patrons Alexandre : hum, hum José : donc voilà, dans des conditions plus ou moins bonnes, et jusqu’au moment, au bout d’un certain temps, il a réussi à remonter sa propre cordonnerie, à se remettre en tant qu’artisan Alexandre : hum, hum, et votre mère ? José : ma mère, elle était, si vous voulez, couturière en Algérie, les derniers temps quand mon père fonctionnait bien avec sa cordonnerie, elle avait arrêté de travailler, puisque mon frère est né à ce moment-là, quand on est arrivé ici à Paris, eh ben, elle a dû se remettre à faire euh, même un peu de ménage, des ménages, et aussi à faire un peu comme ça de corde, de couture au niveau, comme ça, raccourcir les ourlet de la voisine, le pantalon du gamin, des trucs de, comme ça entre voisins Alexandre : hum José : travailler un petit peu au black, comme ça, pour pouvoir, et après au fil du temps, elle est rentrée aux Galeries Lafayette comme retoucheuse, voilà, mais elle est restée dans ce créneau-là. Et c’est pareil, ils ont connu une mauvaise période, enfin une période difficile, en fait, entre, entre l’arrivée d’Algérie jusqu’aux années, ça a duré 10 ans quoi, jusqu’aux années 70 voilà, ça n’était pas, jusqu’aux années 70 ça été difficile quoi Alexandre : et José : après, il a recommencé euh, a recommencé à retravaillé correctement, a retravaillé pas mal Alexandre : c’est là qu’il s’est remis indépendant et tout ça c’est ça ? José : non, il s’est remis indépendant bien avant, mais même en tant qu’indépendant ça été la galère pendant pas mal de temps, et ça a commencé vraiment à tourner, euh, dans les années 70 par-là, au moment où il est mort d’un cancer Alexandre : ah bon, ce n’est pas de chance (rires de José ), et donc vous avez eu un frère à ce moment-là ? José : voilà Alexandre c’est dans José : mon frère, il a Alexandre peu après l’arrivée alors ? José : non, il est né en Algérie en Alexandre en Algérie José : il est né en 60, oui en 60 Alexandre ah oui d’accord José : non en 61 et voilà, donc il avait 1 an quand on est parti, il avait à peine 1 an, même pas d’ailleurs 11 mois pas tout à fait 1 an, donc lui l’Algérie c’est Alexandre : c’est flou, ce n’est pas une réalité José : il a juste ce souvenir du plastic qu’il avait eu en bas de chez moi, qui a fait que ma mère est partit accouché en trombe Alexandre : du plastic ? José : du Alexandre : de la bombe José : de la bombe oui, parce qu’il y avait des bombes tous les soirs Alexandre : ouais José : et quand c’était proche ça faisait du bruit Alexandre : et alors ça a provoqué l’accouchement c’est ça ? José : ben oui, donc elle est partie, donc, il doit se souvenir d’un bruit Alexandre : vous dîtes ça, parce que vous imaginez qu’il se souvient (rires de José et d’Alexandre ) José : il doit se souvenir d’un bruit Alexandre : et donc pour, pour le, donc vous êtes arrivé à Marseille, vous avez été à Montpellier chez un de votre oncle José : non, non pas à Montpellier, du côté de Toulouse Alexandre : ah pardon, près de Toulouse oui, puis après le Bourget ? José : le Bourget Alexandre : et ensuite, vous êtes restés combien de temps au Bourget ? José : et ensuite, un petit temps d’adaptation au Bourget, et c'est-à-dire en gros, on est resté euh, je pense 1 mois au Bourget ou 1 mois et demi, et ensuite mes parents ont trouvé un appartement euh, ils ont, ils ont acheté, ils se sont lancés dans l’achat d’un 2-pièces dans le 13ème Alexandre : ah oui José : avec bon, les crédits à l’époque qui étaient faramineux, mais à l’époque c’était beaucoup quoi, pour eux c’était beaucoup Alexandre : surtout qu’ils n’étaient pas très bien installés économiquement ! José : ben, le problème, y’avait pas à l’époque, y’avait la crise du logement et il n’y avait pas de location euh, à la limite pour se loger il fallait se lancer dans un achat Alexandre : hum José : bon c’était un petit truc hein, c’était un 2- pièces cuisine dans le 13ème dans un immeuble complètement insalubre, et à l’époque ça a dû coûter 25 milles francs, si je me souviens Alexandre : hum, hum José : c’était le prix de l’époque, et je me souviendrais toujours des remboursements mensuels qui étaient de 260 Francs Alexandre : ah vous avez une sacrée mémoire José : qui semble, ah oui, je m’en souviens, parce que ces 260 francs pour les choper à la fin du mois c’était quelque chose Alexandre : hum José : j’entendais ma mère des 260 francs, qui devait corresponde maintenant, je ne sais pas, à 1200 Euros par mois de remboursement Alexandre : hum José : voilà, et donc là ils ont acheté ça et euh, voilà, on s’est installé dans le 13ème, alors mon frère, mon père, ma mère et moi Alexandre : et donc ensuite ? José : et ben ensuite la vie à tourner, moi j’ai fait mes études dans le 13ème Alexandre : vous avez vécu là longtemps alors dans cet appart ? José : on a plus bougé. Jusqu’à à peu près les années 70 où mon père a pris une boutique, avant des années, en gros, de l’arrivée, il a eu quelques employeurs comme ça, ensuite il s’est installé une première fois à la porte de Clignancourt Alexandre : hum, hum José : dans une boutique, il était en gérance, ah non en fait je vous raconte des conneries, parce qu’en fait, il ne s’est installé tout de suite en tant qu’artisan, tout le temps qu’il est resté à la porte de Clignancourt il était ce que l’on appelle en gérance, il était artisan mais ce n’était pas à lui la boutique, il fallait que tous les mois il donne au propriétaire un certain, et ensuite dans le 13ème, il est revenu dans le 13ème où là il a pris sa vraie boutique Alexandre : hum, hum José : il a acheté une boutique, voilà, c’est là que nous, comme cette boutique elle avait un appartement au-dessus Alexandre : ah c’est en même temps qu’il a acheté José : voilà, on a changé d’appartement, on a, on est partit de l’appartement qu’on avait dans le 13ème à un autre endroit du 13ème à la poterne des peupliers où là effectivement on a changé d’appartement, mais ça ces des histoires de, de bon, par rapport aux pieds-noirs ça n’a pas de Alexandre : non, non c’est José : c’est des changements de vies, en fait des reconstructions de vies Alexandre : hum José : en fait on s’aperçoit qu’on, mon père quand il est partit d’Algérie, il avait, ben il devait avoir 35 ans un truc comme ça ou, 39 ans, 39 ans et quand il est parti, à 39 il déjà sa vie qui a bien, surtout, quand on est artisan, on est dans un métier qu’on s’est forgé, une situation sociale qu’on s’est forgé jours après jours Alexandre : hum José : en se faisant une clientèle, en se faisant, enfin ce n’est pas un truc qui vous tombe du ciel, ce n’est pas un poste comme ça, c’est vraiment un truc, et quand on arrive à 39 balais qu’on a plus rien, on se retrouve à point zéro, comme si on avait 17 ans et qu’il faut repartir, on redémarre une nouvelle vie quoi, et il a redémarré une nouvelle vie Alexandre : hum José : c’est en ça, parce qu’après qu’il est pris une boutique qu’il est déménagé Alexandre : oui, oui José : ça avait ce côté de reconstruction complète, ce n’était pas juste un changement de situation, c’était qu’il fallait tout reconstruire quoi Alexandre : ouais José : voilà Alexandre : et alors justement, vous dîtes c’était dur, euh, vous j’imagine ce n’est pas la même chose, mais pour vos parents comment ça se concrétisait, je ne sais pas, vous vous rappelez de scènes, de déprimes de ? José : ben, je me souviens de, du premier noël qu’on a passé en Algérie, euh, en France en arrivant d’Algérie euh, là-bas en Algérie noël c’était une fête exceptionnelle euh, c'est-à-dire moi, je me souviens c’était, ma tante se déguisait en père noël et on avait des cadeaux et des machins, c’était la fête super, et après on arrivé en juillet donc après le premier noël au mois de décembre après, je me souviens très bien, on regardait la télé, il faisait froid, mon père il avait un espèce de peignoir en, comme ça là, appartement hyper humide, on était déjà dans cette maison qu’ils avaient acheté et ils pleuraient Alexandre : ah oui José : et ils regardaient la télé, il y avait euh, des chants de noël, je ne sais pas quoi, et par rapport à ce qu’on avait vécu le noël avant c’était bon, je me souviens que bon, que m’acheté un cadeau ça été la croix et la bannière parce qu’il n’y avait pas d’argent , y’avait pas de fric quoi donc, ma grand-mère elle a dit « bon, je vais quand même lui acheté quelque chose » et je me souviens, il ne fallait pas qu’on dépasse les, ma mère avait donné un budget, je crois que c’était euh, je ne sais pas si c’était pas 50 francs un truc comme ça, j’avais réussi à avoir un truc à 60 francs parce que ma grand-mère poussé à 10 francs près au-dessus, donc on était retombé, alors qu’en Algérie on était tranquille hein, je demandais n’importe quoi, enfin bon pas n’importe quoi mais c’était, là on était revenu dans un truc miséreux quoi quelque part Alexandre : ouais José : et je me souviens de mon père qui pleurait ce soir-là, le soir de noël il pleurait. Et alors mon père a toujours voulu retourner en Algérie même après être ici Alexandre : et votre mère ? José : parce qu’il y avait des gens qui étaient restés là-bas et qui lui envoyaient des lettres en lui disant, par exemple il avait quelqu’un qui lui gardait, enfin à qui il avait laissé la boutique qui lui dit « ouais tu devrais revenir ça marche bien et tout » mon père il était toujours tenté de retourner en Algérie parce qu’ici en France c’était la galère quoi ! Alexandre : il ne s’est jamais José : et en fait très peu de temps après ces gens-là sont venus aussi, y’avait pas de situation économique viable, parce que pour réparer des chaussures, il faut qu’il y ait des ventes de chaussures, il faut que les gens achètent quoi, ça marchait, ça ne marchait pas Alexandre : hum José : les gens n’avaient pas de fric en Algérie, après l’indépendance c’était, y’avait pas une population qui faisait réparer les chaussures quoi ! Alexandre : et donc, il ne s’est jamais fait en fait à la France votre père ? José : non, non pas vraiment, non pas vraiment Alexandre : et votre mère ? José : ma mère plus facilement ouais, ma mère, ben après c’est une question de mentalité, ma mère est plus ouverte, était plus ouverte plus, plus à la recherche de la nouveauté des choses comme ça Alexandre : hum José : alors que mon père était plus traditionnel, il ne s’y est jamais fait mais, à la fin un petit peu, alors juste avant de tomber malade, il s’y est fait un peu plus parce qu’ils avaient réussi à se refaire une situation correcte quoi, mais il a eu toujours un peu de mal, il est toujours resté un peu espagnol même en Algérie, il était toujours espagnol Alexandre : hum, hum José : il n’était pas trop, les pieds-noirs c’étaient quand même des français, il ne s’est jamais sentit pied-noir mon père Alexandre : ah oui José : mon père c’était un espagnol, les pieds-noirs c’étaient des français, euh, après on a été pied-noir de fait parce que bon, mais dans sa mentalité il était espagnol il n’était pas français Alexandre : et vous ? José : euh moi j’étais français parce que moi côté espagnol, je l’ai parce que c’est ma culture maternelle mais j’ai toujours vécu en France quelque part, je suis né en Algérie c’était la France Alexandre : et pied-noir ? José : pied-noir Alexandre : vous êtes pied-noir José : euh, bonne question (petit temps de réflexion), je ne proclame pas que je suis pied-noir Alexandre : hum José : vous voyez ce que je veux dire, je ne suis pas, ce n’est pas une identité, si une identité parce que c’est comme ça qu’on appelle les gens comme moi Alexandre : hum, hum José : mais euh, y’a un côté péjoratif pour moi quand même là-dedans Alexandre : ce n’est pas vous qui vous appelez comme ça quoi? José : non, quand je dis aux gens, alors maintenant y’a un autre côté, c’est que quand vous dîtes que vous êtes né en Algérie, il faut précisez que vous êtes pied-noir parce que sinon vous êtes arabe, je ne suis pas arabe non plus Alexandre : hum, hum José : alors je suis obligé de dire ben voilà, pour arriver à faire comprendre la chose aux gens c’est je suis pied-noir, donc je suis français d’Algérie, mais je ne revendique pas ça comme un, euh, peut-être parce que je suis venu jeune que je n’ai pas, mais même une grosse partie de ma famille qui est venue après on a jamais revendiqué le côté pied-noir euh Alexandre : hum José : ça c’est français, c’est plus les pieds-noirs français qui revendiquent le, mais du genre association pied-noir ce n’était pas le truc chez nous Alexandre : et comment ça s’est passé pour vous euh, l’arrivée en métropole José : parce qu’en fait, eh les pieds-noirs c’est comme n’importe qui hein ! C’est comme n’importe qui je veux dire, pied-noir ce n’est pas parce que vous êtes pied-noir qu’on n’est pas tous pareil, pied-noir y’a des gens sympas, y’a des cons, y’a des machins, je veux dire c’est, pourquoi on se proclamerait d’être pied-noir parce qu’on a la même provenance la même, le même folklore je dirais quelque part culturel, après ce n’est pas vraiment je dirais, pas faire du communautarisme, c’est pas, on a le même folklore le même euh, folklore c’est peut-être péjoratif mais, on a la même identité comme ça culturelle quoi, on réagit, par exemple y’a un truc qui s’appelle, un truc que vous pourriez faire dans votre expo, je ne sais pas Alexandre : ouais, allez-y je vous écoute hein José : est-ce que vous faites des choses à manger ? Alexandre : ben, on s’est posé la question mais pas dans l’expo, mais peut être le jour de l’inauguration José : parce qu’il y a un plat qui s’appelle la calentica Alexandre : hum, hum, ouais José : un plat typique d’Oran qui est en fait une espèce de flan qui est faite à base d’huile d’olive et de feuilles de pois chiches, et l’autre jour, je ne sais pas pourquoi, j’ai voulu regarder comme ça la recette sur internet et il y a des tas de gens qui s’expriment sur ce truc Alexandre : hum José : qui est en fait une espèce de flan qu’on achetait aux gamins quand ils sortaient de l’école, on mangeait très chaud dans un Alexandre : ah ça se mangeait chaud ? José : oui ça se mangeait très chaud, dans un bout de papier journal et c’était ça qui faisait le gout (rires de José et Alexandre ) le papier journal autour, et il y a un gars qui parle de ça et c’est tout à fait ça, c’est là, la Alexandre : hum, hum José : la madeleine de Proust quand vous parlez de ça ne serais- ce que le mot, vous avez l’odeur qui vous revient, donc on a ce côté identitaire d’odeurs, de chansons aussi, parce que en tant que musicien, je vois, parce que des fois je fais des trucs pour la FNACA, ou des gens qui ont des relations avec l’Algérie ou des machins, des trucs comme ça, il m’est arrivé de faire, et je, y’a par exemple, y’a, y’a par exemple un patrimoine de chansons populaires où les gens se réfèrent à ça, je ne parle pas d’Enrico Macias qui est venu après Alexandre : hum, hum José : parce que Macias c’est autre chose, c’est celui qui raconte, mais le vécu des gens c’était Dario Moreno, c’était des chanteurs comme ça, des chanteurs latinos américains qui venaient en tournée à Oran, des, Gloria Lasso, c’était tout un patrimoine comme ça, euh, culturel, populaire je parle hein Alexandre : hum, hum José : parce que moi je viens d’un milieu populaire, donc, je parle je connais, où les gens se reconnaissaient quoi ! La plaisanterie, les machins tout ça c’était une façon de vivre, l’anisette, l’apéro, pleins de choses comme ça, comme il peut y avoir dans le Sud, à Marseille, ou je ne sais pas, vous voyez, c’est le genre de culture populaire de vivre comme ça, d’une façon de vivre comme ça quotidienne, ça oui y’avait vraiment ce côté pied-noir quoi, après bon, c’est ça pied-noir, c’est ce folklore quoi, après le reste c’est des gens différents les uns des autres, c’est pas Alexandre : hum José : et puis, le seul point commun qu’ils avaient c’est politiquement à un certain moment, ils avaient une option, quand même la grande majorité des pieds-noirs étaient contre l’indépendance, donc c’était le point commun, ce n’est pas rien, c’est un point important Alexandre : hum, hum José : que les gens convergent comme ça politiquement sur un truc, je vous dis qu’ils soient de gauche ou de droite, parce qu’il ne faut pas croire que les gens de gauche, ils n’étaient pas tous pour l’indépendance ça je peux vous l’assurer, y’ a des gens ici Alexandre : hum José : et donc, et même en France, même en France à part le parti communiste, prenez un mec comme Albert Camus ses déclarations sur les attentats, sur l’Algérie ou des trucs comme ça, vous allez sur internet vous allez voir ben le mec il n’était pas clair non plus, un mec de gauche soit disant, ben fallait pas trop toucher à son Algérie, des limites quoi, ça c’est le truc de la colonie ça, qu’on oublie après, qu’on oublie, parce que avec l’histoire, regardez les espagnols, ils ont colonisés toute l’Amérique du Sud de façon bien pire, en exterminant et machin, mais maintenant c’est normal qu’est ce qui va leur reprocher d’avoir exterminé la moitié des indiens d’Amérique du Sud, c’est rentré dans les normes Alexandre : hum José : regarde en Amérique du Sud on parle l’espagnol et voilà, et il y a toujours ce petit côté de l’espagnol parce que moi, je fais de la musique sud-américaine, donc j’ai été en contact avec des indiens et tout ça, toujours ce côté complexé, ce côté, euh l’espagnol machin, mais après ça passe dans, le monde c’est fait comme ça Alexandre : ouais, ouais José : le monde c’est fait à coup de guerre, de colonisation, d’invasion Alexandre : et cous disiez que dans cet, dans ce patrimoine culturel, ou, je ne sais pas de quoi on peut parler, y’avait là ou cette façon de vivre, la plaisanterie, c’est quoi, y’a un humour spécifique pied-noir ? José : euh, y’a l’accent déjà Alexandre : hum José : alors l’accent pied-noir en fait c’est un, y’avait déjà la langue pied-noir, ce qu’on peut appeler la langue pied-noir, c’est un truc que certains appellent le ako, ça veut dire Alexandre : ça vient de l’espagnol visiblement le yako José : ben, justement je ne sais pas trop d’où ça vient Alexandre : ouais José : parce qu’en fait les pieds-noirs souvent d’origine espagnol ou le contraire, ils mélangeaient l’espagnol avec le français Alexandre : hum José : c'est-à-dire qu’ils faisaient ce que l’on appelle des « faux-amis », c'est-à-dire qu’ils, euh, ils inventaient des mots, euh, soit les espagnols prenaient des mots espagnols qu’ils trafiquaient plus ou moins pour que ça ressemble à du français, soit les français trafiquaient des mots quand ils parlaient avec des espagnols euh, par exemple, euh, pour dire une pente, une pente on disait la pentica, la pentica c’est un truc, une espèce de mélange entre la pente et la costita qui est une truc espagnol, c’est un espèce de mélange de machin comme ça, y’avait, y’avait déjà cet espèce, de façon de parler Alexandre : hum José : et donc, après y’avait la pulsion de la langue, l’intonation « ouais, j’te parle comme ça, tu vois c’que j’veux dire » (il faut entendre pas évident de traduire par écrit, tout se passe dans la voix) 1 :06 :13 Tu vois ce côté comme ça pied-noir, c’était, à mon avis c’était les intonations arabes Alexandre : hum, hum José : tu vois ce que je veux dire Alexandre : oui José : euh, mélangé à du français, j’ai toujours analysé ça comme ça, c'est-à-dire une espèce d’intonation qu’on retrouve dans l’arabe mélangé au français et, et à l’italien, parce que y’avait aussi des italiens et espagnols, ces espèces de 3 intonations qu’on peut retrouver maintenant en Argentine, si vous allez en Argentine on parle espagnol mais avec l’accent italien Alexandre : ah ouais José : c'est-à-dire, les gens parlent c’est l’espagnol qui sort mais avec les intonations en italien, parce qu’en fait l’Argentine c’est bourré ça été pas colonisé, mais ça été une immigration énorme italienne, donc c’est resté comme ça, donc on garde les intonations et après il y a une langue officielle qui se pose, mais avec des intonations de, de droite à gauche quoi Alexandre : hum, d’accord, et alors comment vous écririez le yako c’est ça ? José : J- le R en espagnol Alexandre : d’accord J José : A Alexandre : A-I José : I Alexandre : C-O José : C-O, c’est comme ça que je l’écris, mais ça ne s’écris Alexandre : ça ne s’écrit pas José : ça se dit Alexandre : d’accord José : le jaico c’est le, l’espèce de mélange Alexandre : donc y’avait un parler pied-noir à Oran parce que José : ouais Alexandre : du côté d’Alger ou du Constantinois on disait pataouët José : ah le pataouët c’est autre chose Alexandre : oui mais c’est un parler aussi, non mais c’est d’ailleurs ou c’est quoi ? José : le pataouët Alexandre : ou il y avait la pataouët chez vous, ou c’est un autre quartier ou un autre coin de l’Algérie? José : euh, non, c’est à peu près la même chose que le euh, le pataouët c’est un peu différent, je crois que le pataouët, je vais peut-être dire des conneries parce que je ne suis pas sûr, le jako c’était en fait les pieds-noirs entre eux, et le pataouët c’est quand un arabe essaye de parler français Alexandre : ok José : le pataouët c’est ça, ce sont les fables de la Fontaine en pataouët, important pour votre expo Alexandre : les fables de la Fontaine en pataouët José : ah, super important (rire d’Alexandre ), les fables de la Fontaine en pataouët, le loup et l’agneau «un jour qu’il faisait chaud, plus qu’le sirocco, un p’tit mouton qui l’en avait soif beaucoup, y s’en alla vers un oued, l’eau elle était fraiche comme la glace, qui m’dit mon frère » ça c’est le pataouët, vous voyez, c'est-à-dire, c’est euh, l’arabe qui essaye de parler français avec euh, en fait ça, sa construction mentale de l’arabe de langue ça, ça, ça y est le mot m’échappe, euh, avec des mots français, mais quand même « un p’tit mouton qui l’en avait soif beaucoup » si vous traduisez naturellement ça devait se dire comme ça en arabe Alexandre : hum José : mais avec les mots français ça donne ça quoi, ça c’est la pataouët Alexandre : et alors, pourquoi vous me dîtes que c’est super important les fables de la Fontaine ? Parce que c’était un registre euh, on faisait beaucoup ça, ça s’entendait beaucoup ou quoi ? José : parce qu’en les fables de la Fontaine ça fait partie de, il se fout de la gueule des arabes en gros, parce que les arabes ils parlent comme ça, et ça n’a pas été écrit par les arabes les fables de la Fontaine en pataouët Alexandre : hum, hum José : mais ça fait partie en fait d’une espèce de moquerie coloniale quelque part vous voyez et c’est, c’est, ça ne va pas faire plaisir aux pieds-noirs Alexandre : c’est un humoriste (rire de José ), c’est un humoriste José : je ne sais plus Alexandre : non mais on va retrouver José : je sais que ça existe, je l’ai offert à mon oncle ce bouquin je pourrais peut-être vous le retrouver, il faudra que je lui téléphone Alexandre : oui, mais il ne faut pas que ce soit écrit, il faudrait trouver un enregistrement José : hein ? Alexandre : franchement écrit ça ne doit pas perdre un peu de son sel José : ouais, mais ça n’existe pas Alexandre : ça ne doit pas exister en écrit José : il y avait autre chose qui était très pied-noir c’est la famille Hernandez Alexandre : ouais José : vous n’avez pas entendu parler de ça Alexandre : si oui mais José : la famille Hernandez, c’était une troupe de théâtre alors ça aussi c’est super important dans la culture pied-noir, c’était une troupe de théâtre qui, ben qui, du genre « plus belle la vie » à la télé sur Marseille, c’était la vie d’un quartier comme ça entre pieds-noirs voilà, ça aussi c’était un des trucs euh, et le pataouët c’est ça en fait c’est plus une, les arabes qui parlent français…Ben je pense que c’est ça, j’ai toujours entendu, après il y a différentes versions du truc, machin, y’en a qui disent que ceci, la pataouët c’est plutôt ça Alexandre : donc la famille Hernandez c’était jouer dans les, les José : c’était en pied-noir, en pied-noir classique quoi Alexandre : mais vous l’avez vu jouer vous ? José : hein Alexandre : c’était des pièces de théâtre vous l’avez vu, non ? José : euh Alexandre : ça passait à la télé ? José : euh, y’a eu des disques, ça existe en disque en vinyle machin, pour retrouver l’enregistrement sonore de ça hein, c’était la famille Hernandez c’était, ben c’était Robert Castel, c’était un, c’était un comédien qui après a fait des rôles ici en France en tant que comédien en solo quoi, c’était une troupe de théâtre pied-noir voilà, et Alexandre : bon ça, ça fait partie entre le jaico et le pataouët, mais ça, ça n’était pas forcément votre parlé. Donc là, c’est ça, c’était à la fois la langue, euh, des relations, des, dans tout ce qui fait la culture pied-noir José : oui Alexandre : c’est José : ben ce qui fait la culture pied-noir ben pour moi, après, alors j’ai une vision de gamin hein Alexandre : hum, d’accord José : je n’ai pas une vision d’adulte, je n’ai pas une vision de, de, de, déjà je vous dis, nous en tant que, on était plus dans une communauté espagnol en Algérie donc, on fréquentait des pieds-noirs français, mais disons que le, c’était comme dans n’importe quelle ville, village, y’avait comme ça une culture populaire ambiante quoi, et ce qui concernait les pieds-noirs c’était, c’était euh, l’anisette, c’était le dimanche à la plage, c’était, c’était un patrimoine commun, tout le monde, c’était les corridas, parce qu’il y avait des corridas en Algérie, c’était voilà, mais bon, c’était la bouffe, y’avait la bouffe hein forcément, c’était Alexandre : c’était quoi alors la bouffe à part le calentica ? Vous mangiez quoi ? José : ben, en fait, on mangeait des plats, enfin moi chez moi c’était plutôt des plats espagnols Alexandre : hum José : euh, je sais que chez les pieds-noirs un peu italiens, ben c’est pareil, ils avaient gardé un peu leur truc un peu italien c’était la polenta, les machins comme ça, par contre Alexandre : et vous c’était quoi alors ? José : hein Alexandre : vous c’était quoi comme plats espagnols ? José : paëlla Alexandre : la paëlla José : la paëlla c’est le truc basique hein, après, on mangeait beaucoup de poissons, mais enfin on mangeait ce qui, ce qui se produisait dans la ville c’était une ville où il y avait des pécheurs bons, on mangeait du poisson euh, y’avait pas, par contre c’est toujours pareil moi l’histoire du, du couscous, le couscous c’est un truc que j’ai découvert ici moi Alexandre : hum José : parce que… même au niveau de la nourriture, on a, je parle à Oran dans mon quartier et dans mon souvenir de gamin de 9 ans, je ne parle pas comme une généralité, même le couscous était quelque chose qui était arabe, ce n’était pas un truc, c’était presque une, quelque part Alexandre : hum José : alors qu’ici machin, je me souviens de ça dans mon milieu, en tant que gamin, j’entendais parler du couscous, c’était oh le couscous ils l’écrasaient avec les pieds, enfin, c’était un truc vous voyez, on, par exemple dans la maison où j’habitais moi, où y’avait des arabes qui préparaient le couscous et qui nous l’apportaient Alexandre : ah oui José : ben, on voyait le préparer, c'est-à-dire que, comme les nanas, elles avaient de la colle, les mains rouges, du machin Alexandre : du henné José : donc forcément, elles faisaient la semoule avec ça, ah c’est dégueulasse, du truc rouge comme ça, y’avait ce côté un peu Alexandre : ah donc, on vous apportait du couscous, vos voisins vous José : ouais Alexandre : y’avait tout de même ce système de partage de nourriture José : oui Alexandre : dans les 2 sens José : oui dans les 2 sens, c'est-à-dire que, en fait euh, les arabes nous apportaient du couscous et des gâteaux machin tout ça, et mes parents leur prêtaient des sous, on leur passait des sous quand ils n’avaient plus de fric, y’avait en plus ce côté Alexandre : ah, ils ne leur passaient pas de la paëlla José : non, non Alexandre : ce n’était pas José : non Alexandre : ce n’était pas totalement symétrique José : non, vous voyez la différence, elle est là quoi, effectivement on leur passait des ronds, mais on, on, ce n’était pas un échange égalitaire, c'est-à-dire que lorsqu’on prête de l’argent à quelqu’un on est forcément au-dessus de lui quelque part Alexandre : hum José : hein, et l’autre personne elle vous apporte ce qu’elle peut vous apporter quoi, c’était un peu ça, c’était des petits détails comme ça où on voit qu’il n’y avait pas un échange, qu’il y avait une différence, bon y’avait une différence, bon l’histoire de la cohabitation, y’a eu cohabitation parce que les gens habitaient ensemble quoi, mais ce n’était pas une cohabitation égalitaire ce n’est pas vrai. Quand, vous entendez ça dans les reportages à la télé c’est, c’est du vent quoi Alexandre : hum, hum José : parce qu’on ne peut pas avoir une cohabitation entre des gens qui se font exploiter et des gens qui les exploitent quoi, ben, quelque part c’est ça, même si un petit commerçant y ne se rend pas compte qu’il est en train d’exploiter euh, il est dans le système quoi, il est à un niveau où il fait quand même partie de l’exploitation, même si c’est un sou fifre de l’exploitation, il est quand même toujours en train de bénéficier d’un système d’exploitation Alexandre : hum José : et donc, on ne peut pas parler de, en plus avec le côté, le côté idéologique qu’on porte toujours la colonisation, c’est quand même qu’on part toujours, comme je dis, on part toujours du fait que vous apprenez à vivre à des gens qui ne vivent pas normalement quoi, qui sont un peu des sauvages entre guillemets quoi Alexandre : hum José : voilà, donc ça c’est quand même la base idéologique qui fait que la colonisation tient, puisque pourquoi on arriverait quelque part qu’on ne coloniserait pas les gens, si ce n’est pas pour leur apprendre à vivre, parce que si ce n’est pas pour leur piquer leur bien c’est qu’on est des voleurs Alexandre : ouais José : hein, bon, donc quand même la raison, le truc qui absous c’est le fait qu’on apporte la culture, qu’on apporte la civilisation, après évidemment ce n’est pas ça la base, ce n’est pas de piquer le pétrole et compagnie, mais bon, on a toujours ce côté, cette excuse majeure qui fait que, c’est ça c’est la base de la colonisation, donc si y’a pas ça, y’a pas colonisation, c’est pas possible, il faut toujours que ce qu’on fait c’est pour le bien de l’autre parce que le pauvre y’a une espèce de condescendance qui fait que c’est comme ça Alexandre : hum José : et ça c’est la base, je ne sais pas si mon copain pied-noir (rires de José et Alexandre ) Alexandre : et le couscous que vous ameniez, qu’ils vous amenaient, vous dîtes bon au fond, on était un peu dégouté mais vous le mangiez tout de même ou ça partait à la poubelle ? Tout de coup je me dis José : bonne question, ouais ça avait du mal à passer ouais, ça avait du mal à passer parce que… ce côté idéologique comme ça de, des différences il est vachement profond, il est viscéral au bout d’un moment, vous voyez ce que je veux dire Alexandre : hum, hum José : ce n’est pas un truc même si, c’est ça qui est terrible dans la colonisation c’est que ça rentre vraiment dans le, dans le subconscient des gens au bout d’un moment à force de dire aux gens ben ce gars-là il est inférieur ben ce n’est pas, tu vois ce n’est pas comme toi, au bout d’un moment ça devient presque une réalité quoi, et, et on le ressent presque par moment comme, comme une réalité quoi Alexandre : hum José : et c’est pour ça par exemple, effectivement y’avait une espèce de côté répulsif dans cette bouffe quoi, nous quand on est arrivé en France qu’on voyait les gens se battre pour aller bouffer du couscous dans les restos à Paris, on se disait « mais ils sont fous, ils sont malades eux » (rires de José et Alexandre ) Alexandre : ouais José : c’est ça Alexandre : et c’est devenu plat national José : hein Alexandre : c’est devenu plat national José : voilà Alexandre : oui, oui José : c’est euh, c’est ce côté, tu sais le côté intéressant, enfin intéressant entre guillemets de, de la colonisation, c’est comment des gens qui même, même si politiquement ils sont, parce que bon, qu’on me dise le gars il est colon, il fait du pognon, il exploite les gens, il n’a pas envie de partir, bon je lui trouve une excuse Alexandre : hum José : je peux arriver à penser qu’il a déterminé son plan d’action euh, il arrive, il est colon, mais quand on est finalement euh, dans une phase comme ça un peu intermédiaire socialement et que, on est quand même, on rentre dans cet espèce d’esprit c’est ça qui est vachement, qui est vachement vicelard dans ce côté différence éthique quoi entre les peuples, ça rentre vite dans le subconscient des gens quoi, ça rentre vite dans le subconscient des gens Alexandre : hum, et alors repassons la méditerranée, vous arrivez, je me demandais, quand, comment ça s’est passé la relation avec les pathos, je ne sais, on ne vous appelait peut-être pas pathos en arrivant José : pathos Alexandre : mais quand vous étiez José : alors les pathos c’était en fait, ce qu’on appelait les pathos en Algérie ben c’était les français bien sûr et c’était aussi euh, les gens qui habitaient aussi en Algérie mais qui n’avaient aucune euh, les gens qui venaient travailler, par exemple, qui étaient français et qui étaient quand même en Algérie Alexandre : d’accord, pour un court temps ce n’était pas José : voilà, qui travaillaient, qui étaient envoyé en mission de France c’est les pathos, le pathos c’étaient les français, les pathos en fait ça vient, enfin je pense euh, je ne sais pas d’où ça vient, je crois que, pathos en espagnol ça veut dire canard… mais j’ai jamais su pourquoi si ça venait du mot canard en quoi ça, les pathos d’où ça vient l’expression, les pathos Alexandre : ouais donc, quand vous arrivez en France, comment ça se passe avec les français de France de métropole ? José : euh, assez mal Alexandre : pour vous ? José : enfin assez mal euh, ben là le truc est inversé c’est que le, le côté entre guillemets le racisme, il s’exerce envers les pieds-noirs, c'est-à-dire moi par exemple, au square on me disait « retourne dans ton pays » Alexandre : ah ouais José : bon, y’avait discussion entre gamins quoi, retourne dans ton pays, c’est parce que, il se trouve que bon, y’a eu beaucoup d’avantage, si vous voulez, sur les pieds-noirs français, ils ont occupé des tas de, y’a eu des constructions qui ont été faite pour eux, ils ont occupé des HLM en priorité et tout ça, des gens qui attendaient ici depuis perpète pour pouvoir se loger dans un HLM donc ils ont vu passer toute une quantité de gens devant donc, alors comme on avait déjà tous la réputation d’être des colons et d’arriver avec des valoches pleins de biftons, hein c’était des trucs comme ça hein Alexandre : hum, hum José : c’était Alexandre : et donc ça, est ce que c’était la même chose José : comme on dit une main devant une main derrière, ça c’était une expression pieds-noirs ça Alexandre : à poil José : quand on est partit à poil, une main devant, une main derrière et les 2 valises pour mettre les billets (rires de José ) c’était le truc classique, on disait ça des pieds-noirs, ils avaient tous du fric, c’étaient tous des pleureurs, c’était des trucs comme ça, y’en a qui sont rentrés avec du pognon, y’a pas de problème, y en a qui sont organisés quand on a du fric, on a du fric là-bas, on a du fric ici, toute, toute cette espèce de population comme ça intermédiaire, de petits commerçants et tout ça, ils en , regardez le « coup de sirocco », c’est un film qui vaut le coup d’être vu Alexandre : hum José : parce que, bon il est sympa comme film, tout ce que je vous raconte là c’est dedans Alexandre : d’accord José : le côté racisme là justement à un moment y’a, dans le coup de sirocco, le gars, il a une épicerie, alors il arrive en France, pareil, petit hôtel pourri, il arrive un peu à se reconstruire et il a une place comme employé dans une supérette et comme le mec c’est un type, parce qu’il faut reconnaître ça des colons, enfin des colons, ou l’esprit des colons entre guillemets, c’est l’esprit d’initiative quoi Alexandre : hum José : c’est-à-dire, on arrive dans un endroit, y’a quedal quand même et on, on, c’est ça qui fait aussi que les gens ne voulaient pas partir, parce que quelque part même s’ils avaient l’impression ce n’était pas leur pays à eux, ils avaient bâti, ils avaient bâti des trucs, parce que ça c’est important aussi, quand on est bâtisseur on s’en fou, on a bâti quoi, et après on laisse tomber, c’est, c’est difficile Alexandre : hum José : et, et c’est vrai que, donc le gars il est dans sa superette et il se monte un stand de fruits et légumes à la pied-noir, c'est-à-dire ça , un truc qui attire vachement les gens, des poivrons, des machins, puis il attire les gens puis il a de la clientèle quoi et il fait « allez venez ici, machin tout ça, c’est le stand pied-noir et tout », et le patron arrive un jour et lui dit « euh, vous allez me retirer tout ça, on est pas à la casbah » donc, ça c’est le genre de petit truc raciste du genre « retourne dans ton pays on est pas à la casbah », on a vécu ça et les gens nous regardaient d’un sale œil quand même en plus on était espagnol c’est à dire on ne maitrisait pas la langue française correctement mes parents je parle Alexandre : hum José : donc y’avait un côté, ce n’était pas de la méchanceté, parce que, après y’a le côté humain, mais à l’époque en plus y’avait une grosse immigration espagnole aussi en France Alexandre : hum, hum José : de gens qui venaient travailler dans, qui n’étaient pas lié à la guerre d’Espagne, qui était plus économique Alexandre : hum José : à l’époque, les immigrés de l’époque c’était les espagnols, ce n’est pas les Rom, ce n’est pas les, c’étaient les espagnols donc comme tout immigrés qui débarquent y’avait une méfiance et tout ça, mais on en a pas trop souffert de ça Alexandre : mais vous parliez parfaitement le français ? José : oui, moi Alexandre : avec un accent un peu José : au début, je devais avoir un petit peu l’accent pied-noir mais et moi, j’ai une faculté d’adaptation au niveau des accents, c'est-à-dire, que même quand je parle avec des Latino-Américains, des équatoriens ils ne parlent pas pareil, j’arrive tout de suite à choper au bout d’une semaine je parle comme eux, je chope assez vite les accents Alexandre : et donc malgré ça, vous vous êtes trouvé vous-même en butte avec des, des phénomènes de rejets ? José : ouais, mais pas trop important, des fois y’avait le retour « retourne dans ton pays », y’avait le côté « retourne dans ton pays », mais bon, ça fait mal quand même Alexandre : hum José : ça fait mal Alexandre : et je me demandais si c’était la même, parce que finalement vous êtes passé par le Sud, peut-être pas très longtemps, puis la région parisienne, est ce que c’était la même chose justement par rapport au métro, c'est-à-dire, est ce que y’avait le même sentiment, parce que y’avait pas la même quantité dans le Sud et dans la Région Ile de France José : ben là, je ne peux pas trop faire d’analyse là-dessus, parce que, on est resté dans un tout petit village où il n’y avait pas vraiment de contact Alexandre : du côté de Toulouse José : donc je ne me souviens pas de la réception que ça pouvait donner Alexandre : pouviez pas rester longtemps ? José : mais je pense que ça devait être un petit peu pareil, parce que, je pense que même le fait de venir à Paris comme c’était une grande métropole tout de même, c’est des endroits à brassier différents euh, différents types de nationalités et tout, bon dans la culture c’est présent quoi, y’a des machins, des russes des machins, y’a eu des russes, des polonais, y’a toujours le côté un petit peu c’est pas un français mais, ça aide plus facilement ça Alexandre : hum José : alors quand province, ma tante, elle était dans l’Yonne euh, les bourguignons du coin les pieds-noirs, même si, y’avait une telle différence de culture Alexandre : hum José : que c’était difficile d’adaptation, mais les pieds-noirs on s’est adapté partout, parce que les pied-noir, il est quand même, il a ce côté un peu généreux quoi, c'est-à-dire, que même si c’est de l’esbroufe des fois ça reste quand même, la communication se fait Alexandre : hum José : un pied-noir c’est quelqu’un qui communique, parce que nous ce qui nous a vachement étonné c’est que les gens ils ne parlaient pas. Dans l’immeuble où on habitait, dans la maison, quand mes parents ont acheté cet appartement, les gens ne disaient pas bonjour dans l’escalier Alexandre : ah ouais, ouais José : vous croisiez quelqu’un dans l’escalier, les gens ne disaient pas bonjour, ça continue d’ailleurs, y’a des tas de gens que je croise dans ma rue, et ça c’est un truc qui me gêne, alors qu’en Algérie ça c’était un truc qui était vraiment, vous ne connaissiez personne et vous passiez à côté, vous lui disiez bonjour, dans le même étage ou à un étage de différence même, ou au même étage, y’avaient des gens au même étage qui nous disaient pas bonjour Alexandre : hum José : ils ouvraient la porte, ils fermaient la porte, et on les croisait, ils ne disaient pas bonjour et ça c’est un truc qui nous a vachement, même moi en étant gamin ça m’a vachement choqué, je me disais « mais pourquoi ils ne disent pas bonjour » Alexandre : et ça c’est parce que vous étiez pied-noir ou José : non, non parce que c’était dans les coutumes Alexandre : parce que ça se fait pas José : maintenant les gens ils ne se disent pas bonjour non plus hein, je vais à des cours de danse de salsa depuis 7 ans, on danse avec les gens, on danse ensemble quoi, ben c’est bonjour bonsoir, la plupart des fois y’en a qui ne disent pas au revoir, ils ne disent pas bonjour en arrivant, mais ça c’est la façon de vivre parisienne, ce côté chaleureux y’avait plus ça , ça je crois que ça a été le truc le plus difficile et que, je pense que les pieds-noirs se remettent assez souvent ensemble parce que, enfin ils se remettent ensemble, si c’est vraiment vrai qu’ils se mettent en communauté et tout ça, mais disons qu’ils aiment bien se retrouver entre eux parce que y’a ce côté chaleur, côté souvenir qui revient Alexandre : et alors dîtes moi dans le parcours en tout cas de vos parents, finalement pourquoi, ils sont venus en région parisienne ? Outre qu’il y avait l’oncle, mais y’a aussi un autre oncle dans le Sud José : non, non, ben c’était le frère de ma mère qui était là et que bon à Paris y’avait le travail hein Alexandre : oui c’est ça José : y’avait le boulot, c’est qu’il y avait le plus de possibilité de travailler, déjà à l’époque c’était Paris hein Alexandre : donc c’était vraiment José : mais ça aurait pu être Marseille, ça aurait pu être Nice, y’a des endroits où il y a pleins de pieds-noirs aussi Alexandre : ah oui José : Perpignan, j’ai une maison à Perpignan où je vais en vacances, c’est blindé de pieds-noirs c’est, ils ont atterri là-bas aussi, mais ça se sont les pieds-noirs quand ils sont partis de la guerre d’Espagne qui sont arrivé en France Alexandre : les pieds-noirs espagnols José : euh, les réfugiés enfin, pas les pieds-noirs Alexandre : vous dîtes y’a pleins d’espagnols José : les espagnols ils sont arrivés en France, ils se sont installés, donc, les pieds-noirs sont partis directement dans ces villes là parce qu’ils avaient déjà un point d’encrage hein donc c’est pour ça les gens qui ont été vers Perpignan, ce sont les gens qui avaient de la famille espagnole à Perpignan Alexandre : hum José : et nous, on n’avait pas de famille nulle part quelque part, nous, on avait de la famille qu’à Toulouse mais bon c’est vraiment un oncle qu’on ne connaissait même pas, on a atterri là par hasard après, une étape de 15 jours et après Paris, Paris parce que Alexandre : puis y’avait aussi un oncle là José : et on avait quelqu’un qui avait un point de chute, ah ouais, ouais, c’est important, c’était importantissime Alexandre : ouais José : et une fois qu’on était là, mon père a trouvé du travail assez vite parce que c’était un très bon cordonnier, il, il a trouvé du boulot assez vite quoi, mais mon père c’est un artisan de base il ne supportait pas les patrons, donc il a eu du mal tout le côté employé, il a eu du mal, au moment où il a été employé il avait du mal avec les patrons, un artisan type quoi, il ne voulait pas de patrons Alexandre : vous vous rappelez la première fois que vous avez entendu le terme pied-noir ? En Algérie c’était ? José : en Algérie ouais Alexandre : vous entendiez ça José : ouais Alexandre : c’était quoi entre vous, vous vous disiez on est pieds-noirs ou non, vous ne savez pas trop vous étiez un peu petit José : non, parce qu’en Algérie les gens, oui on disait on est des pieds-noirs, mais enfin, c’est vrai que je l’ai plus entendu à l’arrivée en France en tant que catégorie sociale parce que on était des pieds-noirs en Algérie mais bon que les habitants en Algérie qui étaient pieds-noirs Alexandre : hum, d’autant que vous disiez que c’était un peu péjoratif José : ça renfermait moins de culture quand on dit maintenant pieds-noirs ici en France c’est tout ça, c’est les plats, c’est la bouffe, c’est la musique, c’est les machins, c’est le soleil, C’est, c’est la vie en Algérie, quand on dit pied-noir, là-bas pied-noir c’est une façon comme quand on dit bourguignon ou, ou catalans quoi Alexandre : hum José : chaque fois qu’on disait pied-noir c’était la vie de tous les jours donc on était des pieds-noirs parce que voilà, dire moi j’ai su en France ce que voulais dire pied-noir hein à l’origine Alexandre : ça veut dire quoi ? José : c'est-à-dire que quand les, les ; au moment de la première colonisation dans les années 1900, les arabes étaient pieds nus, ils étaient souvent pieds nus dans le Maghreb et tout ça Alexandre : hum, hum José : et les français avaient des bottes noires, les militaires et c’est de là que vient le mot pied-noir, ils portaient des chaussures noires, c’étaient des pieds noirs, ça vient de là pied-noir Alexandre : ah ouais José : ouais Alexandre : bon, oui c’est particulier comme origine José : oui, oui, c’est la véritable origine c’est ça, c’est les bottes des militaires qui étaient noires, donc tout ce qui était après colon c’était, c’est devenu les pieds-noirs, les français c’est ceux qui avaient les bottes noires, les pieds-noirs quoi Alexandre : et, et euh, pour suivre sur l’accueil, vous disiez qu’il y avait un, un certain mépris ou rejet ou racisme, mais il y a eu aussi des, des mécanismes d’entraides, est ce que vous avez aussi été par ailleurs assisté, aidé… pas forcément vous en tant que gamin, mais vos parents dans l’arrivée ? José : oh niveau entraide ? Alexandre : ouais José : euh, assez peu Alexandre : assez peu José : assez peu ouais, peut être que dans d’autres endroits où les gens étaient plus concentrés, à Paris, on était isolé hein, nous il n’y avait pas de pieds-noirs autour, y’avaient quelques amis comme ça qui venaient de l’Algérie et tout ça, on se voyait de temps en temps mais, y’avait pas vraiment de système d’entraide, d’ailleurs on en n’avait pas vraiment de système d’entraide Alexandre : hum, hum José : parce qu’en fait les pieds-noirs, ceux qui étaient français, on assez vite eu un logement parce qu’ils avaient droits à des logements, des indemnisations, des choses comme ça quand même un peu, souvent c’était des gens qui travaillaient dans l’administration, ils retrouvaient un boulot ici, ceux qui étaient commerçants non, je, le côté entraide comme ça ce n’est pas un truc dont je me souviens quoi, entraide dans le genre financière et tout non… bon les gens se sont réadapté assez vite hein. C’est un peu la force des pieds-noirs, enfin, c’est ce côté repartir billet en tête Alexandre : hum José : on le voit aussi en Amérique du Sud avec des gens, moi je vois ici des fois des gens qui viennent d’Amérique du Sud qui sont très jeunes, qui n’ont même pas l’âge de mes gamins qui sont encore des empotés qui sont encore à la maison qui viennent bouffer le soir, euh quelque part je dis vous êtes des empotés les gars, je vois des gamines qui ont 18 ans qui viennent du trou du cul du monde d’huschia là-bas, et qui arrivent à Paris et une semaine après elles sont en train de chercher du boulot, ce côté de, de, entre guillemets, de conquérants comme ça, quand on arrive dans un endroit ça ne fait pas peur quoi Alexandre : hum José : en fait, on n’a pas de passé quelque part vu des cultures très, très cassées machin, on a une faculté d’adaptation vachement importante, ça, ça c’est le côté positif du truc c’est, c’est que moi j’ai vu mes parents se réadapter assez vite hein, dans un laps de temps, avec le recul comme ça dans une période de 10 ans c’est court 10 ans hein Alexandre : hum, hum José : en 10 ans ils se refaisaient une vie, c’est parce qu’il y a quand même une énergie là-dedans, un truc voilà, c’est pour ça aussi que les pieds-noirs des fois n’étaient un peu pas mal aimés parce que finalement ils avançaient plus vite que les métropolitains, parce qu’ils avaient cet esprit d’initiative et qu’il y avait un petit peu comme ça, qui étaient un petit peu, on s’en méfiait un petit peu parce que, voilà Alexandre : et vous-même après, quand vous avez quitté vos parents, vous êtes arrivé directement à Cachan ? José : ah non, non, moi je suis resté dans le 13ème euh, je resté avec mes parents jusqu’à l’âge de, après j’ai eu des piaules comme n’importe quel étudiant hein, et je suis venu à Cachan parce que j’ai rencontré Claire euh, que vous connaissez hein Alexandre : hum, hum José : qui habitait Cachan puis voilà Alexandre : c’est elle qui vous a vendu à moi José : et voilà c’est par ce biais là et puis après c’est, c’est de la vie qui n’a rien à voir Alexandre : ça fait combien de temps vous habitez alors à Cachan, ça fait un moment ? José : euh, que j’habite à Cachan officiellement euh, depuis des années 75 Alexandre : ah oui José : donc ça fait, 35 ans quoi Alexandre : oui, donc ce n’est pas si longtemps après votre arrivée José : non, ah non, non Alexandre : en France José : je vous dis c’est des périodes très courtes hein Alexandre : hum, hum José : moi j’ai commencé à habiter Cachan j’avais 22 ans, je suis partit d’Algérie j’en avais 9 donc c’est l’espace de 12-13 ans Alexandre : hum, c’est ça José : non 12-13 ans c’est une vie complètement, bon moi en tant que môme c’est normal, les mômes ils évoluent comme ça, c’est plutôt les adultes qui finalement dans des courtes périodes se sont refait quoi Alexandre : hum José : les gens se sont refait assez vite quoi, mais bon, y’a le niveau culturel aussi hein parce que, ce n’étaient pas forcément des immigrés dans le sens en tant ici ou maintenant quoi, un turc ou un machin, un truc, là il arrive il ne connaît pas la langue, un africain quoi, il ne connait pas la langue et tout, il a moins accès à la culture, moins accès au truc, moins accès à la façon de vivre, c’est pas la même façon de vivre, entre un espagnol et un français bon, en dehors du fait qu’ y’en a qui mangent de la choucroute et l’autre de paëlla, c’est quand même pareil, vous voyez ce que je veux dire Alexandre : et en plus José : c’est, c’est Judéo-chrétien, c’est les mêmes bases, c’est, l’adaptation est plus facile hein Alexandre : c’est sur José : alors à l’école hein, les fils de pieds-noirs, ils étaient tout de suite intégrés, euh, maintenant les problèmes avec les mômes africains, ils ne connaissent pas la langue, moi je fais des spectacles scolaires euh, je vois à la limite que les mômes de yougoslaves ou machins comme ça, euh, après l’éclatement de la Yougoslavie, ils sont 10 fois plus intégrés que, que des gens qui sont français et qui viennent du Gabon quoi, c’est pas du tout les mêmes rythmes, les mêmes cultures, ça n’a rien à voir, les pieds-noirs se sont adaptés assez facilement, y’a pas eu de, après chacun son histoire Alexandre : et donc, vous avez des enfants, ça représente quelque chose L4Alg2rie pied-noir pour eux ? José : non Alexandre : donc y’a pas de, y’a pas de transmission de, je ne sais pas quoi d’ailleurs José : non, on a qu’un seul regret dans la famille c’est de ne pas être retourné en Algérie Alexandre : ah, vous n’êtes jamais retourné José : non, et ça, moi c’est un truc, c’est, bon pas une espèce de curiosité, y’a 2 personnes qui ont envie d’y retourner, moi et mon oncle Alexandre : vos parents sont décédés ? José : ma mère n’est pas décédée mais pour elle ça pas été, je crois que pour elle l’Algérie ça n’a pas été quelque chose de, de très marquant, ce qui l’a marquée c’est la guerre d’Espagne, c’est ça qui l’a un peu cassée, euh, l’Algérie c’était une étape, dans le sens, elle n’aime pas trop même dans le folklore pied-noir ça l’énerve un peu Alexandre : hum José : quand à mon père, il voulait, parce qu’il voulait y retourner pour travailler Alexandre : pour vivre José : mais là à l’heure actuelle dans la famille les 2 seules personnes c’est moi et mon oncle, on dit « ah putain ça serait bien de pouvoir y retourner » alors je vais sur Google pour trouver ? Google Urf pour trouver le toit de la maison où je suis né, ça existe encore, ça existe encore donc, mais bon, après y’a le côté, euh, instabilité politique, bon retourner en Algérie quand il y a des attentats, je n’ai pas envie d’y retourner pour me retrouver Alexandre : dans la grisaille José : voilà, que j’avais quand je suis parti non, quoique à Oran il ne se passe pas grand-chose, mais j’y retournerais, j’y retournerais ça c’est… Par contre y en a pleins qui y sont retourné Alexandre : et si vous y retournez ça sera avec vos enfants, avec Claire, c’est quoi un projet individuel José : mes enfants ils sont grands, ils ont 32 et 29 ans, ils en ont rien à foutre (rires de José ) ça sera avec ma femme sans doute avec Claire, parce que bon, moi si je retourne ces pour des trucs, ce n’est pas pour visiter un pays, c’est pour retrouver une rue, c’est pour, pour retrouver un coin de rue, pour retrouver, je me dis « comment est-ce que ça doit être l’endroit où je suis né quoi ». J’ai un copain batteur comme ça qui d’Oran, il m’avait raconté ça une fois, il retourne en Algérie pour la première fois et il recherche la rue où il est né, enfin, il connaissait la rue où il était né, ben il avait une adresse et le numéro de la rue et il était pommé quoi, donc, il voit un type dans la rue, il lui demande où c’est ça bon le mec lui explique ça c’est ça, la rue machin est là, euh, il lui demande juste la rue, la rue c’est ça il faut aller par-là, par-là , par-là, la rue il savait où c’était, donc, il prend le machin, il se balade un peu dans la ville et puis quelque temps après il décide d’aller voir sa maison, donc, il y va, il retrouve la rue, il se souviens de la maison parce qu’il n’avait pas le numéro, il se souviens de la maison et il tape à la porte de l’appartement et le mec qui lui ouvre la porte c’est le mec qui l’avait renseigné dans la rue (rires de José et d’Alexandre ) Alexandre : c’est marrant José : c’est extraordinaire, le gars qui m’ouvre la porte c’est celui qui m’a renseigné, c’est lui qui habitait là, il est tombé sur le type qui habitait dans la maison d’où il était parti Alexandre : où il était né José : c’est fou ça c’est marrant, euh, non mais c’est ça c’est plus pour que de visiter, parce qu’en fait le pied-noir il ne voyageait pas beaucoup, il restait, y’avait la plage à côté ce n’était pas, les pieds-noirs d’Oran ils allaient à la plage puis voilà, ils sortaient un petit peu, il y avait 3-4 trucs à côté, ce n’étaient pas des gens qui allaient en vacances ou de trucs comme ça. Les français, ils allaient retrouver leur famille en France çà c’était très classe, de passer les vacances en France c’était quelque chose, le gars qui allait passer les vacances en Bretagne ouah c’était quelque chose, voilà, mais non le pied-noir d’Oran il est resté à Oran quoi Alexandre : et alors y retourner c’est un peu de la nostalgie ou quoi ? Vous, comme dit Benjamin Stora, vous avez de la Nostalgérie ? José : ouais j’ai de la nostalgie oui, mais bon euh, entre guillemets, c’est presque de la nostalgie théorique quoi, je comprends les gens qui ont vraiment vécu une grosse partie de leur vie Alexandre : hum, hum José : avec des, parce que la nostalgie c’est les souvenirs qu’on a eu quoi, des moments d’émotions toute une vie quoi, du gosse à, je ne sais pas moi, à 30-35 ans c’est là que se forme la vie, moi c’était de 1 à 8 à 9 donc j’ai la nostalgie de, en fait j’ai plus la nostalgie de ce que vivaient mes parents, des moments où mes parents étaient heureux Alexandre : hum, hum José : parce que dès qu’on est arrivé en France c’était plus la même, parce que là-bas je l’ai aient vu heureux, donc, c’est plus retrouver euh, peut-être une ambiance qui faisait que mes parents étaient heureux à ce moment-là et que moi forcément j’étais heureux aussi, mais moi c’est plus de la curiosité, je vais me dire tiens j’ai habité là, je voyais ça comme ça et c’est comme ça, on s’imagine des truc et c’est tout petit c’est plus cette curiosité marrante que je, je, mais au niveau nostalgique euh, y’a quelque chose en moi que me dis « t’as été quelque part déraciné » c’était horrible quoi et justement en retournant au même endroit voir si c’est une résonnance quoi, si vraiment ça, si j’éprouve quelque chose encore ou surement rien du tout, ce sera vraiment au niveau de la curiosité de l’endroit plus qu’autre chose, c’est vraiment un truc qu’on a envie de voir quoi, là où j’ai eu peur, enfin, retrouver les endroits où j’ai eu peur en fait là où j’ai eu des émotions, les émotions que j’ai eu c’étaient souvent de la peur Alexandre : hum, hum José : c’est un peu mazot mais c’est, c’est se replonger dans les endroits où j’ai eu des émotions en fait voilà, essayer de me remonter ces émotions de gamin Alexandre : et alors José : qui ont été coupées net parce que quand on a eu une continuité des émotions de gamin elles se diffusent, elles nuisent, elles disparaissent, mais là c’est coupé net Alexandre : et euh, qu’est-ce qui vous a empêché de, jusqu’ici d’y aller ? Parce que ça fait quand même un bail que vous êtes rentré José : qu’est ce qui m’a empêché d’y aller ? Ben, je vous dis la situation des fois en Algérie qu’il n’y a pas longtemps c’était chaud quand même et je n’ai vraiment pas envie de me retrouver dans un, déjà, quelque part, j’étais en vacances au Maroc par exemple, j’ai très mal vécu ça Alexandre : ah José : ouais, j’ai très mal vécu parce que dans le, y’avait un côté « retourne dans ton pays » de la part des marocains et c’était le truc à l’envers Alexandre : hum José : et ça en tant que pieds-noirs on le vit très mal, parce qu’on n’est pas habitué à ça c’est le contraire en général et euh, ça on le ressent mal, et j’avais peur qu’en Algérie alors que ce n’est pas du tout les mêmes mentalités, euh, ce soit ça, donc, j’avais déjà ce côté-là qui me faisait un peu peur, enfin peur, Alexandre : hum, hum José : et puis tout simplement qu’objectivement y’avait des périodes où ce n’était pas évident avec les attentats et tout, je me suis dit « et merde si c’est pour », pour éviter les attentats en 62 et pour s’en manger un en 90 ça ne vaut pas le coût Alexandre : et alors là, vous m’aviez dit que vous étiez à la recherche du moment où vos parents étaient heureux, ça veut dire que vous ne l’aient avez plus jamais vu heureux en France ? Il vous semble qu’ils n’aient plus jamais été heureux José : heureux non, heureux, on est toujours heureux quand on est heureux même dans la galère on peut être heureux je veux dire, mais disons, le côté un peu, un peu insouciants quoi, côté ou la vie elle va bien, côté jeune, mes parents étaient jeunes à ce moment là Alexandre : hum José : donc, ils allaient danser, ils allaient à la plage, bon ce côté un petit peu, après c’était quand même dès qu’on est rentré d’Algérie, c’était quand que des problèmes tout le temps liés au pognon, au fait qu’il fallait que mon père travaille que c’était difficile de trouver du boulot, que c’était difficile de se loger, euh, mes parents étaient pas des gens qui n’étaient pas dans des métiers où ça gagnait beaucoup quoi, donc c’était toujours un combat comme ça pour subsister de façon correcte, donc, on était heureux quand même, vous voyez ce que je veux dire, mais y’avait pas cette insouciance du bon ça va on est à l’aise, quand on a cette pressurisation de pouvoir joindre les 2 bouts à la fin du mois tout le temps tout le temps, euh, c’est quand même pesant quoi Alexandre : pratiquement jusqu’à sa fin il a été dans cette situation José : non après, non ça allait beaucoup mieux, disons des années, des années 75 à 80, à partir des années 75 ça allait déjà beaucoup mieux, ce n’était pas, on ne jetait pas l’argent par les fenêtres mais c’était plus à l’aise, c’était plus à l’aise et là effectivement mes parents ont recommencé à aller au restaurant, à ressortir au restaurant, à voir des amis, ils ont retrouvé un peu cette vie euh, qu’ils avaient en Algérie dès qu’ils ont été un peu plus stabilisé financièrement ici en France et ont recommencé à ressortir, à avoir des amis, à avoir une vie un peu moins préoccupée par le fait de pouvoir boucler la fin de mois quoi ! Voilà Alexandre : et alors justement au niveau relationnel soit en Algérie, soit en France c’est plutôt amis ou c’est plutôt famille ou les deux, je ne sais pas ? José : les relations ? Alexandre : oui, les, la sociabilité, on sort avec qui des amis, la famille José : non, on Alexandre : parce que c’est très famille, on a l’impression que les pieds-noirs c’est très famille José : oh ben, c'est-à-dire que quand on est arrivé d’Algérie y’avait ben, les relations étaient avec des familles pieds-noirs qui étaient arrivées, des gens de la famille, des gens qu’on connaissait bon les relations elles étaient là, parce que effectivement c’était assez dur de se relier avec des français, surtout que mon père était artisan, il travaillait pas avec des gens, il n’avait pas de collègues de travail, parce que ça aussi c’est une façon de se faire des amis, c’est d’avoir des collègues de travail Alexandre : hum José : ma mère travaillant, ma mère a eu des collègues de travail qui sont devenues des amies, parce qu’elle travaillait aux Galeries Lafayette, donc elle avait des collègues c’est plus facile de faire des amis, vous voyez, et encore dans ses amies, le mari était pied-noir et la femme était française, mais y’avait quand même du pied-noir, y’avait dû pied-noir un peu partout quand même, mais c’était ça, c’était, oui après c’était… Beaucoup d’espagnols aussi qui venaient d’Espagne sans être passés par l’Algérie, des gens qui sont venus après, après pour trouver du boulot en France et il y avait quand même aussi un communautarisme espagnol, mes parents, ils sont espagnols donc, ne serait-ce que pour la langue et pour la culture et pour la bouffe et puis pour la façon de vivre, ils avaient plus l’habitude d’avoir des amis espagnols Alexandre : hum, hum José : on avait des connaissances françaises, des voisins, tout ça mais euh, pour mes parents les français ça toujours été les français, c’est un petit peu la classe au-dessus quoi, la classe qui les méprisaient quelque part donc euh, y’avait pas trop d’amis français, pas trop Alexandre : et vous est ce que vous avez cultivé une certaine pas communautarisme, mais relation avec les pieds-noirs ? José : non, non pas du tout, non parce que moi, je vois ça d’une façon plus, j’arrive plus à me détacher, bon ça m’amuse l’humour super, y’a des moments c’est très drôle, mais bon, je ne suis pas spécialement euh accroché à ça quoi, trop jeune, je pense le fait d’être trop jeune, je n’ai pas été vraiment, je n’ai pas vécu ma jeunesse dans, dans le milieu pied-noir, je pense qu’il y a pleins de choses qui, enfin bon ça, ça c’est un petit peu divulgué quand même ce côté pied-noir je trouve maintenant Alexandre : hum, et alors vous parlez d’humour, y’a un humour pied-noir ? Vous pouvez le définir ou c’est indéfinissable ? Est ce qu’il y a une spécificité ? José : ben euh, après on va rentrer autre chose qui est, qui est euh, c’est, c’est, y’avaient des pieds-noirs juifs Alexandre : hum José : qui ont beaucoup d’humour, c’est l’humour juif pied-noir mais que l’on retrouve ici dans, dans l’humour au second degré, le Popeck, le machin comme ça, y’avait cet humour là, y’avait aussi l’humour espagnol, euh, enfin dire qu’il y avait un humour pied-noir, oui y’a un humour pied-noir ouais justement quand vous regardez la famille Hernandez c’est l’humour pied-noir quoi Alexandre : hum, d’accord José : c’est un peu de l’humour de l’autodérision c’est un peu tiré quand même de l’humour juif c’est de l’autodérision… Black-pied-noir c’est comme les black-juif quoi c’est un peu la même chose, c’est par exemple euh, (le gars qui, le boulanger qui sort avec sa femme dans la rue en Algérie, y’a vachement de monde qui défile dans la rue parce qu’il y a une manifestation « nous voulons du travail, nous voulons du travail, nous voulons du travail », et la bonne femme qui dit, » dis d’on Maurice ce n’est pas le petit wako qui est devant là-bas, qui tiens la banderole là-bas », » oui c’est lui », » mais donne lui une place de commis, on va lui proposer », alors la manifestation arrive, ils l’appellent « wako viens ici », alors l’autre il arrive et il fait « oui qu’est ce qu’il y a », « vous voulez du travail mais moi je vais t’en donné, y’a une place de commis qui t’attends mais dis moi pourquoi y’en a 3000derrière ») (rires de José ) 1 :53 :07 ou alors c’est le gars qui a l’habitude de taper tout le monde, de taxer tout le monde, de demander du pognon à tout le monde et tout, tout le monde l’évite en Algérie, tout le monde l’évite dans les rues d’Oran, et tout d’un coup, y’a un gars qui sort et qui le voit au bout de la rue pas moyen de se défiler quoi, il se dit « ça y est-il va me demander quelque chose » alors il arrive à la hauteur du gars et dit « alors comment ça va ? », lui réponds « et toi comment ça va ? » Et l’autre il fait « remets la poussière, remets la poussière » (rires d’Alexandre et José ), voilà ça c’est l’humour pied-noir, c’est comme ça qu’on peut se définir, cet espèce de second degré, d’autodérision c’est assez marrant Alexandre : d’accord, bon et euh, je pense qu’on a fait un peu le tour de, de tout, je me demandais si vous aviez des objets qui sont venus d’Algérie ou qui parlent de cette histoire-là, euh, en votre possession ? José : non Alexandre : alors vous m’avez parlé de la chanson, c’est une forme d’objet José : pas vraiment non, parce que, non pas vraiment non… pas vraiment Alexandre : y’ a des choses José : euh, (grand silence), parce que, par exemple y’avait un truc au niveau des gamins euh, des jeux des gamins par exemple, y’avait ce que l’on appelait en Algérie euh les casseroles Alexandre : oui bien sûr, jusque-là je vous suis oui José : les concerts de casseroles Alexandre : ah oui José : c’était quoi les concerts de casserole, c'est-à-dire que l’OAS certains soirs faisait ce soir c’est concert de casserole, et c’était quoi les casseroles, c’était chacun prenait une casserole et une cuillère en bois ou une cuillère, se mettait à son balcon et pendant toute la nuit on tapait Algérie française sur la casserole « cla, clacla, clacla Algérie française » et là Alexandre : toute la nuit ? José : oui, ça commençait à 10 heures jusqu’à 3 heures du matin, après c’était celui qui finissait en dernier il avait gagné quoi, qui avait tenu le choc le plus longtemps possible quoi, mais c’est tout Oran qui « cla, clacla, cla » ça fait du barouf ça, les pieds-noirs que vous allez interviewer, ils font vous le dire ça, le concert des casseroles, et là vous aviez intérêt à ce que l’on vous voit au balcon Alexandre : parce que sans ça ? José : vous comprenez Alexandre : ouais (rires de José ) parce que sans ça, ça pouvait mal se finir José : alors moi, je me souviens Alexandre : vous l’avez fait ? José : oui, mais alors mes parents comme (rires de José ) alors ça c’est de l’humour aussi, moi, alors eux ils ne prenaient pas la casserole, ils prenaient une lampe et ils faisaient « tic,tic,tic » avec la lumière ça faisait moins de bruit Alexandre : ouais José : parce qu’on l’a fait, on était obligé Alexandre : même les mômes José : mais les mômes ça les amusaient Alexandre : ouais José : on nous disait « tu prends une casserole, tu vas taper toute la nuit, tac, tac, tac » et d’ailleurs dans le coup de sirocco vous allez voir à un moment quand la famille arrive sur Paris, y’a une espèce de bonne femme qui est là, qui est une association qui recueille les pieds-noirs, en fait qui est là pour filer des adresses d’hôtels, elle est en mèche avec des hôtels pour loger les pieds-noirs et tout ça Alexandre : hum José : donc, elle leur donne, ils sont dans le wagon là, comme on dit des wagons qui se ferment, oui des compartiments qui se ferment et elle leur donne la carte, elle ferme le truc là du compartiment, et à la fenêtre avec ça, elle était comme ça (José fait un bruit en tapant avec quelque chose sur un truc : 1 :56 :55), c’était le truc de ralliement quoi, c’était ta , ta, ta, et ces concerts de casseroles c’était le truc ou justement là on pouvait être contre ça mais il fallait, puis nous les mômes ça nous amusait quand même quelque part c’était Alexandre : hum José : ça faisait partie du folklore, c’était un truc un petit peu particulier Alexandre : c’était obligatoire…sous peine de rétorsion José : et là sous peine de, ah oui là, là, il fallait mieux se montrer parce que, alors il y en a qui mettait des drapeaux aux fenêtres, euh, parce que bon le truc, le truc de référence c’est qu’on était français, il fallait mettre les drapeaux français aux fenêtres et puis les casseroles il fallait y aller quoi, et puis là bon, il fallait se montrer, il fallait y aller Alexandre : bon, ne me dîtes pas que vous avez ramené la casserole et que vous avez encore une casserole José : je ne vais pas vous ramenez une casserole quand même Alexandre : d’accord, donc vous n’avez plus rien, il ne reste plus rien de cette période José : ah non Alexandre : parce que vous avez tout de même ramené 12mètres cubes de trucs José : alors là c’était autre chose aussi parce que c’est un truc que j’ai appris dernièrement, je vous dis des trucs en, euh, ces, ces fameux, quand on a récupéré notre cale, parce qu’on appelait la cale Alexandre : hum José : tout était mouillé à l’intérieur Alexandre : ah oui José : mais inutilisable, toutes les chaises, tout ce qui était à base de tissu, à l’époque ouais les chaises c’étaient des machins donc ce qui était comme ça bois, tout était flingué, la machine de mon père était complètement rouillée et tout, on disait ce n’est pas possible dans la cale d’un bateau faut pas déconner, c’est resté comme ça, on pratiquement tout foutu en l’air quoi, la télé, tout ce que l’on avait pu mettre dedans, la télé je crois qu’on l’avait récupérée à coups de séchoirs, et en fait on a appris, enfin moi j’ai appris, je ne sais pas si c’est vrai, moi j’ai entendu dire dernièrement que c’étaient les dockers de la C.G.T. Alexandre : hum, hum José : quand ils sortaient les trucs comme c’étaient des pieds-noirs, avant de les remettre sur le quai, ils les foutaient dans la flotte Alexandre : ah oui José : un truc à la con hein ! Alexandre : oui, si c’est vrai c’est un peu José : mais ça c’est ce que j’ai entendu dire, mais ce n’est pas étonnant parce que c’était inexplicable, et je l’ai entendu je ne sais pas où dernièrement, effectivement c’était un épisode qui c’était passé, que les mecs de la C.G.T. ils avaient pour ordre de la C.G.T. tout ce qui était pied-noir c’était extrêmement, les machins et hop dans la flotte et voilà, tout bousillé quoi, alors quand on a récupéré les meubles, on a rien récupéré, on a tout foutu en l’air Alexandre : donc voilà, y’a aucune trace José : non Alexandre : matérielle de votre vie José : non Alexandre : de votre vie algérienne quoi José : non, parce qu’en fait euh, y, il peut peut-être y avoir …Si je retrouve… des disques Alexandre : ah ouais José : des disques Alexandre : ça peut être ça, des documents aussi, ce sont des disques de quoi ? José : c’est des documents monsieur Alexandre : oui, oui José : ce sont des documents Alexandre : des disques de quoi ? José : vous savez pourquoi ? Alexandre : non José : parce que les disques étaient interdits Alexandre : ah ouais José : c’était un disque qui s’appelait euh, parce qu’il y avait un côté Alexandre : ce n’était pas les disques, c’était ceux-là qui étaient interdits José : les chansons, les chansons qui étaient à l’intérieur, étaient un peu, à un moment c’était, ils avaient été interdits parce qu’il y avait un côté un peu raciste, parce que c’était souvent des orchestres qui imitaient les arabes, des disques un petit peu humoristique et à un moment c’était interdit euh, ben, si je les retrouve, je vous les passerais Alexandre : ah ouais, ouais José : par exemple cette chanson euh, « fais-moi du couscous chéri, fais-moi du couscous » ou il y avait aussi, je crois même et « Mustafa et Mustafa » cette chanson là Alexandre : hum, hum José : euh, qui était aussi, à un moment ça été, ça été interdit ces disques là Alexandre : donc ça c’était, ils étaient en Algérie, c’était des choses que vous écoutiez José : ça c’était des orchestres Alexandre : locaux José : locaux pied-noir, c’était Paul Bazon, c’était des gars qui avaient des orchestres, et, y’avait aussi, moi dans ma famille j’avais un, du côté de la famille y’avait des gens qui avait un orchestre qui était assez connu d’ailleurs même en France, un orchestre, un c’était à l’époque des bachcomebos , je ne sais pas si ça vous dis quelque chose Alexandre : hum, hum José : des trios au sud américain avec une nana et deux mecs avec des guitares qui chantaient des chansons mexicaines des chansons, ça c’était très à la mode en Algérie et ça fait partie en fait de cette culture pied-noir, et je pense que j’ai des disques de ces gens là et ça c’est typique, typique, je vous ramènerais les disques que j’ai Alexandre : ouais José : des 45 tours d’époque hein, euh bon, sans doute inaudible mais bon y’a les pochettes Alexandre : passé un peu José : si, si ça, ça peut être un truc, c’est, c’est, en fait nous, parce que après tout ce qui est, y’avait pas vraiment, en dehors de la casserole, d’objet truc typique pied-noir Alexandre : ah non je ne dis pas typique, mais des choses qui étaient de là-bas qu’on a ramené, qu’on a gardé donc, c’est qu’il y a une certaine charge, une importance José : ouais, ce n’est pas spécialement pied-noir ça peut être des souvenirs personnels, machins Alexandre : ouais José : vous voyez ce que je veux dire Alexandre : mais bon, je ne sais pas même si vous avez des photos de l’époque où vous étiez là-bas, des scènes de famille des choses comme ça José : ah des photos ? Alexandre : ça peut être aussi des photos, c’est pour ça que je vous parle de documents José : ouais, es photos ouais, j’allais vous le dire des cartes postales, des photos, des machins comme ça oui, ouais Alexandre : l’album souvenir José : ouais Alexandre : l’album souvenir José : vous allez en trouver en pagaille, non ? Alexandre : ouais enfin, on fait avec les gens avec lequel on travaille José : sélection de choses intéressantes Alexandre : oui et après on prend ce qu’avec, les gens avec qui on travaille José : il faut que ce soit des choses qui appellent le souvenir de d’autres gens quoi Alexandre : oui pas seulement, ça peut être aussi en soit un témoignage, parce que c’est toujours la question des archives personnelles, parce que souvent les gens disent « bon, on en a rien à faire », je ne sais pas quoi » c’est ma première communion ça n’a pas grand intérêt », sauf que c’est une époque avec des habits, avec un contexte José : oui, voilà Alexandre : voilà et donc ça dis, ça peut dire des choses et puis après ce que l’on a gardé, la façon que l’on a conservé, c’est pour ça que je dis l’album souvenir, euh, bon on fait des choix, ces choix, ils ne sont pas neutres aussi, ils racontent des choses sur des gens, sur ce que l’on a aimé, sur ce que l’on a José : remarqué c’est vrai Alexandre : éventuellement sur ce que l’on a délesté c’est rare José : j’ai des photos avec mon père me promenant dans la rue Barseuil, c’était la rue principale d’Oran, euh fier comme, ça, ça reflétait bien l’époque où je vous dis insouciant Alexandre : hum José : et effectivement par rapport aux photos qu’on peut avoir en France d’après, ouais c’est vrai Alexandre : oui, et puis je suppose que vous n’étiez pas habillé pareil, ne serait-ce que, que pour des raisons climatiques José : oui c’est sur Alexandre : et puis on n’avait pas les mêmes fournitures José : oui c’est sûr, je peux faire du vintage, fringue de ma mère, trucs rétros, non ça peut être sympas oui Alexandre : non, parce que vous dîtes y’a encore des, des, non c’est des photos y’a pas d’habits, vous n’avez plus d’habits de l’époque ? Je suppose José : euh, non, alors là non on a plus d’habits, non on a plus rien du tout là Alexandre : sinon José : c’était à peu près la même mode qu’en France, il n’y avait rien de très particulier Alexandre : vous n’étiez pas en djellaba ? José : hein ? Alexandre : vous n’étiez pas en djellaba ? José : ah non Alexandre : évidemment José : ah non ça c’était, j’ai mis la djellaba à l’époque de Woodstock Alexandre : oui c’est ça, sauf que ce n’est pas le même contexte, voilà bon ben, je crois qu’on a fait, on a fait un beau tour d’horizon José : voilà Alexandre : merci de, de tout ça José : alors Alexandre : oui dîtes moi José : alors pour la chanson en question Alexandre : oui José : je vous l’amène vous en faites ce que vous voulez, je vous donnerais un CD Alexandre : hum José : c’est une sorte de témoignage de tout ce que je vous ai dis