Témoignage d'Emile Ecoffet
Retranscription
Enquête orale
"Emile Ecoffet"
Exposition Pieds noirs ici, la tête ailleurs
Date : Mardi13 Septembre 2011
Enquêteur : Alexandre Delarge
N° d’inventaire : 2011.12
Retranscription : fait par Annette
Alexandre: Donc 28 Juillet, Emile Ecoffet, on va parler de Toit et Joie, mais on peut peut-être commencer tout de même, puisque c’est le cœur du sujet de l’expo, par ton histoire de vie, de famille par rapport à l’Algérie. C’est quoi le, c’est le, la famille d’où elle vient et tout ? Emile : Ben, mes origines de vie en Algérie sont très, très lointaines puisque mon 1er ancêtre était par Napoléon 3 en Algérie, et il a été nommé à ce moment là « surveillant des lignes » (alors je ne sais pas si à cette époque ça excitaient les lignes, mais ça devait être des sémaphores parce qu’il n’y avait pas de lignes à l’époque), donc c’est Napoléon 3 qui l’a désigné, donc nous étions alors là après la, le soufflet là, dans le cadre de l’Algérie, environ 42-43, 1842-1843. Et puis, les générations qui ont succédé, ont tous pris la même orientation, c'est-à-dire, qui sont restés plus ou moins rattachés au PTT à l’époque, puisque dans un 1er temps, mon ancêtre celui qui était en Algérie est nommé, comme je te l’ai dis, il avait été tiré au sort par rapport au service militaire. Alexandre: ah oui, ouais, c’était l’époque Emile : il a été tiré au sort dans sa commune de haute Saône Alexandre: pas de pot Emile : pas de pot, non mais il n’a pas été tiré, il a acheté Alexandre: ah, il a racheté Emile : il a acheté le tirage au sort de ses compatriotes à l’époque Alexandre: ah, pour partir à sa place Emile : pour partir à leur place, parce qu’il n’avait pas de boulot, il était laboureur- cultivateur, là-bas dans le coin ils n’avaient pas beaucoup de travail Alexandre: c’est celui là qui est devenu surveillant des lignes ? Emile : c’est là, ben, en vérité il était sous la coupe de l’armée à l’époque hein ! Alexandre: hum Emile : c’était l’armée qui dirigeait les changements. Et puis ensuite à un moment donné, alors je ne la situe pas bien dans l’espace si tu veux, il a pris une concession, c’est un de ses descendants qui a dû prendre une concession, parce que l’armée donnait, faisait la répartition des terres, elle avait donné une concession, mais ça l’a, il n’a pas réussi parce qu’il fallait des fonds pour démarrer etc.…Et là encore c’est, il est devenu postier, c’est devenu à ce moment, ça s’appelait « facteur boitier », ça été son 1er boulot « facteur boitier », c'est-à-dire qu’il relevait les boites, tu vois, dans les patelins. Après, un de ses fils est devenu « facteur receveur » c'est-à-dire qu’à ce moment là, il avait un petit bureau, mais il faisait sa tournée et puis jusqu'à moi, la dynastie des postiers c’est poursuivie Alexandre: c’est incroyable, c’est combien de générations au-dessus de toi là le 1er ? Emile : ah ben écoute il faudrait que je les compte quoi Alexandre: un paquet Emile : hein Alexandre: un paquet, et tous postiers ? Emile : un paquet oui. Mon père était facteur chef aussi « courrier-convoyeur », il a terminé, son père à lui était « receveur-distributeur » à l’époque, ça s’appelait comme ça, tu vois, donc toutes ces générations ont eu un postier depuis la première nomination par Napoléon 3, mais en raison de circonstances particulières, puisqu’il avait été tiré au sort etc. Alexandre: et donc ça, se sont tous les détenteurs du nom ? Emile : tous les détenteurs du nom. Alexandre: et de l’autre côté, du côté de ta mère alors ? Emile : alors, y’avait un brassage tout de même assez intéressant puisque, alors je vais prendre la génération de mon père, parce que c’est celle que je connais, auparavant c’était plus difficile, j’ai fait, si tu veux, un schéma un peu de la famille, tu vois Alexandre: ouais Emile : chaque fois que je pouvais trouver une date de naissance, de décès, j’ai quand même fait un petit schéma bon. Alors pour en parler, on va remonter par rapport à mon père. Mon père était donc, courrier-convoyeur, c’était celui qui montait dans les trains et qui convoie le courrier, tu vois, et qui livre le courrier dans chacune des gares, donc, il a fait ça une bonne partie de sa vie, et il circulait à ce moment là sur les chemins de fers algériens, ça s’appelait comme ça, et puis avant, il a fait ça pendant des années, il partait avec son petit panier en osier, il faisait Oran, la frontière marocaine, Oran colombe char le sud (4 :40), tu vois, et puis moi, mon père était toujours avec un panier à la main quoi ! Et il partait avec son panier Alexandre: c’était le panier des courriers ? Emile : non, c’était pour mettre sa bouffe Alexandre: la bouffe, ah bon Emile : c’était un petit panier en osier avec une tringle comme ça Alexandre: ouais, je vois le genre Emile : et quand il avait des trajets à sillonner, il se couchait en bout de course pour reprendre le train précédant toujours en convoyant le courrier et en distribuant les villes, les villages plutôt parce que ce n’était pas des villes, les villages intermédiaires Alexandre: ouais Emile : et mon père a connu son épouse à Alger, à un moment donné il faisait un stage à Alger, qui était, elle d’origine Italienne, alors du côté de ma mère c’étaient des immigrés italiens, d’origine de ma mère c’est ISCHIA (5 :26), c’est une petite île qui est en face de la pointe de l’Italie Alexandre: hum, hum Emile : et son père, à elle, était menuisier-ébéniste qui travaillait à la construction à la ville d’Alger à l’époque, tu vois, il faisait les charpentes etc. Donc, ça se situe ça tout à fait à la fin du 19ème début du 20ème, donc, vers 1900 si tu veux Alexandre: et il est venu pourquoi, pour travailler ? Emile : il n’avait pas de boulot non plus en Italie, il n’avait pas de boulot dans son métier. Ils ont fait souche, ils se sont naturalisés, mon grand-père maternel que je n’ai pas connu, a eu deux fils qui ont pris la nationalité française dans le temps, a été tué à la guerre de14, tu vois, a été tué, donc, tu vois, la souche a été réduite Alexandre: réduit de moitié à cette génération la Emile : voilà, Alexandre: et ? Emile : alors ça Alexandre: et, euh Emile : alors du côté de mon père, les origines du côté de mon père c’est la Haute-Garonne, du côté de Saint Gaudens Alexandre: donc des Ecoffet Emile : donc là c’était, d’abord les premiers c’est la haute Saône, hein je te l’ai dit tout à l’heure quand ils sont partis, les premiers engagés si tu veux, et la deuxième souche, qui a été créée au niveau du mariage de mon grand-père le plus récent si tu veux, en remontant, c’était Saint Gaudens la Haute Garonne la Valentine, c’était un petit patelin, un petit village qui est à côté. Et comment cette branche là c’est branchée sur l’Algérie, le, y’avait un type qui était ouvrier agricole Alexandre: donc ça c’est le grand-père maternel ? Emile : le grand-père paternel, paternel, maternel non c’est l’Italie Alexandre: donc ça c’est Ecoffet alors Emile : Ecoffet, alors celui-là, il était ouvrier agricole et son propriétaire, le propriétaire pour lequel il travaillait, a reçu une possibilité d’avoir un lotissement en Algérie pour défricher un lopin de terre, si tu veux, Alexandre: hum Emile : il a eu une concession, mais lui, il ne voulait pas faire le boulot, alors il a dit à cet arrière grand-père «est-ce que tu veux aller prendre cette concession ?» alors il a pris cette concession, il est parti avec deux enfants ce garçon là. Et dans cette concession, dans la 1ère année, les deux enfants sont morts de la Malaria, si tu veux, parce que les terres qu’ils avaient données n’étaient pas tellement salubres, donc les enfants sont morts, et lui, il est parti de ce coin de terre Alexandre: en Algérie ? Emile : hein ? Alexandre: en Algérie ? Emile : toujours en Algérie, on parle de l’Algérie là, dans ce lopin de terre qu’on lui avait, que le patron, le concessionnaire lui avait confié, il avait perdu ses deux enfants la 1ère année, donc, il a trouvé un boulot, il s’est rapproché de la côte et à ce moment là, il a fait une souche à côté d’Oran qui s’appelait Sainte Léonie (8 :29), un petit village, et là, il y a la souche, si tu veux, la souche des Ecoffet qui s’est perpétuée dans ce coin là, euh donc voilà. Donc si tu veux les apports de l’immigration par rapport à l’Italie du côté de ma femme, et ça va pas dans le sens du sujet mais bon, du côté de ma femme ça été un rapport espagnol, si tu veux, les origines de l’Espagne Alexandre: hum, hum Emile : et puis ce brassage là, a donné, quand même, au plan général, si tu veux, de l’Algérie un brassage important dans, avec les populations, il n’y avait pas tellement de mélange avec les Algériens, tu as bien compris Alexandre: hum, hum Emile : c’était les Européens d’un côté et les Algériens de l’autre, mais euh, il y avait des obstacles de langues, de culture, etc. Mais, par contre tous ces immigrés, euh, on va dire chrétiens, d’origine chrétienne Alexandre: oui Emile : y’a eu une assimilation très facile entre eux, si tu veux, alors quand on voit… Alexandre: alors juste si tu veux Emile : alors tu trieras après Alexandre: je veux juste là, ta femme tout de même d’origine espagnole c’est quoi ? Ils sont arrivés quand et pourquoi ? Emile : ils sont arrivés au début du siècle 1915 par là, du moins du côté de ma belle-mère c’est… Alexandre: donc c’est ses parents à elle ? Emile : ses parents à elle oui. Et après, il y a eu un apport très important avec la guerre d’Espagnole et tout ça, mais ça j’en… Alexandre: mais c’est pas Emile : mais c’était toujours la misère Alexandre: oui c’est ça la misère Emile : y’avait pas de boulot Alexandre: oui c’est l’immigration économique quoi ! Emile : l’immigration économique oui Alexandre: d’accord, ouais, donc là, et on en était au mélange des immigrés et tous chrétiens Emile : oui, je pense que ça certainement facilité le brassage, et puis, ils se sont mariés entre eux, tu vois, Alexandre: et là dedans, y’a aussi, parce que tu parles des chrétiens mais y’a aussi les juifs qui sont importants Emile : ah oui bien sûr, alors en plus, en particulier, la diaspora juive du Maroc Alexandre: hum Emile : y’a beaucoup de marocains qui sont implantés en Algérie, parce que au niveau économique c’était en avance, si tu veux, par rapport au Maroc, c’était sur la domination française qui s’est après traduit par la départementalisation Alexandre: hum, hum Emile : alors qu’au Maroc c’était un protectorat, si tu veux, avec des lois qui étaient des lois marocaines, et les juifs marocains eux, en France, ils ont… Et après sous Blum Burlette ils ont été naturalisés français Alexandre: Crémieux Emile : Crémieux ouais, Alexandre: donc, y’avait ça aussi qui attirait éventuellement les juifs en Algérie Emile : oui, à ce moment là, oui mais on est déjà en Alexandre: en 46, en 1846 un truc comme ça Emile : oui c’est ça, alors. Je peux ouvrir une parenthèse et la refermer. C’était quand même une erreur politique importante, parce que les Algériens ils n’ont pas eu la nationalité et puis, ils donnaient la nationalité aux juifs, tu penses ça a été, ça été un des éléments qui a permis à la rébellion de s’alimenter, ce qui était tout à fait normal. Même de Gaulle, il a en 45, après la guerre, il voulait pour récompenser les types qui avaient, s’étaient battus il voulait naturaliser un certain nombre d’Algériens, il avait fixé un premier chiffre à un moment, je ne sais plus combien c’était, je ne voudrais pas dire de conneries moins de 200000, moins de 100000, donc, les gars qui avaient suivi un niveau, y’avait plusieurs Alexandre: critères Emile : plusieurs critères de recrutement, y’avait le niveau d’études, y’avait l’engagement dans l’armée ou la Alexandre: la fonction publique ? Emile : l’engagement sous les drapeaux français, et puis y’avait également, et puis ce qui en a dissuadé beaucoup, ce qui fait que ça ne c’est pas fait, c’est qu’il fallait qu’ils fassent une reconnaissance écrite comme quoi ils acceptaient la nationalité française Alexandre: hum Emile : et les gars n’ont pas voulu franchir le pas pour une bonne partie d’entre eux, en particulier l’élite, si tu veux, parce qu’ils avaient, quand même, un sentiment qui était un peu sous-jacent, mais qui les trituraient au niveau de la nation algérienne, si tu veux, et ces gens là n’ont pas accepté de signer ça, ce qui fait que le projet de Gaulle de 45-46 a été abandonné, y’a pas eu de naturalisation sous cet angle là Alexandre: hum Emile : bon, encore une nouvelle erreur, tu vois, alors que les autres ils l’avaient obtenu sans qu’il y a une demande à faire, ben ceux là il fallait qu’ils fassent une requête etc. Alexandre: et puis ce n’était pas pour tout le monde Emile : on en a commis des conneries politiques, je ne te dis pas Alexandre: je me posais une question de terminologie, comment les gens, les chrétiens européens je ne sais pas quoi, les immigrés s’appelaient ? Comment on les appelait quand ils étaient en Algérie Emile : ah Alexandre: entre eux ? Emile : entre eux Alexandre: entre eux, vous vous appeliez comment ? Emile : les Européens Alexandre: les Européens ! Emile : ouais Alexandre: et comment on les appelait, je ne sais pas, les arabes Emile : les Roumis (13 :40) Alexandre: ouais Emile : les roumis Alexandre: et donc le terme de pied-noir, il est utilisé en Algérie Emile : non, non, il était, il était tout à fait marginal, et on a découvert ce terme qui existait quand on s’est creusé un peu la tête sans savoir pourquoi certains appelaient les pieds-noirs. On s’est aperçu qu’une des explications était que quand les premiers soldats français sont arrivés, ils avaient des bottes Alexandre: ouais Emile : alors est ce que c’était vrai ou pas c’est une explication comme une autre, tu vois Alexandre: c’est celle qui est effectivement la plus courante Emile : donc, euh, bon ça s’est dit comme ça Alexandre: ça veut dire, que toi la première fois que tu as entendu le terme pied-noir, c’était quand ? Emile : c’était pendant la guerre d’indépendance Alexandre: c’est lié à ça Emile : ouais c’est lié à ça Alexandre: éventuellement au rapatriement Emile : ils arrivent en France ils sont pieds-noirs, ouais c’est ça, c’est plutôt lié à ça, au moment où les gars commençaient à faire leurs valises, tu vois Alexandre: c’est vraiment lié au départ quoi Emile : oui c’est ça Alexandre: bon, je voudrais qu’on parle plus après de Toit et Joie en fait Emile : ouais Alexandre: voilà, donc, l’arrivée comment ça se passe ? Votre arrivée, vous arrivez en quoi, quand ? Emile : alors, alors là je suis obligé de me référer sur ma position personnelle Alexandre: oui, oui Emile : j’étais secrétaire de Force Ouvrière au niveau départemental, régional et même après j’étais même au niveau national, et à ce titre là j’avais une certaine idée de la façon dont les choses allaient se passer au niveau de l’indépendance, je n’ai jamais été dupe ni sur le 13 mai, jamais défilé avec des drapeaux etc. Je savais que c’était inéluctable par mes convictions personnelles et que, mais j’étais quand même persuadé qu’en ne faisant pas trop de conneries, on pouvait partir dans l’ordre, tu vois, et peut être continuer à exercer pour une part, pour un truc. Donc, quand les accords d’Evian sont intervenus et même à cette époque là dans la discussion, j’avais eu à titre syndical un contact, alors tu verras si tu vas le dire ou pas, avec le MTLD (15 :45) Alexandre: hum Emile : le MTLD c’est le Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratique, c’était le parti qui était séparé du FLN, si tu veux, qui était peut être l’aspect, le parti, l’aspect politique, si tu veux, détenant de l’indépendance, mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques auquel appartenait (Ferhat note JS) Abbas 16 :16 , donc, on avait eu des contacts syndicaux, un peu, on va dire secrets quoi, avec le représentant du MTLD aussi bien à Oran qu’à Constantine, le fief c’était Constantine, et on s’était réuni pour discuter de la façon dont il voyait l’avenir des travailleurs algériens, c'est-à-dire, le mouvement syndical comment il pouvait se perpétuer avec la création, d’ailleurs après, ils ont créés UGTA, l’Union Générale des Travailleurs Algériens, et on avait travailler là-dessus, comment la passation de pouvoir, parce que c’était déjà, on était déjà bien avancé hein, on était en 1960, tu vois, donc l’indépendance s’est terminée en 1962. Alexandre: ah ça c’est 1960 Emile : hein ? Alexandre: contact 1960, vers 1960 Emile : oui, c’est des contacts informels, si tu veux Alexandre: ouais, ouais Emile : parce que c’était quand même de la clandestinité, le MTLD n’y a pas de pignon sur rue, mais, on a trouvé parmi ces gens là des types intelligents, des gars, et des gars qui appartenaient à mon organisation syndicale pour un certain nombre d’entres eux. Parce que, il faut te dire que pendant la guerre d’Algérie, euh, la CGT de l’époque a été interdite Alexandre: hum, hum Emile : je sais plus, je ne sais plus te situer l’époque, je ne sais plus si c’est du temps de Lacoste ou un peu avant, la CGT de l’époque avait été interdite parce que l’état major de la CGT en Algérie…Y’avait eu parmi eux 3 gars qu’on pris le maquis côté algérien, et à partir du moment, ou il y avait cette suspicion , ils ont donc interdit la CGT d’exercer sa tutelle sur les travailleurs, tu vois Alexandre: ah donc Emile : mais bon, ils n’étaient pas en forme, on était majoritaire au plafond fonction publique, on était majoritaire à 81% à cette époque, après la création de FO en 48, on était largement majoritaire, y’avait un petit syndicat CFTC moi je l’appelais « le denier du culte ». Alors une petite anecdote pour te faire rigoler. Le gars qui s’occupait de la CFTC à l’époque s’appelait Mignard, monsieur Mignard et alors on le lui racontait des histoires, on le, il faut toujours que Mignard dise, alors tu vois, et puis on lui disait « tu payes un coup avec le denier du culte » et lui, il nous répondait « tu payes un coup avec les dollars américains », parce que tu sais qu’à un moment donné FO a été suspecté Alexandre: ouais Emile : de recevoir dans le comité méditerranéen des fonds Alexandre: américains Emile : pour faire pièce à la CGT, et ça avait trait effectivement, euh, après la guerre, lorsqu’ils ont fait le pont avec l’Amérique, tu sais Alexandre: hum, hum Emile : et qu’ils ont euh, je cherche… je cherche le plan qui avait été fait Alexandre: Marshall (19 :21) Emile : hein oui, le plan Marshall si tu veux, donc le plan qui amenait du matériel etc. en France après la guerre et comme la CGT tenait les ports, euh, y’avait un vrai problème, donc, ils ont financé des sections syndicales en particulier dans la région de Marseille et dans les ports pour que FO prenne le contre pied Alexandre: contre balance Emile : du pouvoir de la CGT à l’époque qui bénéficiait à la libération du monopole d’embauche, tu sais que la CGT, et même à l’heure actuelle, elle a toujours le monopole dans les ports et dans la presse aussi, tu sais ça Alexandre: hum, hum Emile : donc, pour contrecarrer ça, on disait que les Américains avaient percé…Ce qui est vrai en parti, je ne suis pas dans les secrets des trucs, mais certainement que c’est une démarche qu’ils ont fait pour essayer de, ils ont aidé en particulier à Marseille pour la création des sections syndicales sur les ports pour contrecarrer la CGT, voilà, donc tu vois, je te referme la parenthèse Alexandre: d’accord, le contexte Emile : hum, donc pour en revenir à la famille parce que c’est ça Alexandre: ouais Emile : donc, j’étais secrétaire du syndicat et mon, mon objectif était de maintenir les gars en ordre, c'est-à-dire, ce qui nous intéressait c’est qu’il y ait une belle union entre les 3 communautés hein ! La communauté juive, communauté européenne, chrétienne et la communauté musulmane, et j’avais à peu près dans mon éventail de la poste de mes adhérents on avait, on va dire 30% de chaque Alexandre: ah ouais Emile : c’est incroyable, il faut savoir qu’on était département français et que le recrutement était national Alexandre: hum, hum Emile : ça veut dire que quand y’avait un concours de préposé, tout ceux qui étaient français, tu vois, dans le département pouvaient se présenter au concours. Et, en général, ils étaient, y’avait un recrutement important à la poste à ce moment là, la poste recrutait tout les ans entre 10000 et 12000 personnes, 15000 à un moment donné Alexandre: enfin au niveau national Emile : oui, au niveau national, donc, ils se retrouvaient où pour une grande partie d’entre eux, nommés à Paris, en Alsace, etc. Et ils revenaient après, donc il y avait...Y’a eu un brassage de population parmi les postiers si tu veux qui ont fait qu’il y avait une tolérance générale entre eux, tu vois, parce que le facteur algérien, il était nommé à Paris Nord aussi, tu vois ce que je veux dire Alexandre: donc, il allait aussi à Paris Emile : oui, il allait à Paris, bien sûr il allait aussi Alexandre: il travaillait à un moment Emile : à Paris, à Montparnasse, à Saint Lazare et puis il demandait sa mutation évidemment puis il revenait Alexandre: oui, mais donc c’était, pour les musulmans c’étaient des musulmans français, ils avaient acquis la nationalité ? Emile : oui Alexandre: ils avaient la nationalité Emile : ils n’avaient pas la nationalité, mais le fait qu’ils étaient reçus à un concours, d’office ils ne pouvaient pas être fonctionnaires ils n’étaient pas français Alexandre: donc, on leur donnait la nationalité ? Emile : oui c’est ainsi, tu vois, donc c’était un moyen pour eux aussi de la conserver, Alexandre: et de l’acquérir Emile : ou de l’acquérir oui. Alors moi, mon soucis numéro 1, c’était de maintenir cette unité, d’autant qu’on était soumis à des attentas récents, fréquents, et on a perdu beaucoup de monde. Parce que le matin, des types qui vont travailler de bonne heure y’a qui ? Les dockers Alexandre: hum Emile : les curés et les facteurs, et ceux qui étaient la cible des terroristes qui ont été à un moment donné du FLN, mais qui ont été après de l’OAS c’étaient ceux qui allaient travailler de bonne heure le matin, parce que c’était plus facile de les tuer le matin, que de les tuer quand il y avait un monde fou, donc, on a perdu beaucoup de types, quand je dis beaucoup je crois que cela doit se situer entre 11 ou 13 facteurs qui ont été tués le matin dans cette époque là. Et dans ma responsabilité Alexandre: l’époque c’est quoi ? C’est le début de ton, ce que tu dis l’époque Emile : tu veux dire, je ne comprends pas Alexandre: c’est à partir de quand qu’il y a des ? Emile : 60, en 1960 Alexandre: en 60 Emile : 60, 61, 62, mais la partie la plus, euh, enfin qui a été la plus dangereuse, ça été les premiers mois de 62, après les accords d’Evian Alexandre: l’OAS Emile : les choses se précipitaient Alexandre: plutôt l’OAS ? Emile : ils nous ont encore foutu un bordel je ne te dis pas, et après tu ne savais pas qui était qui, et qui faisait quoi. Tiens, je vais te citer 2 anecdotes si tu as 5 minutes Alexandre: vas-y, oui, oui Emile : dans mon rôle syndical c’était de protéger la vie des types, ça veut dire que, on a pendant, les derniers mois, les facteurs, on va dire les facteurs algériens si tu veux, algériens d’origine, on essayait de les maintenir dans leur quartier, pour distribuer leur quartier, pour pas qu’ils traversent la ville et qu’ils viennent à la recette principale, y’avait 130 facteurs + 30 financiers + les paquets et tout ça, on va dire 200 pèlerins à peu près, 200 pèlerins qui, dans ces 200 pèlerins, on va dire y’avaient 50 algériens peut être Alexandre: hum, hum Emile : une cinquantaine d’Algériens qui habitaient dans les quartiers indigènes, dans les quartiers arabes, et où, à la frontière, à la limite tu vois, et donc, le risque, le danger pour eux c’était de traverser la ville, la ville européenne si tu veux, parce que c’était là que les attendaient les gars qui voulaient faire un attentat. Ils voulaient un attentat pour ne pas tuer Dupond, Durand ou Muhammad ou tout ça, ils voulaient un attentat pour que les journaux le lendemain, il y a un titre comme quoi on avait tué un type tu vois, c’était surtout pour maintenir la pression sur les gars, pour obliger les Algériens à continuer à collecter, parce que évidemment ils payaient aussi et pour également, quand il y avait un… Mais ce n’était pas ciblé, ce n’était les personnes, c’était un homme quoi Alexandre: les postiers Emile : un postier ou Alexandre: peu importe quoi Emile : ou un docker, tu vois. Donc moi, c’était, alors j’étais donc à ce moment là, et comme j’avais, au niveau professionnel, j’étais responsable de la distribution, j’étais responsable de toute cette catégorie de types Alexandre: hum Emile : je passais mon temps à la préfecture pour avoir des gars qui viennent surveiller les secteurs le matin pour qu’on transporte les types tu vois, donc j’étais en contact permanent avec le commissariat central et avec le préfet, parce que y’avait euh, ce n’était pas uniquement à la ville, c’était tout le département et à mon titre de syndicat, j’avais des rapports avec le préfet. Et, on a eu un préfet pendant des années, il s’appelait Lambert, avec qui j’étais assez, intime, intime le mot n’est pas, mais on avait une correspondance très, très fraternelle si tu veux, comme ça, on se comprenait bien. Et donc, moi c’était de sauver la peau des types, je ne voulais pas que dans leur parcours, ils puissent se faire flinguer dans la distribution, j’ai eu des types qui se sont fait abattre, un jeune télégraphiste de 18 ans qui a traversé la rue mais, parce que t’avais des rues qui étaient coupées en deux hein ! Y’avait la partie qui était surveillée et tout ça, et ça c’était en 61, fin 61 début 62, un côté c’était, on va dire, les Européens qui tiraient avec le, avec l’OAS qui tiraient sur les types qui traversaient la rue quoi. Tu avais un boulevard qui était, qui longeait le village Nègre, qu’on appelait le village Nègre Alexandre: hum, hum Emile : et qui était pris sous le feu des deux, y’avait un côté de la rue c’était le FLN qui avait un tireur Alexandre: donc les numéros impairs c’était le FLN Emile : voilà Alexandre: les numéros pairs Emile : alors, fallait pas traverser quoi, il fallait que tu restes dans ton secteur, puis, ils étaient aveugles hein, ils tuaient le premier con qui passait. Alors, pour préserver tout ça, j’ai dû travailler pendant des mois, pour organiser les tournées et tout ça, c’était mon job, hein. Et surtout pour maintenir, mais j’ai fait des réunions syndicales jusqu’au milieu de 62, je ne sais pas si tu vois, en mars-avril 62, je faisais, et tout le monde venait juste après les heures, et après, il fallait transporter les types au village Nègre, on les mettait dans les camions de la poste, ils se couchaient au fond du camion et on les transportait pour pouvoir traverser la partie européenne et on les lâchait à la limite du secteur, tu vois, on a vécu des moments je te dis Alexandre: chauds, ah ouais Emile : voilà Alexandre: mais en fait à l’époque, parce que tu m’as parlé de ton statut syndical, mais c’était quoi ton boulot ? Emile : j’étais vérificateur de la distribution et de l’acheminement, c'est-à-dire, que je m’occupais des voies d’acheminement du courrier comme son nom l’indique, de la distribution, donc, l’acheminement du courrier à l’arrivée mais également au départ vers les bureaux etc. De la distribution donc l’organisation de la tournée des préposés pour le département Alexandre: hum Emile : pour le département hein ! Alexandre: oui d’accord Emile : et puis les gares au bureau et tout ce qui était l’acheminement si tu veux, tout ce qui était l’acheminement, voilà au niveau du département Alexandre: oui, d’où le rôle dans Emile : le rôle Alexandre: dans la sécurité Emile : voilà, alors là, en plus avec ma casquette syndicale et mon boulot professionnel, je touchais en plein dans le cœur du truc quoi ! Alexandre: hum, et alors jusqu’au dernier moment, donc y’a eu Emile : jusqu’au dernier moment y’a eu ça Alexandre: et y’a eu les postiers de tout bord ? Emile : alors attends, il faut que je te dise quelque chose… Alors, ils nous ont tué un directeur quand même Alexandre: ouais Emile : Monsieur Debard (28 :29) Alexandre: ça c’était ciblé je suppose Emile : ouais, celui-là, il était ciblé, alors là, et la raison pour laquelle, ils nous ont tué ce directeur est la suivante. Les chefs de service, ils ne se battaient pas pour venir en Algérie à l’époque, tu vois Alexandre: pendant la guerre, alors ? Emile : quand tu en avais un qui arrivait à se tirer il partait. Et, il nous nomme un « métro », je l’appelais comme ça, un métropolitain tout frais moulu qui arrive en Algérie, qui arrive à Oran comme chef de service départemental et qui s’appelait Monsieur Demarbe ou Demard, oui Demard ? Je crois qu’il y avait un R. Et ce brave homme, euh, bon il arrive et comme représentant syndical, je me présente à lui tu vois, puis en plus… Son bureau au directeur était là, et puis, il passait dans le couloir et, moi, mon bureau était là, il passait devant moi plusieurs fois par jour, donc, j’ai fais connaissance avec ce garçon, et qui était un type bien si tu veux Alexandre: donc vers 60-61 Emile : un bon fonctionnaire quoi, si tu veux, il venait chercher son avancement là-bas Alexandre: c’est ça vers 60-61 c’est ça ? Emile : ouais Alexandre: c’est ça Emile : donc, il est arrivé, oui, il est arrivé au début 60, il est arrivé là-bas. Et ce brave homme, il venait avec des gros sabots quoi, et y’avait à ce moment là, ce qu’on appelait les « barbouzes » Alexandre: hum, hum Emile : c'est-à-dire, les gars du gouvernement qui étaient des fonctionnaires de police qui se camouflaient, qui espionnaient un peu partout tu vois, pour un certain nombre d’entre eux d’ailleurs, ils étaient pro, ils n’étaient pas encore PRO-OAS, l’oas n’avait pas encore pris sa vigueur, mais enfin, ils étaient plutôt Algérie française si tu veux. Et ce brave homme, je lui dis « attention, faîtes attention parce que vous avez déjà une réputation qui vous précède, vous êtes venu entouré de barbouzes » et il se disait un peu partout que son chef de cabinet était un barbouze et qu’il venait espionner les types, tu vois, je n’ai jamais su la vérité dans l’affaire, mais ce qui était étonnant, c’est que ce type est arrivé à la direction du département et son dossier administratif n’est jamais arrivé…Y’avait des petits fonctionnaires qui géraient les personnes Alexandre: hum, hum Emile : et ça causait, ce dossier n’est jamais arrivé. Alors, j’ai dis à Demard « faîtes attention, parce que vous êtes suspecté d’avoir des barbouzes dans votre équipe » donc, il me dit « mais qu’est ce que c’est des barbouzes et tout ça », donc, je lui explique, c’était vraiment brut de décoffrage. Et puis, il y avait quelques jours qu’il était là, je me fais plastiquer chez moi dans mon domicile… ils me mettent une bombe, ça pète Alexandre: y’avait personne Emile : ils me ravagent toute la façade, ils me ravagent, j’étais jumelé avec ma sœur, chez ma sœur c’était criblé de trucs, mais on s’en était sorti, les gosses étaient pas là, ils étaient rentrés de l’école, moi, j’étais dans une réunion syndicale je ne sais pas où, bon, on n’a pas eu de pépins. Et le lendemain, il me dit « ça a pété dans le quartier », je lui dis « oui, c’est chez moi », et il habitait le quartier, parce que, j’habitais ce qu’on appelait la ruche des PTT ? C’était des petites maisons que les postiers avaient construit avec les crédits coopératifs, et on avait construit des petites maisons et on appelait ça la ruche des PTT, et je lui dis « oui, c’était chez moi » « ah bon » « faîtes attention quand même, parce que »…Et puis, euh, il était un peu brouillon, tu vois les fonctionnaires, il croyait qu’il était encore en France, il pouvait donner des ordres comme ça. Et puis, une nuit donc, le FLN a bousillé toutes les lignes téléphoniques du côté des Andiles(32 :00), je ne sais pas si tu en as entendu parler, c’est à la limite, entre le département d’Alger et le département d’Oran et ils avaient sciés les poteaux téléphoniques etc. y’avait plus de téléphone, on était PTT à l’époque, on n’était pas poste Alexandre: poste, télégraphe, téléphone Emile : donc, ce con de gradé là, y donne l’ordre aux équipes de lignes d’aller réparer et les gars ils disent « on ira réparer que si on a une escorte militaire » Alexandre: hum Emile : parce que c’étaient les mêmes, qui coupaient la nuit et le jour les types ils les réquisitionnaient, ils posaient le boulot qu’ils avaient fait la nuit tu vois, et il envoie les gars Alexandre: et ils se font descendre Emile : et les gars, y’en a 6 qui crèvent, ils arrivent aux poteaux, les poteaux étaient piégés, 6 types qui meurent, donc l’OAS a montré du doigt Demard, et elle a ordonné son exécution, on l’a su après Alexandre: ouais Emile : y’a un commando qui est arrivé d’Orléans ville, un commando et ils l’ont fusillé, fusillé Alexandre: donc, ça c’était l’OAS, c’était signé Emile : ah c’était l’OAS c’est sur, sur, c’était signé. Ils sont arrivés sur le trottoir, et moi j’étais à la porte au portail, j’ai encore la vision de l’affaire, et lui arrive en voiture, on s’était donné rendez-vous avec le patron, on devait aller voir le commissaire central de police pour analyser toujours cette histoire de sécurité, et la voiture du directeur arrive, les types étaient sur le trottoir, y’avait deux colonnes de types là, ils s’approchent de lui et paf-paf, ils te liquident le directeur, de, comme ça, et le chauffeur, je le voyais, il s’affole, il fonce avec sa voiture, il va à une clinique qui était au coin de la rue pour essayer de le sauver, mais bon évidemment, il avait pris 3 balles dans la tête, donc, j’ai assisté à sa mort cela m’a vraiment marqué. Mais les gars ils se sont toujours… On a toujours su que c’était l’OAS, mais après la police ce qu’elle a fait ou pas fait, ça c’est autre chose. Alors là ce con, il s’est fait tué bêtement tu vois, tu sais combien on était à son enterrement ? Alexandre: non Emile : on était 3 pelés Alexandre: ils avaient peur ? Emile : ils ne voulaient pas aller à l’enterrement, moi, j’ai dis « je lui dois à ce type, parce que c’était un brave homme quand même », bon il est mort. J’ai écris à ma fédération à Paris je leur ais dis « arrêter d’envoyer des gars comme ça, essayez d’envoyer un autochtone qui puisse être directeur » parce que lui il manquait de, il ne savait pas, on lui avait dit Alexandre: il comprenait rien quoi ! Emile : exactement, tu as résumé la question, il ne comprenait rien du tout, voilà, les mauvais temps ont été endeuillés par ce genre de trucs, plus les facteurs qui se faisaient tuer Alexandre: mais, c’est bizarre, c’est quoi la logique d’après toi de l’OAS, parce que Emile : ils voulaient venger le fait qu’ils y avaient 6 types qui avaient été piégé, parce qu’il avait donné un ordre administratif d’intervenir sans escorte…Voilà Alexandre: bon c’était une bêtise mais Emile : il aurait attendu 24 heures ou 48 heures les poteaux ce n’était pas, on n’était pas obligé de tirer des poteaux… Bon, voilà la bêtise humaine, j’ai vécu ce moment là…deux autres anecdotes, si tu veux, pour, enfin je ne sais si tu veux en parler, si tu ne veux pas tu en parles pas Alexandre: ouais, ouais Emile : tu feras ce que tu veux Alexandre: ouais, ouais Emile : donc, compte tenu de ma position, si tu veux, les gars de l’OAS m’avaient envoyé quelques petits mots gentils chez moi, tu vois, j’en ai gardé quelque uns « pour toi à la mort, pour ta femme », tu vois, des trucs très encourageants Alexandre: super ! Emile : ben, j’avais quand même le respect des pieds-noirs, si tu veux, parce qu’ils savaient que je ne prenais pas parti quoi, j’essayais vraiment de défendre l’intérêt des gars, euh, dans l’intérêt de vivre, par conséquent, j’avais une côte parmi les gars OAS ou FLN qui faisait, je crois, que j’étais épargné par ça, parce qu’ils pouvaient me flinguer quand ils voulaient, j’avais pas d’escorte, donc, ça voulait dire, que si vraiment ils m’ont épargné, c’est qu’ ils ont estimé que j’étais comme tu dis régulier quoi. Et un jour, y’a un gars qui vient me voir, que je connaissais c’était un facteur qui habitait dans un petit village où ma sœur était receveuse à un moment, et il me dit « tu sais, on a décidé de le tuer lundi » on était le vendredi ou le jeudi « Tordjman », et Tordjman c’était le délégué des facteurs qui était, Tordjman c’est un nom juif hein, qui était juif, un type qui avait une très grosse côte dans la distribution, qui avait une emprise sur les types incroyables, il voulait faire un exemple, il voulait tuer un type qui représentait quelque chose Alexandre: le FLN Emile : non ça c’était les arabes, c’était le FLN Alexandre: oui le FLN Emile : oui, le gars, il faisait parti du FLN, il était dans le comité de direction, il vient me voir, il me dit « Tordjman » Alexandre: oui, c’est ça Emile : il vend la mèche, aller on va résumer la situation Alexandre: oui, oui Emile : je dis « putain tu déconnes » « non, non », sa tournée c’était la brasserie algérienne, y’avait un quartier assez désert là, et ils vont le tuer là lundi matin, « ah, ben, tu ne peux pas les convaincre là » « non, non, puis si je suis suspect, puis tu sais si je fais le con ». Bon, me voilà avec cette information, je suis un peu emmerdé là, je vais voir le préfet Lambert qui est le même préfet, je lui dis « voilà ce qu’il se passe » « oh, il me dit, on va le protéger, on va le protéger » je lui dis « non, il ne faut pas le protéger, il faut l’envoyer, il faut qu’il s’en aille, il faut l’envoyer en France, faut pas le laisser là , s’ils ne l’ont pas eu aujourd’hui, ils vont l’avoir demain, hein ! ». Donc, dans le week-end, on organise son départ, je vais m’expliquer avec sa femme, il avait quand même 4 enfants le type, pour lui dire « je l’envoie à Paris pour un congrès », je lui ai raconté une connerie tu vois, mais il est jamais revenu lui Tordjman, il est resté évidemment en France parce que Alexandre: c’était le but du jeu Emile : voilà, c’était le but du jeu, on l’expédie bon ça va il s’installe, mes copains à la fédération le récupère, le font nommer à Nîmes d’ailleurs, il est resté, il a fini sa vie là d’ailleurs. Mais, quelques jours après mon boule noir, il vient, il me dit « tu sais, il faut que je m’en aille » parce que le seul qui a vendu la mèche c’est toi, parce que tu es bien avec Emile, donc c’est toi qui as raconté l’histoire, ça sais su tout ça, le mouvement, le type il prend l’avion, tu ne peux pas cacher ça, le lendemain il n’est pas au boulot. Rebelote je fais partir mon boule noir et il se retrouve à Paris les copains le récupère, on l’a nommé à Saint Lazare où à Barbès je ne sais pas où exactement, et il a fini également, jusqu’après l’indépendance ou il est reparti en Algérie. Alors tu vois deux anecdotes qui demandent de, la vie ne tenait qu’ à un fil quoi, c’était, on vivait une période incroyable, incroyable ! Mais y’avait des petits moments de satisfactions, quand les gars venaient te dévoiler des trucs comme ça, tu te disais » putain, j’ai sauvé la tête d’un type, quoi ! » Alexandre: hum Emile : mais, j’ai eu des problèmes avec ce garçon Alexandre: ce n’est pas n’importe qui, qu’on vient vendre la mèche Emile : non, non, le gars en qui tu as confiance Alexandre: ouais Emile : ouais, je savais bien que je n’allais pas aller loin. J’ai eu des problèmes avec Tordjman, pas tout de suite, quelques années plus tard Alexandre: quand il était en France ? Emile : ouais, il s’interrogeait de savoir, si c’était réel tout ça Alexandre: si c’était réel ? Emile : oui, il avait un doute, c’est surement sa famille qui avait fait pression comment il a vécu 1 an et demi hors de sa famille Alexandre: ouais Emile : parce que sa famille a été rapatriée qu’après, en, après 62 si tu veux. Il y’avait un doute, alors ça jamais été dis comme ça en face, il ne m’a jamais posé la question de ce genre là, mais je voyais bien dans son attitude qu’il n’était pas net avec moi, tu vois, alors qu’on était très franc l’un envers l’autre et après j’ai fait travailler mon petit truc et c’est là que… Alexandre: et pourquoi par exemple dans ce cas là, la famille est pas partie, ne l’a pas suivi ? Emile : euh, eh ben, il faut que tu trouves les places de bateaux déjà à ce moment là ça commençait la débandade hein ! Alexandre: c’était quand ça ? Ah oui c’était déjà tard Emile : ben c’était début, peut-être début 62 ou fin 61, tu vois c’était encore chaud là. Donc, avec ces petites anecdotes… Alexandre: et donc toi ? Et ta famille ? Emile : ma famille je l’ai faite partir en juin 62, ils sont venus s’installer à Marseille chez ma belle-sœur, moi je suis resté tout seul, euh, parce que je voulais absolument rester, j’ai rien à me reprocher, je suis indépendant, je suis resté, fin juillet ils ont faillit me flinguer, mais je suis resté jusqu’au 5 juillet, j’ai pris après l’avion pour rentrer en France Alexandre: pourquoi le 5 juillet ? Emile : parce que, tu sais qu’au mois de juillet y a eu un massacre à Oran Alexandre: ah oui, oui Emile : tu connais l’histoire du 5 juillet Alexandre: lié à l’OAS Emile : puff, ils étaient tous partis Alexandre: ah bon ! Emile : la plupart, ils avaient tous pris le bateau espagnol, ils étaient tous partis avec armes et bagages, plus tout les hold-up qu’ils ont fait dans les banques avant de partir, l’OAS, il n’y avait plus d’OAS Alexandre: ouais, ah je croyais Emile : le 5 juillet c’était un désir de vengeance d’un certain nombre de groupes d’Algériens qui avaient vécu enfermés dans leur ghettos parce qu’à un moment donné ils ne pouvaient plus sortir de chez eux Alexandre: hum Emile : ils se faisaient flinguer, un désir de vengeance, ils ont armés la population, ils leur ont distribué les armes, ils sont descendus en ville et ils ont tiré sur tout ce qui bougeait quoi ! Ce jour là, je me suis fait enlever par un groupe Alexandre: mais, toi tu étais à Alger ? Emile : non, moi j’étais à Oran Alexandre: ah tu étais à Oran Emile : j’étais à Oran, j’étais régional, mais j’étais à Oran. Et, donc je me suis fait enlever par un groupe d’incontrôlés là, et là encore un coup de pot, je me suis fait sauver par un type de l’ALN (42 :24) parce que l’ALN entre le 3 et 5 juillet a fait le mouvement depuis le Maroc Alexandre: hum, hum Emile : l’Armée de Libération National algérienne a fait mouvement depuis le Maroc jusqu’à Alger, jusqu’aux villes et jusqu’à Oran etc. Et, ils prenaient, l’armée française avait cédé, passé le pouvoir à l’armée algérienne, et là ils faisaient mouvement, l’armée faisait mouvement, donc, ils commençaient à occuper vraiment les véritables fonctions, et entre, dans cet espace là se sont glissé des types qui ont voulu se venger qui ont tiré, qui ont tué, et j’ai été enlevé par un groupe d’incontrôlés et j’ai été sauvé par un type de l’ALN qui, alors tu me crois ou tu ne me crois pas, qui me vois collé au mur les types, ils allaient me liquider tu vois,.. Alexandre: ah oui, carrément, c’était le moment décisif Emile : ah oui, oui, ils avaient tué le gars qui était avant moi, ils étaient en voiture avec la portière ouverte, j’allais chercher mon beau-frère qui m’emmenait à l’aéroport, tu vois j’étais vraiment sur le départ, j’étais en short et chemisette, le type m’arrête, me colle là, je lui dis « qu’est ce que vous faîtes là », il me dit »ouais », je lui dis »ça fait longtemps que l’OAS sont partis » « ah non toi » puis arrive cette colonne de l’ALN et le type me voit là et il me dit « mais, qu’est ce que tu fais là toi ? » je lui dis « ben tu leur demande à ces cons là, regarde tu ne vois pas », parce que je parlais comme ça « tu leur demande à ces cons là ce que je fais là ». C’est un gars que j’avais recruté comme télégraphiste, ce type là il arrive juste à ce moment là il m’a sauvé la vie ! Alexandre: hum Emile : c’est incroyable, bon je m’expliquais avec lui, il commence à baratiner avec les gars, bon il les fait partir et tout ça, et puis il me dit « Montes dans ta voiture, je t’escorte », il m’a escorté jusqu’au commissariat central à 200 ou 300 mètres du commissariat, il me dit « tu laisses ta voiture n’importe où et tu cours jusqu’au commissariat central », c’est en pleine coque comme ça, parce que ce n’était pas, la journée était encore chaude. Donc, je laisse ma voiture je commence à courir, j’arrive au commissariat central, si tu veux, la cour des miracles, les gars qui étaient blessés, les gars qui avaient reçu des coups de couteaux, donc, c’était une horreur ce 5 juillet, y’a eu plus de milles morts hein ! Alexandre: ouais, ouais Emile : selon les chiffres de la Croix Rouge, donc ça veut dire que, après ça s’est calmé, bon moi après je suis parti, j’ai dis ça suffit comme ça, donc je suis parti, je devais partir le 5 mai j’ai réussi à partir le 7 avec un contingent Garde Républicain, de Garde Mobile Alexandre: hum, hum Emile : on appelait Garde Mobile à l’époque, les Rouges on les appelait nous, et qui rapatriaient tous les militaires. Et j’avais ma déléguée du central téléphonique dont le mari était adjudant dans ce truc là Alexandre: hum, hum Emile :: et je l’appelle et lui dis « voilà, je suis emmerdé, j’avais des places, voilà ce qui s’est passé » et elle me dit « bon ne vous en faîtes pas monsieur Ecoffet, vous allez partir avec », dans le car qui transportait les types à l’aéroport, y’avait ce contingent de Garde Mobile qui partait, donc, je me suis assis avec eux là et puis arrivé à l’aéroport sauve qui peut, je suis rentré, j’ai trouvé un avion, enfin je ne dis pas. Je suis parti sur Marseille, sur Lille-Paris après sur Paris-Lille, enfin j’ai fait un circuit terrible pour arriver à Marseille, et voilà je n’ai plus remis les pieds en Algérie. Alexandre: et ensuite tu as été, ta famille était installé à Marseille c’est ça ? Emile : alors, ma belle-sœur habitait à Marseille, mes enfants étaient là avec ma femme, donc Alexandre: déjà, depuis plusieurs mois ? Emile : oui, depuis, non pas plusieurs, ils ont dû partir fin mai, mi-mai par là 62, parce que ça bardait quand même, ils sont partis mi-mai par là, donc, ils sont restés là-bas, et d’ailleurs, mon fils a fait l’année scolaire qui a suivi, il l’a fait sur place à Marseille. Donc, j’arrive à Paris après, je vais voir les copains et je dis « bon, qu’est ce qu’on fait » et j’ai eu une affectation à ce moment là, à la direction régionale boulevard du Montparnasse, bon ma carrière a continué là avec des mouvements divers, donc voilà. J’ai réintégré l’administration, et pendant ce temps là, il fallait que je trouve un logement. Donc, y’a un copain qui m’a prêté un studio, qui était occupé par son grand-père, et là on est arrivé finalement pour terminer l’année donc d’octobre, si tu veux où j’ai repris mon boulot, fin septembre début octobre, octobre-novembre-décembre 62, jusqu’à ce que j’ai ce logement à Toit et Joie qui commençait à s’occuper, les premiers locataires sont arrivés fin décembre 62, et j’étais parmi les premiers attributaires parce que j’avais mes 3 enfants, j’avais ma belle-mère qui vivait avec nous en plus tu vois, donc, j’étais attributaire d’un logement neuf. Alexandre: d’accord Emile : et la partie Toit et Joie a commencée là Alexandre: c’était fini les travaux à Toit et Joie ou c’était par encore ? Emile : c’était, on était encore dans les gravats, les avants n’étaient pas terminés Alexandre: mais les logements étaient finis ? Emile : les premiers contingents de locataires étaient arrivés décembre 62, après ça s’est échelonné dans le premier trimestre 63, tu vois, et là sont arrivés des gars, et comme c’était administration PTT, donc, Toit et Joie était à ce moment une coopérative PTT Alexandre: hum Emile : l’administration avait acheté, avait donné les fonds pour le terrain etc. Et donc, elle a eu pendant 25 ans, euh, la responsabilité de loger les gens, c'est-à-dire, que pendant ces 25 années, c’était la société qui était coopérative d’abord, qui s’est transformée en société classique HLM qui avait l’attribution des logements, maintenant y’a plus des, y’a encore des contingences, si tu veux, qui sont gérés par la Poste, par les Télécom, mais, ils peuvent louer à qui ils veulent quoi Alexandre: d’accord, ça s’est séparé maintenant en fait ! Emile : ils ont séparé le patrimoine des deux entités Alexandre: et alors, quand tu arrives, les premiers, tout les premiers qui viennent s’installer, se sont tous des pieds-noirs Emile : ah ben oui, parce que, bon ceux qui avaient des coefficients de logement le plus élevé, parce que, ils avaient fait un barème si tu veux Alexandre: ah, pour une répartition Emile : pour une répartition, y’avait 250 logements, y’avait un barème...La ville avait 15% de logement donc, elle les attribuait à son gré, et puis le reste c’était attribué par l’administration si tu veux Alexandre: qui avait dit « il y aurait tant de % de pieds-noirs » Emile : non Alexandre: ah non Emile : elle a créée si tu veux coefficient de logement là, alors je ne sais pas, je vais te dire une bêtise, 10 points par enfants, 10 points par adulte Alexandre: d’accord ! Emile : avec ça, ça faisait un chiffre et puis, avec ça ils attribuaient, mais c’était surtout pour se justifier généralement pour pas qu’il y est de contestation Alexandre: ouais donc Emile : donc, on est arrivé là, les premiers étaient souvent des pieds-noirs donc, on a été 60 familles, peut être, pieds-noirs, ça s’est progressivement euh, réduit mais il est resté un noyau dur, on va dire, de 40 à 45 personnes si tu veux, familles je parle famille là hein ! Alexandre: et alors ensuite Emile : ben ensuite, avec quelques amis, on a pensé qu’il fallait quand même essayer de maintenir des liens entre nous etc. Donc, on a créé cette amicale, comme ça, c’est parti comme ça, et on va dire le seul moyen d’avoir Alexandre: l’amicale des résidents, l’amicale des locataires ? Emile : l’amicale des locataires de Toit et Joie, on appelait ça comme ça, et dans cette amicale on a dit la première chose à faire, c’est de s’occuper des enfants, et donc, on a commencé avec les fêtes de noël, tu vois, les familles en même temps se sont rassemblées, on a eu quelques mariages entre eux, entre familles si tu veux, mais certains se connaissaient déjà Alexandre: ah ouais Emile : certains avaient travaillés dans certains bureaux et se retrouvaient là, donc les liens étaient déjà créés Alexandre: et alors dans l’amicale au départ tu dis avec quelques amis c’était, en l’occurrence là, ceux qui ont lancé c’étaient tous des pieds-noirs ? Emile : euh Alexandre: l’association du départ Emile : euh non, parce que dans le comité y’avait des, des non pieds-noirs on va dire. Mon successeur à la présidence ça été René Thomas qui Alexandre: qui était pied-noir ? Emile : qui était un bon gaulois Alexandre: ah bon ! Emile : René Thomas c’était Alexandre: je croyais que c’était un pied-noir lui aussi Emile : il n’était pas pied-noir Alexandre: ah oui, non c’est une histoire un peu particulière oui, il a été un tout petit peu en Algérie Emile : alors, René Thomas, c’est marrant parce que, effectivement il a en tant que militaire, il a été appelé, si tu veux, il avait séjourné dans une caserne à Oran, donc on parlait souvent d’Oran, parce qu’il avait séjourné dans cette caserne Alexandre: hum Emile : et il connaissait un postier et c’est comme ça qu’il a embraillé dans le comité, il a travaillé pendant des années, et puis il m’a succédé comme président pendant pas mal d’années, non, non, c’était un garçon bien. Alexandre: mais bon, l’idée elle émerge de qui ? Bon qu’après dans le comité Emile : l’idée, elle émerge de 3 personnes, moi et de 2 autres, un Israélite qui est parti, ensuite, s’installer en Israël qui élevait des poulets là-bas, et puis un troisième personnage Monsieur Serano qui lui comme son nom l’indique était Alexandre: d’origine espagnol Emile : d’origine espagnole, donc tu vois Alexandre: tout de même l’idée de base c’était 3 pieds-noirs aussi c’est ça ? Emile : l’idée de base oui ce sont nous 3 qui avons créé ça Alexandre: vous vous connaissiez avant ? Emile : Serano oui, c’était un de mes délégués à Périgaud, il était aux lignes à grandes distances lui, c’était mon délégué syndical de Périgaud, je le connaissais de nom, mais de, donc en correspondant hein ! On correspondait, il m’envoyait toujours des salades hein, et puis René Thomas comme je te l’ai dit, et puis le troisième, euh, il travaillait à Alger, le troisième il travaillait, il était inspecteur à Alger, et puis Alexandre: l’israélite ? Emile : il s’est, il s’est très rapidement tourné, il voulait changer de métier, il s’est très rapidement tourné vers Israël, parce qu’il était assez religieux comme type, il est parti en Israël, il s’est installé là-bas, en fait ,même le vingtième anniversaire de Toit et Joie son existence, il est venu d’Israël Alexandre: ah ouais Emile : il est revenu nous revoir là, puis y’avait quand même une gamme de personnes. Et c’est les femmes, ce sont les femmes qui ont donné l’impulsion nécessaire Alexandre: c'est-à-dire ? Emile : elles ont créé un club des femmes qui se réunissaient toutes les semaines dans un local, que j’avais obtenu de la société, et qui en dehors de papoter et de boire le thé ou le café, préparaient les fêtes, c'est-à-dire, préparaient les costumes pour les enfants, faisaient répéter les enfants pour les scénettes qu’on allait jouer à noël, et les salles de séjours se transformaient en salles de danses, tu vois, chez elles. Y’avait un brassage de familles là qui sont devenues intimes. Alors par exemple, y’avait un groupe qui devait faire tel type de danse, ce groupe était reçu et elles répétaient dans les salles à manger, on poussait les meubles et les gosses dansaient là, donc ça entretenait… Et puis, les mercredis, je ne sais si c’était le mercredi ou le jeudi, je pense que ça devait un autre jour dans la semaine, surement pas le mercredi, où elles se réunissaient pour préparer également les costumes, on avait deux leaders là, madame Lenoir qui est toujours vivante qui habite toujours Fresnes, et une autre dame qui préparait, elle était chapelière, mais enfin, elle cousait, elle savait faire les costumes quoi Alexandre: hum, hum Emile : donc, on avait des dames qui travaillaient ça et puis bon ça créait une ambiance terrible Alexandre: et alors c’était quoi les activités ? Les activités Emile : les activités de faire la fête de Toit et Joie, donc on faisait une kermesse Alexandre: à noël c’est ça ? Emile : non, la kermesse c’était au mois de mai, parce qu’il fallait qu’il fasse un peu beau, la kermesse du mois de mai avant celle du curé, nous il ne pleuvait pas et à la kermesse du curé il pleuvait, alors le curé il s’interrogeait Alexandre: le bon dieu fait même les choses ! Emile : il venait nous voir, alors Morali le père de ses filles, le curé il dit « mais comment ça se fait que vous vous avez toujours beau temps et nous il pleut toujours », alors il lui dit « on ne prie pas le même bon dieu que vous », l’expression était restée dans toutes les mémoires, tu vois, c’était un brave type mais il était un peu jaloux tout de même, on lui faisait un peu concurrence, voilà Alexandre: et donc la kermesse au mois de mai, c’était une kermesse avec des stands ? Emile : la kermesse, on faisait nous même notre propre kermesse, avec des jeux d’enfants, courses en sacs, tu vois tout ce que l’on peut imaginer, ballon enfin tout ce qu’on veut Alexandre: et c’était pour les gens de Toit et Joie ? Emile : ah c’était pour les enfants de Toit et Joie oui, attention, attention 50 logements à Toit et Joie, je ne sais si tu vois, mais y’avait des familles de 2-3 enfants ça commence à faire des gosses hein ! Alexandre: oui, ça fait 100 enfants Emile : c’étaient des fêtes laïques Alexandre: oui, ben j’ai bien compris Emile : tu t’en doutes Alexandre: j’ai bien compris même si vous priez un bon dieu, mais pas le même que celui de Emile : ah, on en a eu des trucs Alexandre: mais c’était ouvert, ce n’était pas ouvert à l’extérieur tout de même Emile : ah ouais, ouais, on faisait un bal le soir, le vendredi soir ou le samedi soir y’avait un bal public Alexandre: d’accord, la kermesse c’était pour les enfants Emile : la kermesse pour Toit et Joie Alexandre: pour les personnes de Toit et Joie Emile : qui commençait le mercredi, y’avaient leur copains des fois qui venaient, on n’était pas sectaires, et on faisait le bal le samedi soir, un bal ouvert à tous quoi Alexandre: et donc après les Fresnois venaient Emile : et jusqu’à pendant des années ça, une année je ne sais plus laquelle, on a eu une bagarre générale, avec des équipes de jeunes loubards qui arrivaient de Châtenay, ça a failli mal se terminer, euh, on a décidé de ne plus le faire, après on a fait des bals fermés. Ca veut dire, on mettait deux types à la porte, on prenait un gymnase et on faisait des bals à l’intérieur sur invitation uniquement. Donc, les gens de Toit et Joie avaient une invitation Alexandre: hum, hum Emile : dans le carton, mais ils pouvaient eux-mêmes, à leur tour inviter des gens mais sous leur responsabilité et ça, ça c’est fait encore pendant 5-6 ans quoi Alexandre: donc là ça a duré jusqu’à quand à peu près ? Emile : oh ben ça on va dire, ça a bien duré, on va dire 15 ans Alexandre: hum, d’accord, donc vers 75-76 Emile : ouais, moi je suis parti en 79, je suis parti comme receveur en province et Thomas a pris ma succession, tout de suite y’a eu de coupures, et il a continué avec la kermesse de la ville, donc, on n’appelait plus ça la kermesse mais la fête de la ville Alexandre: ah Emile : avec les stands et tout ça Alexandre: ah donc vous avez fusionné ? Emile : y’avait même plus de flambeaux Alexandre: c'est-à-dire tu n’es plus à Toit et Joie c’était dans Emile : ah mais la ville avait commencé à faire sa fête de l’été là Alexandre: ah, ouais Emile : mais on participait aux fêtes de l’été, et entre temps, moi j’étais devenu conseiller municipal, donc tu vois. On avait, on avait fait un peu école là sous le plan de l’animation des quartiers Alexandre: hum, hum, donc y’avait la kermesse et y’avait quelque chose à noël, c’est ça, les deux moments forts c’étaient ça ? Emile : ben, les enfants tout ce qu’ils avaient étudié pendant toute l’année y’avait une prestation, le curé nous prêtait sa salle, on demandait une salle chez le curé Alexandre: la salle de cinéma là Emile : l’ancienne salle Alexandre: ouais Emile : qui a été démolie Alexandre: oui, devant l’église moderne Emile : alors, dans cette salle là, y’avaient des vieux fauteuils et tout ça, alors on travaillait là comme, on va dire comme des nègres, parce que, euh, il fallait, on n’avait pas confiance dans le réseau électrique, on avait peur de foutre le feu. Donc, y’avait qui était chargé du chauffage, pendant la semaine qui précédait la fête de noël, il venait remettre en route le système d’installation de chauffage et c’était un vieux truc à bois, je ne te dis pas, y’avaient des électriciens qui tiraient les câbles, donc, on se servait pas du réseau électrique du curé parce qu’on avait peur de foutre le feu, on tirait un câble, on avait un copain sa femme était postière mais lui était à l’EDF, il nous avait prêté un câble et on tirait un câble par-dessus le toit pour alimenter toutes les installations qu’on faisait, et pendant la séance on mettait un type à chaque porte, parce qu’on avait toujours peurs qu’il y ai une connerie hein, avec les extincteurs etc. mais y’avait 20 types qui travaillaient , c’était pas moi tout seul qui faisait tout ça, on avait 20 types qui travaillaient bénévolement qui venaient. Quand on faisait la kermesse et le bal, les types avec leur baramines pour faire des trucs aux poteaux, parce qu’il fallait qu’on l’éclaire cette salle de bal, et c’était sur la plateforme de Toit et Joie Alexandre: hum Emile : et donc il fallait l’éclairer, et pour l’éclairer il fallait mettre des poteaux, et pour mettre des poteaux il fallait mettre des câbles, et on travaillait, et en plus c’était une rigolade générale parce que le type qui avait la baramine, c’était monsieur Rozine un antillais, on lui disait « René tu vas bronzer hein » alors il se marrait, il habite toujours là d’ailleurs monsieur Rozine, donc, on avait une ambiance incroyable et c’est pour ça que les gars ont un souvenir de cette période là, même des types qui sont partis, ils en parlent encore quoi. Mais c’était un climat qui ne pouvait pas être reconstitué si y’avait pas eu un fervent dès le départ, tu vois, c’était le fait qu’on s’était retrouvé là et que les femmes se sont mélangées aussi, qu’elles sont, bon voilà, je ne crois que ce soit facile à faire autrement si y’a pas un, quelque chose tu vois à l’origine Alexandre: ouais, ça ne se provoque pas ça Emile : non ça ne se provoque pas, non Alexandre: parce que ça veut dire quoi tout de même euh, au-delà des deux moments forts kermesse et fête de noël, noël c’était des spectacles d’enfants Emile : ouais, qui était préparé par Alexandre: les femmes etc. Emile : par les femmes Alexandre: mais au-delà de ces deux temps forts, c’était quoi l’ambiance, il ne se passait rien entre les deux moments à part la préparation Emile : oui ben ils se recevaient, ils se faisaient des plats, les plats de couscous qui se passaient d’une porte à l’autre. Les fêtes juive, avec la fête des gâteaux, euh, y’avait toujours des trucs, y’avait les mariages, les baptêmes Alexandre: hum Emile : et les enterrements hélas, et là, on était toujours là Alexandre: et tout le monde Emile : tout le monde venait ah ouais, tout le monde venait, non, non y’avait une solidarité importante. Mais la communauté juive, moi je n’aime pas le mot la communauté parce que ça veut dire, mais les juifs cultivaient, même s’ils n’étaient pas eux même très engagés au niveau religieux, ils cultivaient les traditions Alexandre: hum, hum Emile : la fête des gâteaux, euh, le premier de l’an et tout ça Alexandre: ah ouais Emile : alors pour parler de Morali, le père de ces 2 filles, il avait eu dans sa jeunesse un accident important, et on lui prédisait qu’il allait mourir, il a guéri Alexandre: hum, hum Emile : et tous les ans à la même époque à ce moment là, il faisait une fête chez lui le soir, le Rabbin il venait juste pour du…Il invitait des copains. Alors, on arrivait chez lui vers 19h00 et pendant 5 minutes le Rabbin il faisait un discours en remerciant dieu d’avoir sauvé la vie de monsieur Morali et puis après on faisait la bamboula, je ne te dis pas, toute la soirée Alexandre: en plus il n’était pas juif, d’après ce que m’ont dit les filles Emile : Morali si Alexandre: c’est bizarre, ou alors j’ai mal compris, elles m’ont dit c’est notre mère qui était juive et lui ne l’était pas Emile : il le faisait quand même Alexandre: hum Emile : c’est lui qui maintenait la tradition dans la famille Alexandre: ah ben peut être Emile : ah peut être qu’après il, si elles l’ont dit c’est sur Alexandre: je ne sais pas il me semble que Emile : mais, c’est un exemple, le Rabbin était quand même là Alexandre: ouais, c’est étonnant Emile : et tous les ans à la même époque, je ne sais plus à quel moment d’ailleurs, Alexandre: il fêtait sa guérison Emile : il venait me voir à la maison et me disait « bon Emile tu te rappelles pas c’est demain soir » puis bon je venais à tout les coups hein. J’ai marié ces filles, Alexandre: oui, je sais ça Emile : j’ai marié euh, la fille Zakine, j’ai marié, j’en ai marié des quantités, la fille Gomès, j’ai marié la fille Albertini euh, enfin j’ai marié des quantités là-dedans Alexandre: et alors au fond dans ce que tu racontes de cette ambiance c’est, l’association de vous 3 Emile : la nostalgie Alexandre: la nostalgie, mais c’était un peu comme là-bas ? Emile : non Alexandre: non Emile : on était quand même beaucoup plus séparés Alexandre: ah ouais Emile : parce qu’on était éclaté, y’avaient des villes, Oran y’avait 3000 habitants quand même Alexandre: donc ça ne correspondait pas à un effet de transposition d’un art de vivre Emile : non, par contre l’art de vivre si tu veux c’est dans la mentalité, effectivement la mentalité plutôt une mentalité festive Alexandre: hum Emile : tu vois ce que je veux dire, l’invitation à l’anisette, c’était plutôt un fait courant si tu veux, ici tu fréquente quelqu’un il t’offre un café. Là-bas « tu viens boire l’anisette ce soir » mais c’était, tu commandais une anisette c’était plusieurs tu vois, et puis bon le temps si prête hein, il fait beau on est dehors ce n’est pas, non c’est la nostalgie qui domine dans cette période là Alexandre: ouais Emile : tu as du le sentir chez la fille peut être Alexandre: ben oui c’est, enfin, elles sont ambivalentes Emile : ouais Alexandre: c’est ce qu’elles m’ont dit, jusqu’à l’âge adulte, en fait elles ont reproché à leur mère de les avoir conçu en Algérie Emile : ah bon tiens ! Alexandre: mais elles sont nostalgiques de Toit et Joie Emile : ah voilà Alexandre: mais euh Emile : tu vois c’est cette époque